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Mark Entin, Pasquale Policastro. Dialogues sur les droits de la personne

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Pour une théorie de la protection juridique de la phénoménologie existentielle de la personne humaine au-delà des différences entre cultures et conceptions du droit.

Moscou, 2010

Dialogue 1

L'identité individuelle et sociale de la personne comme finalité de la médiation juridique

PP: Nous commençons aujourd'hui ces dialogues sur les droits de la personne auxquels nous sommes en train de nous préparer depuis longtemps, dont un des aspects méthodologiques est la possibilité d'aborder le problème des droits de la personne à travers une approche plus pragmatique qui n'est plus basée sur des critères aprioristes, mais sur la tentative de qualifier juridiquement la personne à travers ses besoins existentiels. La définition de ce paradigme devrait être un point d'arrivée de ces réflexions, que nous entendons mener, cependant, avec une approche critique des idées analytiques inhérentes aux droits de l'homme, des droits fondamentaux, des droits constitutionnels de la personne. Nous entendons donc évaluer la possibilité d'étendre ces idées au-delà des limites des cultures et des théories juridiques à travers lesquelles elles se sont développées. Un des aspects qui mérite une réflexion plus profonde est la relation entre la théorie et la protection pratique des droits de la personne, d'une part, et les différentes cultures, de l'autre.

Tu t'es souvent montré partisan d'une thèse, que je soutiens entièrement d'ailleurs, et que j'ai proposée moi même comme projet de recherche aux termes de la XXII-me conférence de l'Association internationale de philosophie et de sociologie du droit, (Granada 2005). Selon cette thèse, il faut examiner les droits de l'homme à travers les contributions des différentes cultures. Au cours des débats que nous avons eus tu as insisté sur le fait que l'idée de la protection des droits de l'homme n'est pas liée seulement à la culture européenne. Est-ce que tu peux développer cette idée d'une façon plus précise?

M.E. Je vois une contradiction essentielle entre l'idée de protection universelle des droits de l'homme et la même approche universelle de cette idée, d'une part, et la tentative de faire associer ces droits à la seule culture européenne, aux conceptions dominantes dans le nord du monde ou aux traditions de quelque des pays européens. Pourquoi? Parce que si nous voulons vraiment que tous les gens, toutes les sociétés s'associent à l'idée de protection des droits de l'homme, nous devons aussi reconnaître leur contribution. D'où la nécessité de développer une plus ample vision des droits de l'homme. Nous avons toutes les raisons d'essayer d'atteindre un tel objectif. D'une part, la protection des droits de l'homme, quoiqu'en forme initiale et fondamentale comme protection de la personne dans différentes sociétés où elle se développe commence, à notre avis, à se révéler dès l'aube de la civilisation humaine, c'est-à-dire des centaines de milliers d'années avant que la civilisation européenne se fût développée et imposée à l'humanité. Nous pouvons dire que nous trouvons desmanifestations de la protection des droits de l'homme tout en observant le développement du droit et, par la suite, de la législation comme éléments de médiation à l'intérieur et à l'extérieur des sociétés.

Les grandes civilisations de l'antiquité, celles de Chine et d'Indes, les grandes sociétés fluviales de Mésopotamie et d'Egypte, les villes-États grecques, les civilisations Etrusque et Romaine connaissaient le phénomène juridique et ils n'omettaient pas de s'en servir pour réguler la situation individuelle du sujet humain. L'idée de droit et celle de constitution qui s'en sont suivies ont permis de respecter la légitimité en limitant le pouvoir impératif des gouvernants et le pouvoir politique en général. D'autre part, à travers la longue évolution historique qui a marqué l'émergeance de la modernité et les constitutions du XVIII-me siècle, constitutions américaines et celles de la Révolution française, nous observons une manifestation juridique cohérente de tous ces éléments qui avaient caractérisé la naissance et l'évolution des différentes conceptions des droits inhérents au sujet humain. A côté de cette manifestation juridique, nous trouvons une réalisation croissante, dans la pratique, des aspects signalés, au cours des siècles, dans le débat moral, social, politique, et juridique. Ce double niveau de détermination juridique et de réalisation pratique des soi-disant droits de l'homme et du citoyen réussissait à limiter l'exercice du pouvoir politique en domaines déterminés. Cependant, le contenu de cette protection apparaissait essentiellement limité à quelques manifestations existentielles subsumée en l'espèce des droits civils et politiques. On ne peut pas méconnaître le caractère progressif de la manifestation, dans le droit et dans la jurisprudence, des conceptions adressées à la protection des droits de l'homme qui se sont développées de nos jours. Cependant, la réduction de la protection des manifestations existentielles aux seuls droits civils et politiques, se prêtait à une attitude passive, indifférente ou insuffisante à la protection des manifestations existentielles relatives au rôle joué par l'immense majorité des individus dans le processus économique et aux conditions sociales.

PP. Est-ce que tu entends par là que la phénoménologie existentielle de la personne humaine a sa dimension complexe? Que nous devons en protéger toutes ses manifestations? Et que, par conséquent, la substitution d'une protection générale à celle de quelques aspects seulement, comme les droits civils et politiques, ne relève-t-elle d'une synecdoque pure, mais qui se révèle dans une discrimination effective, à travers une primauté arbitraire accordée à des valeurs - correspondant à quelques manifestations existentielles - respect des autres - liées aussi aux manifestations essentielles de l'existence humaine?

