BRICS: l'arrivée d'un nouvel acteur à l'échelle mondiale*


Hier encore, les meilleurs experts du monde hochaient de la tête, le regard pensif. BRICS avait l’air de quelque chose d’éphémère, d’imaginaire. A l’instar de l’énigmatique sourire du chat de Cheshire chez Lewis Carroll , plutôt que quelque chose de concret. Rien à voir avec l’OTAN ou l’UE. Là, tout est clair. Il y a du poids : tout est défini, tout se sent et se mesure partout. Mais les sceptiques deviennent de moins en moins nombreux. De plus en plus de spécialistes avouent: sous nos yeux, BRICS est en train de s’affirmer comme un acteur international influent à l’échelle mondiale.

Cette constatation ne suffit pourtant pas. Elle signifie seulement que l’on commence à compter avec BRICS qui est un nouveau phénomène apparu sur la scène politique mondiale. Pas plus. Autre chose nous intéresse pourtant. Il n’importe pas seulement de savoir que le processus soit en cours, mais aussi à quelle étape de son mûrissement international il est. Il importe de discerner les traits particuliers de la phase actuelle de transformation de BRICS en un acteur mondial, de savoir ses traits caractéristiques, de comprendre ce qui peut la freiner ou au contraire agir sur elle comme un stimulateur. Il faut se faire une idée nette des suites de ce processus. A brève échéance, aussi bien que dans l’avenir plus éloigné.

Une analyse tout au moins de deux groupes de questions liées entre elles s’impose pour parvenir à faire une évaluation plus ou moins fiable. Les réponses aux questions du premier groupe nous permettront de voir ce qui arrive effectivement à BRICS. Elles dresseront une image objective de l’évolution de la formation. Les réponses aux questions du second groupe nous permettront de voir comment le monde environnant accueille ce qui est en train de se passer, comment le miroir déformant de l’opinion publique la reproduit. Il arrive souvent que le regard subjectif sur tel ou tel phénomène s’avère être de loin plus important que le phénomène lui-même et permet d’en avoir une vision inattendue. Attaquons donc le sujet.

 

L’image objective et ses composantes

On évoque d’habitude toute une panoplie de paramètres pour juger tel ou tel acteur international : la population, le PIB, la puissance totale, etc. Bien que d’aucuns les évoquent pour décrire BRICS, c‘est prématuré. Ces données pourront avoir de l’importance à l’avenir, si BRICS finit par se transformer en quelque chose de cohérent et homogène. En attendant, les statistiques de la population (43% de la population du globe), de la part croissante dans le produit mondial, des finances accumulées ou du poids spécifique dans les échanges mondiaux, ainsi que l’évocation de la participation au G20 caractérise plutôt les pays qui constituent BRICS, plutôt que ce dernier dans son ensemble. Ce sont les choses à ne pas confondre.

Les paramètres qui nous intéressent, devraient décrire le BRICS. Et le faire d’une manière exhaustive. Nous nous bornerons donc aux points suivants : l’étendue des problèmes évoqués en commun; la disponibilité pour désigner les priorités; la capacité de prendre les décisions sur les points débattus; et la vision stratégique de l’avenir. Nous allons voire comment ces points caractérisent le sujet.

 

L’étendue des problèmes évoqués

Nous nous attaquerons d’abord au premier des éléments énumérés ci-dessus. Les faits témoignent d’une façon probante que l’agenda de BRICS devient de plus en plus large et saturé d’année en année. De nouveaux formats de coopération se créent. La Santé et la pharmacologie sont notamment entrées dernièrement dans la sphère des intérêts de BRICS. Un réseau de coordinateurs a été créé pour la coopération scientifique et technique, etc. Procédant pour commencer aux échanges d’opinions sur les généralités du développement économique et de la coopération et sur la recherche des approches communes des problèmes globaux, les pays de BRICS sont passés ensuite à la concertation des leurs prises de positions à l’égard des points plus concrets et pragmatiques, y compris à l’égard des points techniques, mais aussi à l’égard des points cruciaux de politique mondiale.

Le quatrième sommet de BRICS de New Delhi a notamment été l’occasion d’évoquer toute une gamme des thèmes relevant des compétences de l’ONU, du FMI, de la Banque Mondiale, de l’OMC, du G20, de la Conférence de l’ONU pour le développement stable, de la Conférence des Parties à la Convention pour la diversité biologique et de nombreux autres défis à la prospérité et à la stabilité globale, tout comme à la situation politique au Proche Orient et en Afrique du Nord en général. En voici quelques exemples. Ont été évoqués les méthodes utilisables pour couper les risques et se prémunir contre le caractère volatile des flux de capitaux transfrontières, la nécessité d’une plus forte coordination des politiques appliquées et de la coopération consolidées dans le domaine de la gestion des finances et de leur contrôle, les méthodes de restructuration en vue d’accélérer la croissance, qui crée les emplois, le règlement des conflits internationaux les plus significatifs, qui génèrent la tension à l’échelle globale.

Il suffit de comparer l’étendue des sujets inscrits à l’agenda d’un G20, d’un G8, de plusieurs autres forums pour s’assurer du fait qu’elle est plus vaste, mieux remplie et plus représentative. Puisque c’est ainsi, nous déplaçons la première boule vers la droite sur notre boulier virtuel à l’aide duquel nous évaluons le degré de transformation de BRICS en acteur international. En ce qui concerne ce paramètre, BRICS est parmi les leaders mondiaux. Ce paramètre est cependant purement formel. Il importe de loin plus de savoir comment est abordé tel ou tel thème que le thème lui-même. Les sujets suivants sont plus substantifs sur ce plan.