M.E: Il faut à ce propos, se référer aux contrastes des conceptions des droits l'homme au XVIII-me siècle, qui se sont manifestés de manière considérable à partir du début du XIX-me siècle, à travers les postulats du mouvement ouvrier et ensuite des revendications directement liées à la reconnaissance de la liberté d'association, du développement des mouvements des conseils, et des partis socialistes et ouvriers. Au cours de cette période, nous observons d'un côté que ces mouvements ont eu un impact significatif sur le modèle juridique adopté pour la tutelle juridique du sujet humain. De l'autre, que quelques-unes de ces conceptions se caractérisaient par leurs relations évidentes avec des doctrines et propositions ayant déjà émergé au cours du développement historique. Il apparaissait donc que les problèmes de la société, des conditions de vie et de travail avaient depuis longtemps constitué un centre d'intérêt. Mais mêmes ces problèmes avaient été laissés de côté dans la pratique, ce qui était dû à une prépondérance politique de quelques partis des différentes sociétés dont les influences s'étaient consolidées dans les Etats-nations et dans les empires européens. Nous avons la même impression, si nous nous référons à la conception des droits qui prévaut aussi aujourd'hui - au moins formellement, - dans le contexte qui accompagne l'intégration européenne. Selon une telle logique, les droits civils et politiques sont étroitement liés aux droits économiques et sociaux. Aussi une tendance toujours plus grande à souligner qu'en principe, même le sujet de droit n'est pas un citoyen mais un être humain est-elle caractéristique du fait. Malgré les nombreuses critiques qui peuvent être adressées à l'application pratique des principes exposés, on ne peut pas omettre la reconnaissance de la culture juridique exigeant la nécessité de garantir, d'une manière cohérente et conjointe, tous les sujets du genre humain et toutes leurs manifestations existentielles.

Du point de vue historique, nous ne devons pas oublier non plus, qu'après la conclusion du second conflit mondial, dans le contexte des travaux sur la Charte des Nations Unies, il y avait l'Union Soviétique qui avait proposé d'incorporer les droits de l'homme dans la Charte même. Au cours de cette période, cependant, la tension qui voyait opposer les droits civils et politiques aux droits économiques et sociaux était si prononcée dans les différentes conceptions qui se mesuraient, au moins avec référence á la présente situation, à la nécessité de travailler sur deux différents instruments pour la Protection internationale des droits de l'homme c'est-à-dire les Pactes de 1964. De toute façon, dans un tableau évolutif, la même conception des droits de l'homme qui englobe les droits civils, politiques, économiques et sociaux s'est développée graduellement. Ces aspects sont bien connus de la science juridique. Aussi l'idée selon laquelle les destinataires de la protection juridique assurée à travers les mécanismes de protection des droits de l'homme sont tous des êtres humains, ne s'est-elle pas développée dans la pratique sans de graves points obscurs, des pas en arrière, ou hésitations coupables. Dès lors, il suffit de penser aux périodes de la première et de la deuxième guerre mondiale et au traitement, du côté britannique ou américain, des soldats en tant que leurs citoyens et d'autres soldats provenant des pays coloniaux. En ce qui concerne le traitement réservé aux citoyens, chaque vie était appréciée d'une manière appropriée. Les opérations de guerre étaient programmées dans beaucoup de cas, de manière à atteindre les objectifs avec la plus petite perte possible des vies humaines de leurs nationaux. La vie d'un Américain ou la vie d'un Anglais étaient des valeurs à prendre en considération avant tout. Une telle attention n'était pas réservée aux combattants provenant des pays coloniaux.

Les concepts de la protection des droits de l'homme se basaient sur l'idée selon laquelle il y avait deux types différents de peuples: peuples civilisés et peuples qui auraient dû être civilisés à travers le contrôle des premiers. Une telle conception est inacceptable selon la présente notion du droit, surtout si nous acceptons que son objectif est de protéger les manifestations existentielles du sujet humain. La dichotomie entre peuples civilisés et peuples qui auraient dû être civilisés, portait un germe de révolte des pays coloniaux vis-à-vis des colonisateurs. Les anciennes colonies de pays libres ont souvent été amenées, malgré le lourd fardeau de la colonisation, à fournir leur propre contribution, originale et directe, à une protection toujours meilleure des différentes manifestations existentielles du sujet humain. Cette contribution n'est possible que dans un contexte où toutes les nations seraient égales ayant droit à l'autodétermination, malgré leurs pouvoirs économiques ou politiques différents, et étant aptes à développer une coopération naturelle parmi elles. Et c'est seulement dans ce contexte que toutes les régions du monde seront capables d'apporter leur contribution réelle au développement d'une protection croissante des différentes manifestations existentielles du sujet humain. C'est seulement dans ce cadre que nous pourrons affirmer que les droits de l'homme sont universels et, en tant que tels, ils sont aptes à protéger les manifestations existentielles du sujet humain. Cette universalité souligne l'importance des contributions de provenances différentes. Cependant l'autodétermination des nations entendue comme élément essentiel pour la production d'un droit correspondant aux exigences qui se révèlent dans différents lieux vit et se révèle à travers la protection juridique des différentes manifestations existentielles du sujet humain. La protection de ces manifestations est un point essentiel pour le développement des différentes sociétés et des différents systèmes politiques dans les régions du monde. La protection des manifestations existentielles du sujet humain devient ainsi un élément de support simple et harmonieux des différentes étapes de développement et d'innovation.

PP. Je te remercie, Mark, pour les problèmes que tu as développés. Tu as indubitablement mis en avant une question de grand intérêt, qu'est la protection des manifestations existentielles de la personne - sans tenter de définir précisément ce que nous entendons sous le mot personne qui n'est pas seulement liée au concept moderne. Il y a eu des idées qui se sont développées dans différentes sociétés qui ont peu à peu manifesté une attention croissante à la protection de quelques expressions de vie, de quelques manifestations essentielles de la vie du sujet humain. Cependant, le problème, comme tu l'as bien souligné, c'est la relation entre: a) la protection des droits et des manifestations existentielles de la personne; b) l'évolution des conceptions de la personne; c) le progrès de la culture et de la technique. À ce propos, tu as souligné un processus évolutif des contenus protégés juridiquement, des différentes manifestations existentielles du sujet humain qui a eu lieu à travers, par exemple, la contribution du mouvement ouvrier. En ce qui concerne cette relation, on pourrait faire valoir l'existence d'une relation forte entre le développement de la protection juridique des droits de l'homme et celui de la démocratie. Il me semble pouvoir déduire de tes affirmations aussi une seconde conséquence qui est celle du rapport entre, d'une part, le développement de la conception des droits de l'homme, le développement du rôle de médiation du droit, de la "rule of law" - cette dernière entendue dans un sens pour ainsi dire ‘très général' et la protection croissante des manifestations existentielles du sujet humain, de l'autre. Évidemment, si nous nous concentrons sur la période historique qui a mené à l'affirmation généralisée du principe juridique comme médiation entre différentes instances et du principe de protection des manifestations du sujet humain comme éléments caractérisants le développement des sociétés occidentales, nous observons des moments topiques, qui ont un caractère fondamental. Parmis ceux-ci, nous avons la révolution grégorienne du XI siècle, où s'est imposée la séparation de la sphère politique et de celle de la morale, même dans leur interaction mutuelle. Il y a eu aussi une révolution commerciale qui a mis en évidence la nécessité d'un droit différent pour des groupes de gens différents caractérisés par leurs intérêts spécifiques.

Nous avons aussi assisté au développement d'une idée qui avait dû être exercée à travers un «prudentia mixta», à travers l'influence de l'humanisme hollandais et notamment de Juste Lipsius. Cette dernière a consenti à prêter une attention considérable à la protection des gens qui professaient une foi religieuse différente de celle officielle au lendemain de la conclusion des guerres de religion. Tu as mentionné deux aspects de grande importance, d'abord l'influence des mouvements ouvriers pour la protection des droits de ceux qui apparaissaient jusqu'à ce moment exclus de la sphère d'exercice du pouvoir. Tu t'es aussi référé au mouvement le plus récent pour la réalisation d'une protection des droits de l'homme entendue non plus seulement comme protection juridique du citoyen. Il s'agit d'un mouvement de pensée qui a eu d'importantes conséquences philosophiques et politiques portant sur la protection juridique des expressions existentielles du sujet humain, et enfin de la personne considérée en tant que telle. Ce processus de nature tendancielle représente, à notre avis, un des grands défis de l'idée même du droit au niveau global. Une réflexion qu'on pourrait développer à cet effet concerne la contribution de la société russe en tant qu'une société qui a évolué dans le temps à travers des idées et canons de nature morale. Le christianisme a, en effet, caractérisé de manière essentielle, à travers une multiplicité d'expressions, le développement de la société et de la culture russes. À la lumière du christianisme, se sont développés les canons logiques à travers lesquels a pris corps le pouvoir politique. Sous ce point de vue, malgré ses spécificités, l'expérience russe nous semble, en perspective, analogue aux différentes expériences occidentales, et constitue, dans ses diversités, une partie intégrante de celles-ci. Les grands modèles interprétatifs proposés par la littérature russe ont une grande importance pour analyser le processus sémiotique qui a contribué au développement de l'idée de la personne dans la culture occidentale. De tels modèles interprétatifs considérés dans le contexte de modernité nous semblent avoir été les premiers à avoir développé la conscience de la multiplicité de langage, de leurs niveaux, et des véhicules pour leur communication comme éléments caractéristiques des sociétés dynamiques et hypercomplexes.

À ce point, nous devrions soulever le problème de la possibilité de développer une approche des droits de la personne dans différentes cultures de manière un peu plus générale. En ce moment, nous trouvons, en effet, dans la sphère globale, des opinions selon lesquelles des pays, par exemple la Chine, n'ont pas développé dans leur héritage des racines culturelles aptes à mener à l'idée des droits de l'homme, et à son assimilation par le droit. Des opinions semblables se rapportent aussi à l'Inde. Outre ces réflexions, il y en a eu d'autres, dans une perspective relativiste ; l'idée des droits de l'homme, se trouve être compromise irrémédiablement en raison de son caractère relatif, liée à son origine typiquement occidentale. En nous opposant à ces opinions, nous faisons valoir notre choix méthodologique selon lequel plus qu'à l'idée de droits de l'homme, nous nous référons à la question de parvenir à une protection juridique cohérente des manifestations existentielles du sujet humain. À ces fins, nous trouvons, dans l'étude des différentes cultures, soit des aspects à observer de façon critique, soit des éléments intéressants pour notre réflexion. La même enquête historique sur la culture arabe peut constituer un exemple digne d'attention. L'histoire de la philosophie chinoise nous fournit qussi des exemples intéressants. Il suffit de penser aux auteurs comme Feng Youlan, qui ont tenté de présenter les grands problèmes affrontés par les écoles philosophiques chinoises en les reportant dans le cadre des sujets et des problèmes qui ont caractérisé les réflexions des écoles philosophiques occidentales. Dans sa présentation, nous trouvons des concepts rapportés à la matérialité, à la psyché, à l'esprit, aux rapports entre différents principes, conceptions que nous trouvons présentes, sous formes et raisonnements différents, dans les grandes écoles occidentales. Nous trouvons ici des occasions intéressantes pour la réflexion, avec référence aussi à la culture du présent. Par exemple, dans la culture indienne contemporaine nous pouvons trouver des idées qui conjuguent identité et innovation de manière assez originale, comme dans le cas de l'approche de Gandhi d'une confrontation politique non-violente, d'une idée de citoyenneté élargie et inclusive. Nous pouvons trouver beaucoup d'autres idées de ce type développées, par exemple, par Martin Luther King, qui constituent de vrais ponts vers des méthodes universelles, mais pragmatistes, pour considérer la protection des manifestations existentielles de la personne.

À propos de ces exemples, on doit noter la nécessité d'une approche selon laquelle l'objet de la connaissance juridique ne doit pas relever des entités abstraites, difficiles à définir, mais des matières concrètes qui comme les êtres humains sont définissables à partir de leurs besoins existentiels. Cette tendance de la science juridique à s'adresser à des sujets concrets, et pas vraiment à des abstractions comme individu, citoyen, bon père de famille, est vérifiable dans l'évolution historique de la science juridique. Cette analyse rapproche la science juridique de celles qui tendent à définir leur objet d'études de manière précise. Je serais heureux d'entendre ton avis là-dessus.

M.E Pasquale, tu viens de citer différents penseurs, différents mouvements de pensée, différentes approches des droits. Il y a évidemment différentes manières de penser les droits de l'homme: en tant que relations entre l'individu et la société, l'individu et l'État et ces problèmes, comme on le sait, sont étroitement liés à l'étude des droits de l'homme. Nous pouvons parler d'égalité, de fraternité, d'applications de ces principes à des relations entre les gens, à la considération de l'état des gens dans les sociétés. Ces analyses, de caractère plus essentiel sont aussi liées de manière étroite au problème des droits de l'homme. Nous pouvons parler de relations entre la bureaucratie et l'État, entre l'État et la bureaucratie, comme dans le cas de la Chine. Mais nous pouvons chercher aussi à aller au-delà des théories traditionnelles sur les droits de l'homme, en vue d'une approche plus générale. L'analyse des grandes approches philosophiques, des modèles qui se sont développés dans les grandes cultures, de ceux qui ont caractérisé le développement des grands Etats, etc., ne débouche pas toute seule sur des résultats pratiques considérables. Pour cette raison, l'approche que tu as indiquée de nous concentrer sur les manifestations existentielles de la personne me paraît utile et proportionnée comme tout le problème que nous voulons examiner. En effet, un des sujets que j'entend mettre au service d'une approche plus générale de la protection juridique des manifestations existentielles de la personne porte sur les paradoxes véritables qui découlent des différentes tentatives d'exporter les droits de l'homme ou la démocratie. Quels résultats pouvons-nous obtenir de la considération qu'a toujours eu une contribution universaliste des grandes écoles philosophiques, des grandes cultures au problème des droits de l'homme? Ces contributions n'ont pas eu de résultats pratiques réels, dans les cas où la démocratie ou les droits de l'homme ont été, pour ainsi dire, "importés". Nous pourrions à cet égard, considérer ce qui est arrivé dans de nombreux cas dans lesquels un Etat ou un groupe d'Etats avaient entendu imposer à d'autres la démocratie ou les droits de l'homme. Il n'y a pas eu de véritables résultats positifs. Par ailleurs, la situation est assez différente dans le cas où, malgré des difficultés et obstacles de différente nature, un Etat ou une société décident de fournir leur contribution à la protection juridique des manifestations existentielles de la personne humaine. Dans ce but, ils cherchent la méthode et les solutions les plus appropriées, dans la définition de ces besoins et de leur protection juridique et ils apportent souvent leur propre contribution à la démocratie et aux droits de l'homme. Les résultats qui ont été obtenus dans ces derniers cas prouvent que les chemins qui portent à la protection des droits de l'homme, à la démocratie, à la primauté du droit, vont de pair avec le développement social, économique, et politique. Ils peuvent être poursuivi dans beaucoup de pays et de régions. Donc, si le processus de reconnaissance juridique des manifestations existentielles de la personne est imposé de l'extérieur, ou il n'est pas autochtone, il fera naître de toute façon des problèmes évidents en ce qui concerne l'application de ses principes, leur adaptation aux différentes réalités caractérisées par des situations sociales spécifiques, économiques, et politiques. Il en découle donc que la conception des droits de l'homme a un caractère relatif. J'entends par là non seulement que cette conception a un caractère dynamique qui se modifie et évolue à travers les différentes contributions mais aussi celle qui tient compte nécessairement des besoins actuels des sociétés, qui consiste à trouver en chaque circonstance un équilibre indispensable entre les intérêts de l'individu, ceux des différentes sociétés dans lesquels l'individu vit et travaille et les intérêts publics en général. Les différentes sociétés cherchent dans tous les domaines leurs propres balancements différents entre les intérêts relatifs. Par exemple, à examiner la lutte contre le terrorisme après le 11 septembre, nous trouverons qu'elle a été accompagnée par l'adoption d'instruments aux États-Unis et dans d'autres pays - ceux de l'Union Européenne notamment - que nous aurons du mal à considérer comme une conception statique des droits de l'homme, et définie une fois pour toutes. En effet, les pouvoirs de la police ont été augmentés, les pouvoirs des agences de sûreté aussi, et pas seulement ceux des agences nationales. La coopération internationale entre les polices et les services de sûreté est bien avancée. En outre, il a été donné accès aux banques de données individuelles, pratiquement partout on a placé des caméras de télévision pour que chaque mouvement, chaque pas de la personne soient suivis. Tout cela a beaucoup aidé à la sûreté. Mais est-ce que ceci est compatible avec les droits de l'homme? Les radicaux de la protection des droits de l'homme nient cela, les moyens adoptés pour lutter contre le terrorisme – selon eux – étant incompatibles avec la protection des droits de l'homme. Mais, si nous tenons présent à l'esprit que c'est à la société que revient la recherche d'équilibre, après le 11 septembre, il s'agit désormais d'un équilibre entre la sûreté augmentée et les autres droits de la personne, parmi lesquels on trouve avant tout les droits à la vie et à la sûreté personnelle, ainsi que les besoins de la protection concernant les sociétés de chaque État. Des exemples semblables sont nombreux. Nous en considérerons seulement un pour le moment, celui de savoir comment nous pouvons conjuguer les droits de l'homme avec les modifications intervenues dans la législation contemporaine en matière d'émigration. Par exemple, à partir du XIX-me siècle, différents pays ont poursuivi une politique favorable ouverte à l'émigration de gens provenant d'autres pays et continents. Ceci était motivé par des potentialités de développement qui avaient pu être achevés grâce à des flux croissants de population dans leurs territoires. Maintenant, les caractéristiques de développement économique contemporain, sont telles que la main-d'oeuvre n'est plus demandée comme auparavant. Ceci explique la critique de permissivité excessive souvent adressée aux législations sur l'immigration selon laquelle les politiques sur l'émigration adoptée auparavant ne sont plus conformes aux besoins du moment. On demande de limiter l'immigration et de combattre les flux illégaux de migrants. Dès lors, quelques pays ont dû tenir compte aussi des programmes politiques de l'extrême droite comme celui de Le Pen en France. Quelques-unes de ses propositions ont aussi été assimilées en quelque mesure dans d'autres pays, par exemple en Allemagne et ils font toujours partie du programme politique du président Sarkozy. Et donc, ces transformations qui doivent être refusées sur la base d'une conception rigide des droits de l'homme, comme purement et simplement inacceptables, doivent être rationalisée, si nous cherchons à tenir compte des manifestations existentielles de la personne humaine. Ainsi, du point de vue pratique, nous nous retrouvons plongés dans une protection intégrale des droits de l'homme pareille à celle de la Cour Européenne des Droits de l'Homme et engendrée par des tensions d'en bas dans les sociétés en mutation. La recherche de cet équilibre devient donc un des points fondamentaux même pour le législateur. Or, si nous admettons que les États-Unis, les pays européens peuvent tâcher de réaliser des balancements dynamiques et variables dans le temps entre les nécessités sociales et la réalisation des droits individuels, nous devons en même temps dire que les autres Etats ont aussi le droit de rechercher ces équilibres indispensables pour assurer le respect des droits de l'homme. Dans le même temps cependant ils ont le droit aussi de chercher des équilibres opportuns, de manière à pouvoir réaliser ces conditions nécessaires au développement économique, à la transition économique et sociale, et à affronter les problèmes politiques actuels. Mais qu'est-ce que cela signifie? Est-ce que cela signifie que chaque équilibre est possible? Cette conclusion est certainement inacceptable. Il faudra trouver des équilibres aptes à défendre les différentes manifestations existentielles de la personne humaine d'une manière adéquate, mais qu'ils soient à mêmes aussi de rendre possibles des solutions acceptables aux problèmes économiques, d'affronter les différents problèmes politiques et sociaux, qui demandent un engagement public. C'est en cherchant cet équilibre que le but de la médiation juridique sera justifié.

P.P. Tu as souligné des problèmes majeurs : ceux qui dérivent de l'équilibre des intérêts, le problème de relativisme entendu comme réponse aux besoins actuels des différentes sociétés et des différentes catégories de gens, considérées dans un contexte où elles vivent et opèrent. Partant, si j'ai bien entendu, tu te réfères au relativisme comme à une relation nécessaire entre formulation des tenants et aboutissants, à travers lesquels nous entendons protéger juridiquement les aspects existentiels de la personne humaine, dans le contexte des besoins des différentes sociétés.

La conception de l'équilibre des centres d'intérêts sous forme d'un balancement dynamique qui se modifie dans le temps peut sembler opposée à l'idée d'un équilibre statique, pétrifié, dans un sens donné aux règles constitutionnelles. Malgré son caractère problématique, qui nécessitera d'autres approfondissements, cette logique peut être considérée en relation avec l'idée - que nous avons déjà proposé - de constitution au sens statique et l'idée de constitution au sens dynamique (Policastro 2007: 2), c'est-à-dire, si nous en tenons à la constitution juridique, nous observons qu'il y a des constitutions statiques qui établissent et sanctionnent juridiquement une certaine distribution de la richesse, des influences sur la politique obtenue par l'adoption de règles opportunes et une distribution des influences sur la société.

L'idée d'une constitution au sens statique, c'est une idée très intéressante. Par exemple, avec référence à la période du socialisme réel, à l'institution d'un système pareil, même si elle pouvait être modifiée par délibération du Parlement, aussi à la majorité simple, la constitution était elle-même fort rigide, mais du point de vue matériel. Il y avait en effet un noyau dur de mécanismes de fonctionnement de la politique, des rapports sociaux, des rapports économiques qui constituent l'ossature du système – au sens sémiotique – et paraissent assez difficiles à modifier dans leur substance.

Nous retrouvons une rigidité matérielle forte des constitutions aussi dans les pays de l'Europe occidentale. C'est-à-dire il y a des relations sur le fondement desquelles ont lieu la distribution de la richesse, les interactions entre et à l'intérieur des groupes sociaux et se développent des rapports politiques, qui ont tendance à se reproduire et à se perpétuer.

Nous avons aussi une autre conception de la constitution, c'est-à-dire celle de constitution au sens dynamique. Il s'agit d'un modèle de constitution qui est dirigée vers la modification dans le temps du modèle de distribution de la richesse existante, comme vers celle des modèles existants, d'influences sur la société et sur la politique. Habituellement, au cours des périodes de transition, des efforts significatifs sont faits pour concevoir et mettre en oeuvre des principes dynamiques. Ces principes sont des règles, aptes à mener à des changements des modalités de distribution de la richesse, des influences sur la politique et de la société. Que ce soit l'histoire des constitutions de l'Union Soviétique ou celle des constitutions des pays de l'Europe Occidentale, elles illustrent des cas tout à fait différents sur ce sujet. Ces règles fonctionnent toutes, en général, pendant une période de temps déterminée, jusqu'à ce que les intérêts au pouvoir arrivent à se consolider. Cela mène à la réduction de la force normative de ces principes dynamiques, et donc à des phénomènes qui pourraient être qualifiés de ‘cycles constitutionnels'. En effet, pendant les périodes qui suivent les grandes transitions,se révèle une tendance qui est celle de faire répandre, de faire élargir la protection et la base de la protection de l'homme, de l'individu, de la personne. Par la suite, les intérêts se consolident, nous observons l'affaiblissement de l'idée de faire élargir le domaine de protection des sujets juridiques et la base juridique de cette protection. Quand les intérêts qui gèrent le pouvoir tendent à se consolider ou à se replier sur eux-mêmes, ils tendront à adresser la protection juridique à l'intérieur d'un ordre déterminé, qui n'est pas en général l'ordre constitutionnel analysé formellement. Quant le cycle constitutionnel atteint son niveau le plus bas, le pouvoir dirigera le droit en vue de protéger les intérêts consolidés. Nous aurons donc un affaiblissement du contenu dynamique de la constitution. Un tel phénomène peut se reproduire dans des situations d'affaiblissement des processus démocratiques et du domaine de protection des manifestations existentielles de la personne humaine. Nous pouvons regarder chaque constitution dans une perspective soit statique, soit dynamique. De toute façon, à partir de l'analyse tant des règles constitutionnelles que du processus d'interprétation et de réalisation de la constitution, nous pouvons distinguer les constitutions comme celles où prédomine le principe statique ou dynamique. Le problème est ici de savoir comment rechercher, comment formuler, comment implémenter un principe juridique, apte à préserver cette poussée dynamique adressée à l'agrandissement de la base juridique subjective et objective de protection des manifestations existentielles de la personne, telles que nous les observons au moment où est bien réalisée la dimension dynamique de la constitution comprise au sens dont nous l'utilisons,.

Le problème est très important. Quant à l'immigration et à la protection éventuelle contre des flux incontrôlés d'immigrants, il est à noter qu'en Europe nous assistons à une réduction du domaine tant objectif que subjectif de protection des droits, entendus comme protection des manifestations existentielles de la personne humaine. La construction de l'intégration européenne est commencée, en effet, avec l'idée d'élargir la base subjective de la jouissance des droits, même s'il s'agissait de droits économiques. L'idée, mise au coeur de ce processus, c'était de faire développer la solidarité entre nations et la fraternité entre citoyens. Nous assistons, à présent, à la mise en place de politiques presque protectionnistes, qui ne permettent pas le développement proportionné des pays qui se trouvent aux confins de l'Union Européenne. Cela engendre des flux d'immigration, ces immigrés étant traités, comme tu l'as bien souligné, à la lumière des intérêts purs des pays communautaires. Le problème s'avère ici beaucoup plus compliqué que le seul équilibre entre droits ‘collectifs' et individuels. En effet, si nous décidons d'équilibrer l'intérêt des personnes qui immigrent dans l'Union Européenne avec celui des sociétés européennes à sauvegarder leur modèle de développement économique et social, nous devons tenir compte du fait que pour notre action régulatrice nous interférons avec les manifestations existentielles des sujets humains.

Dès lors, nous ne pouvons ne pas tenir compte de l'idée que se font de l'action régulatrice en question les sujets extérieurs qui en subissent les conséquences. En conséquence, il semblerait opportun de penser à la représentation de ceux-ci aussi dans les décisions qui les concernent, En effet, si on les traite simplement comme des sujets extérieurs, le risque sera que le maintien d'un certain modèle de développement économique ou d'un certain modèle de distribution de la richesse dans la société, engendre une approche instrumentale vis-à-vis d'autres sujets humains. Ceci tend à engendrer des tensions, et à affaiblir en ligne de principe l'idée de médiation à travers le droit. Par rapport aux problèmes de ce type, j'avais déjà proposé (Policastro 2007: 1), de tenir compte des interdépendances, c'est-à-dire du fait que n'importe quel acte à travers lequel des intérêts à l'intérieur d'un pays ou d'une région sont protégés, a des incidences sur l'extérieur. La comparaison développée de manière à tenir compte des interdépendances pourra donner des résultats très intéressants qui ouvrent des perspectives plus amples pour l'étude des interdépendances dans la dimension globale. En effet, les études des relations d'interdépendances entre les événements juridiquement considérables qui se produisent, sont en cours en Union Européenne et celles de Russie, que nous souhaitons de développer plus particulièrement, ne sont pas seulement un exercice utile pour connaître les seules relations substantielles entre les sociétés, les systèmes politiques et les économies intéressées. Elles pourraient comprendre une analyse plus élargie des interdépendances entre les différents pays ou régions du monde.

Cependant, pour pouvoir faire une comparaison nous avons besoin d'un système de référence. À ce propos, je voudrais proposer un compromis. Jusqu'à ce moment-là tu t'es, en effet, rapporté à trois sujets juridiques de référence: individu entendu comme tout être humain, individu en tant que membre de sociétés où il vit et travaille et l'État. Tu t'es référé à ces trois sujets comme à des éléments qui existent simultanément. Cette interprétation est très importante, il faut néanmoins tenir compte de celui qui est ou devrait être sujet protégé, ainsi que des sujets qui sont nécessaires pour une protection juridique proportionnée aux manifestations existentielles en cause. Je proposerais de considérer la personne humaine comme centre de référence, et donc pas l'individu au sens libéral, ni l'individu complètement socialisé. Je proposerais de prêter notre attention à la personne qui existe en tant que telle, qui vit et travaille en participe dans différentes sociétés. Celle-ci cependant n'existe pas à l'intérieur de l'ordre d'un État seulement, d'une formation juridique étatique, mais elle existe en tant que telle.

Quant à cette conception de la personne, j'ai eu plaisir de constater que tu t'es référé à l'activité des Nations Unies. Nous ne devons pas oublier l'adoption de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948. Les travaux préparatoires de celle-ci paraissent intéressants surtout en vue de nos objectifs, parce qu'il s'était révélé une certaine convergence entre des humanismes concurrents (de La Chapelle). Parmi eux, il y avait des humanismes qui participaient à la formation des positions soviétiques devant cette entité, l'humanisme provenant des pays arabes et le personnalisme européen. On ne peut ne pas tenir compte d'une certaine hésitation de la représentante américaine, Madame Roosevelt, sur quelques points de convergence de ces humanismes. Il y a eu, ensuite, la guerre froide dans l'idéologie de laquelle les différents systèmes culturels ne semblaient exister que pour s'opposer. Mais après que nous avons assisté au déclin de cette idéologie, pourquoi ne pas revenir à la personne humaine comme sujet de référence pour le droit? Cela veut dire qu'on devra mettre l'État et les États au service de la personne. Cela veut dire aussi que le droit international devra tenir de plus en plus compte de l'existence de la personne et donc des sociétés d'individus aussi, même s'ils ne sont pas nationaux, ni membres de l'Union Européenne. Il faudrait tenir compte de la nécessité de doter les individus de remèdes opportuns pour protéger leurs intérêts, même par rapport au droit international. Plus les sujets vis-à-vis de qui des décisions politiques sont prises détendront leurs effets, plus ils auraient le droit de participer ou d'y être représentés d'une façon convenable.

Il y aurait aussi le devoir public de trouver des formes et des manières proportionnées pour l'exercice d'une telle participation. Une approche généralisée de la personne humaine comme sujet de droit comporterait le franchissement de la même idée de médiation juridique, en tant que médiation de type fermé, respect des participants assujettis à elle et représentés en elle. Il comporte évidemment, une transformation proportionnée des institutions connues du constitutionnalisme. Il se poserait évidemment ici encore un autre problème d'une plus grande ampleur. Il s'agirait d'une baisse générale du niveau de protection des droits qui se produit depuis un certain moment dans des réalités interdépendantes que l'on continue à observer dans la médiation juridique comme dans un phénomène fermé. Une médiation juridique qui, dans ce cas-là, engagerait seulement les sujets intérieurs, ou ceux qui sont considérés comme tels, les sujets concernés étant des institutions et d'autres sujets intérieurs des États, des unions d'États, des systèmes régionaux, les citoyens en tant que tels ou les sujets qui vivent dans un certain territoire ou qui exercent quelques-unes de leurs activités existentielles en liaison étroite avec le territoire, région ou État. Dans ce cas, le droit et la médiation juridique seraient fondamentalement repliés sur les intérêts de chaque communauté. Cette réalité, qui existe malgré l'importance croissante du droit international a engendré dans le temps, des ‘dis-economies' et d'autres inégalités qui ont empêché de considérer la médiation juridique comme étendue à tous les sujets et à toutes les zones intéressées par les effets d'actes déterminés.

Ils ont provoqué, au niveau global, des zones riches et pauvres, ainsi que celles caractérisées par une sécurité juridique relative qui permet la jouissance de formes proportionnées de protection des différentes manifestations existentielles. Mais aussi, de zones dans lesquelles il n'y a pas de véritable sécurité pour la majorité des citoyens: tant comme garanties que comme protection proportionnée aux manifestations existentielles fondamentales - comme celles liées à une subsistance convenable. Le fait est que ces phénomènes qui ont été analysés jusqu'à maintenant dans le cadre d'importantes études sur l'inégalité, engendrent au niveau global des situations d'insécurité croissante. En outre, l'approche pour ainsi dire “locale", c'est-à-dire fermée à la médiation juridique devient aveugle par rapport aux phénomènes globaux comme la protection de l'environnement naturel. Pour considérer le problème de l'interdépendance on a besoin d'une nouvelle approche des devoirs publics, tant individuels que collectifs, liés avec le franchissement de l'approche fermée à la médiation juridique. J'ai l'intention de développer ce problème d'une manière plus étendue au cours de nos dialogues. Je te serais reconnaissant d'en faire un commentaire.

M.E Pasquale, tu as a soulevé des sujets de grand intérêt, tu as mentionné, entre autres, la baisse du degré de protection des droits, des manifestations existentielles de la vie des gens qui a récemment eu lieu en Europe, qui avait été aussi une des conséquences de la lutte contre le terrorisme. Tu as aussi parlé de l'implémentation de la nouvelle législation afin de mieux contrôler le phénomène de l'immigration. Je ne voudrais pas considérer les choses dans la perspective de baisse des niveaux de protection, mais je préférerais insister, par contre, sur le problème de la recherche d'un équilibre continu entre les droits de l'homme et les droits de tous les individus. Il s'agit de deux éléments qui sont toujours à mettre en relation réciproque: est-ce qu'ils peuvent en effet protéger efficacement les droits d'un individu sans protéger en même temps les droits de tous les individus? Ma réponse est négative. Il n'est pas possible de penser à l'individu sans penser simultanément à la société, et aux différentes collectivités. A l'appui de cela, je voudrais donner un exemple que nous avons souvent pu observer en Europe. Considérons une entreprise qui se spécialise, par exemple, dans la production de voitures, ou de toute façon dans des productions industrielles. La concurrence dans un secteur donné est tellement forte que les dirigeants d'entreprise ne peuvent pas maintenir la production dans les endroits où elle avait été développée jusqu'à ce moment, par exemple, en France, en Allemagne ou en Italie. Il y a dans ce cas deux solutions: l'une est de transférer la production dans d'autres endroits où le coût du travail est inférieur, l'autre est de s'adresser aux travailleurs, et parfois aussi à l'État, et d'expliquer que, face à une telle concurrence, afin de maintenir la compétitivité sans transférer la production dans d'autres endroits, il faudrait procéder à une nouvelle négociation de quelques conditions de rémunération. On pourrait proposer, par exemple, une baisse de protections sociales ou d'autres choses, pour que le coût de production ne dépassepas celui des autres entreprises. Si la réponse des syndicats et des sujets publics est rigide dans le sens qu'ils entendent conserver leur niveau de salaire et de protection sociale, et le sujet public apparaît lié à ce choix, l'entreprise est contrainte à fermer, en tout ou en partie, ses propres usines dans le pays en question. Le problème consiste donc toujours dans un choix entre une approche maximaliste et celle qui prend en considération la situation économique ou les autres facteurs contraignants.

Nous pouvons dire la même chose des réformes économiques qui ont eu lieu dans les décennies passées en Grande-Bretagne, ou qui ont été développées en Allemagne. Les réformes du système de ‘welfare' réalisées par le gouvernement Thatcher en Grande-Bretagne pourraient être commentées par une constation que ces réformes ont nié le pouvoir des syndicats de lier toute la société par ses propres choix. On a confirmé le devoir public de soutenir, dans les limites des ressources à leur disposition, la société dans son ensemble. Avec cette réduction draconienne des pouvoirs des syndicats d'établir des niveaux de salaires et de protection sociale, on a assisté à une transformation radicale du système économique, aux libéralisations, privatisations, transformations dans l'organisation du secteur public, modifications du système fiscal. Pour les travailleurs syndicalisés, ces transformations ont été vues comme une baisse radicale du niveau de démocratie, une réduction des niveaux de protection des droits de l'homme, une transformation du modèle de solidarité sociale. Mais du point de vue de la société dans son ensemble, il avait été trouvé un nouvel équilibre entre la protection des manifestations existentielles de la personne et la vie en commun. Chaque société essaye de déterminer ces équilibres spécifiques qui répondent le mieux aux conditions du système même. C'est pour cela qu'en passant à un autre système, la Cour Fédérale allemande ne s'est jamais prononcée sur le principe de l'État social. Si, en effet, elle se fût prononcée au fait, elle aurait créé une situation où elle n'aurait plus pu intervenir pour modifier l'équilibre entre la satisfaction des droits individuels et la vie de la collectivité. Cela aurait pu mener à l'impuissance pour le législateur, d'intervenir sur le rapport entre structure économique et satisfaction des besoins des travailleurs, ce qui aurait pu, avec le temps, compromettre les intérêts des travailleurs, eux-mêmes.

Les droits de l'homme doivent être appliqués, donc, de manière équilibrée, proportionnellement aux besoins publics, mais aussi en préservant leur noyau dur. En réalité, il s'agit de protéger deux dimensions du sujet humain: celle de l'individu en tant que tel et celle de l'individu appartenant à des regroupements de différent type: social, national, professionnel, etc.. Pendant plusieurs années, une doctrine dominante a souligné que les droits individuels devraient l'emporter sur la protection des autres dimensions de vie de l'individu. Donc les droits de l'homme étaient d'abord entendus dans leur dimension de garantie, conçus dans le cadre de la relation entre individu et État et directement liés à la protection de l'individu. Cette approche individualiste des droits se trouve reflétée dans plusieurs conventions internationales, non seulement quand le sujet protégé est l'individu en tant que tel, mais aussi dans le contexte d'une classe d'appartenance, comme dans le cas des droits des enfants, de la femme, des personnes âgées. Tout en considérant cette approche de tutelle, nous pouvons dire qu'une collaboration avec les associations représentatives des femmes, des enfants, des personnes âgées pourrait être considérée comme superflue dans le cas d'une convention internationale, mais ce n'est pas le cas des droits des minorités nationales ayant une signification plus politique ou politisée.

Qu'est-ce que nous trouvons donc dans les instruments de protection internationale? Les documents de l'organisation pour la sûreté et la coopération en Europe ne parlent pas d'autre chose que des droits des gens qui appartiennent à des minorités nationales. Telle a aussi été l'approche adoptée par le Conseil de l'Europe dans la Convention cadre pour la protection des minorités nationales. Mais pour analyser la situation, pour que l'individu puisse profiter réellement de la protection prévue par les instruments de l'OSCE et du Conseil de l'Europe, plusieurs sujets sont nécessaires. Parmi eux, les organisations non gouvernementales agissant au niveau international, les associations pour la protection des droits de l'homme, les organisations des minorités nationales respectives, et enfin ‘last but not least' des mécanismes politiques appropriés. Donc, la protection des droits de l'individu, dans ses différentes manifestations existentielles, ainsi que la sécurité juridique de ces droits doivent procéder ensemble avec les garanties et libertés reconnues aux groupes sociaux et à leurs associations représentatives. Considérons, par exemple, les minorités nationales. Les droits des individus qui appartiennent à ces minorités ne pourraient pas êtres protégés sans des organisations représentatives de ces minorités, et sans un droit spécifique, politique, économique, social, pour ces minorités. L'exemple des minorités nous permet d'observer de manière plus ample ce qui se passe en différentes régions du monde, dans les pays islamiques, dans les pays en situation de changements sensibles ou en transition, caractérisés par différences significatives dans les structures sociales. Il y a des sociétés et de nombreux pays où se développent des transitions collectivistes où l'État n'a pas les moyens d'assurer à tous tout ce qu'il leur serait dû du point de vue économique et social, en ce qui concerne éducation, travail, niveau de salaires, de protections médicales et sociales, de sûreté familiale, etc.. Dans ce contexte, on observe souvent de nouvelles structures qui s'introduisent dans des relations entre individu, État et société. Il s'agit de groupes qui sont prêts à offrir à un être humain, cette protection, les moyens ou les services que l'État et les sujets publics ne sont pas aptes à fournir, à cause de carences politiques, économiques, à cause des problèmes engendrés par l'État en transition ou en transformation,. Est-ce que ceci est un bien? Est-ce que c'est un mal? Je ne pense pas que nous devons regarder ce phénomène dans cette optique. Il s'agit d'un fait qui a lieu, qui se révèle dans ces termes.

Mais s'il en est ainsi, il faut alors penser les droits de l'homme de façon à prendre en considération les relations entre l'individu, les regroupements sociaux différents et l'État, ils sont différents dans différents endroits. Je ne crois pas qu'en principe il faille s'opposer à un tel état de choses, il faut plutôt en tenir compte.

Si possible, il faudrait s'en servir comme d'une opportunité pour un développement progressif de la démocratie, au niveau politique, économique et social, de façon à ne pas négliger les opportunités offertes par ses aspects positifs, sans manquer de considérer les différents problèmes qui en découlent de manière concrète. Notre approche tend donc à être pragmatique et liée à la tutelle effective et efficace des différentes manifestations existentielles de l'individu. L'important est de maintenir une dynamique tendant à une valorisation croissante de la personne, de façon à ce que celle-ci puisse avoir à sa disposition des moyens de plus en plus grands pour la protection de ses propres manifestations existentielles, et pour son propre plein développement. Par conséquent, si en chaque circonstance nous essayons d'accentuer la seule dimension individuelle de la protection des droits de l'homme, cela risque d'aller à l'encontre du même individu. L'approche excessivement individualiste, risque de faire diminuer l'importance de la contribution possible des sociétés intermédiaires pour l'individu. Cela peut aussi inciter l'État à intervenir pour la fourniture des services qui sont nécessaires au plein développement de la personne humaine et à la sécurité juridique.

© Mark Entin, Pasquale Policastro, 2010

№2(41), 2010