 

La désignation des priorités

Le deuxième paramètre est l’établissement d’une échelle des priorités sans laquelle aucune communauté ne saura devenir acteur international. Un acteur international reconnu comme tel se propose, bien entendu, un agenda le plus large et significatif. Mais ce n’est pas tout. Il évite consciemment d’entasser les problèmes pour les régler en bloc ou de les énumérer. Il met en relief l’essentiel pour lui-même et pour l’entourage à l’instant même, aussi bien que pour l’avenir plus éloigné.

Essayons de voir comment BRICS s’acquitte de la hiérarchisation des priorités. Il semble que BRICS réussit à formuler ce qu’il attend des autres. Nous nous bornerons à donner quelques exemples pour appuyer cette conclusion. De l’avis de BRICS, le G20 est à présent le forum principal de la coopération économique internationale. Le sommet de New Delhi a été l’occasion de souligner que l’objectif primordial du Groupe est à présent de faciliter la coordination de la politique macroéconomique, de contribuer au rétablissement économique global et d’assurer la stabilité financière en usant entre autres de l’architecture monétaire et financière internationale perfectionnée.

Le Sommet a adressé les souhaits s’accordant par leur forme à la Banque Mondiale. Il l’a exhorté à donner une plus grande priorité à la mobilisation des ressources et à satisfaire la demande en financement du développement, tout en réduisant le coût des emprunts et en usant d’instruments de crédit innovateurs. Les leaders nationaux de BRICS ont estimé que la Banque devait évoluer pour que l’institution se chargeant dans la plupart des cas de la médiation entre le Nord et le Sud, se transforme en institution d’encouragement du partenariat égal avec tous les pays pour régler les problèmes de développement et pour servir de moyen pour en finir avec la division dépassée entre les donneurs et les receveurs .

BRICS s’est prononcé également au sujet du choix des priorités globales. Les leaders de BRICS ont notamment évoqué au nombre des défis les plus importants que le monde doit relever à présent, l’accélération de la croissance et du développement global, en même temps que la sécurité alimentaire et énergétique. Conformément au tableau décrit par le sommet de New Delhi, ils jouent le premier rôle pour régler les problèmes du développement économique, pour surmonter la misère, pour faire face à l’inanition et la sous-alimentation dans de nombreux pays en voie de développement. La création de nouveaux emplois nécessaires pour améliorer le niveau de vie dans le monde entier est d’une importance particulière, pense-t-il. Le développement stable est l’élément crucial de l’ordre du jour du Sommet, appelé à assurer le redémarrage de l’économie mondiale et des investissements dans sa future croissance.

Il s’avère que pour BRICS est moins facile de désigner les priorités de ses propres activités. Nous pouvons, néanmoins, constater des changements positifs. Le groupe s’est concentré notamment sur l’aplanissement des divergences qui se sont annoncées entre la Russie et la Chine d’une part et l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud d’autre part, et il a réussi à atteindre l’objectif qu’il s’était assigné. La Russie et la Chine se sont prononcées à partir des positions concertées à l’Assemblée générale de l’ONU et au Conseil de Sécurité au sujet de la Syrie, tandis que l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud s’en tenaient à une approche différente.

A l’approche du sommet de New Delhi, BRICS a levé la majeure partie des contradictions entre ses membres. Il a réussi à concerter les prises de positions sur la Syrie qui ont arrangé les membres permanents du Conseil de Sécurité faisant partie de BRICS. Le sommet a notamment fait savoir que le groupe pratiquait l’approche fondée sur les méthodes paisibles, encourageant un large dialogue national sur les axes variés. Le dialogue se basant sur le respect de l’indépendance, de l’intégrité territoriale et de la souveraineté syrienne répondrait aux aspirations légitimes de toutes les couches de la société syrienne. Les membres du groupe se sont entendus de se charger de la mission concrète consistant à favoriser le processus politique inclusif, géré par les Syriens, qu’ils ont proposé d’appuyer sous une forme voilée à l’ONU, aussi bien qu’à la Ligue des Etats arabes.

 

La capacité de prendre les décisions

Les consultations très difficiles sur le dossier syrien ont prouvé qu’en ce qui concerne le troisième paramètre, à savoir sa capacité de prendre des décisions concrètes, BRICS est proche d’être conforme, bien que pas à 100 pour 100 encore. Il continue encore à être plutôt une place des négociations et des consultations plutôt qu’une structure dont on s’attend à des actes et/ou aux instructions concrètes à suivre. Bien qu’il commence à prendre des décisions que les tiers pays et les autres centres de puissance ne peuvent pas méconnaître, compte tenu du poids et de l’autorité de ses membres.

Le troisième paramètre, à savoir la capacité de prendre les décisions concrètes, sert dans une certaine mesure à déterminer à quel point tel ou tel sujet des relations internationales et acteur engagé dans le processus politique global est prêt à prétendre à la fois au rôle d’acteur international, à s’en charger et à s’en acquitter. Parce que le débat engagé en conformité avec l’agenda le plus vaste et sous la forme la plus aiguë et expressive, restera stérile s’il s’arrête au stade de l’échange des opinions.

Un acteur international doit proposer des solutions pratiques et disposer des possibilités d’agir en conformité avec ces décisions, c’est-à-dire d’agir tout au moins lui-même en conformité avec ces décisions nonobstant la réaction de l’environnement et, dans l’idéal, savoir convaincre les autres de les prendre au sérieux ou de les imposer. En d’autres termes, l’acteur international est celui qui prend les décisions, qui ont la dimension intérieure, aussi bien qu’extérieure. Le joueur international est celui dont la parole ne se dissocie pas des actes, qui est capable d’insister sur son point de vue. Tous les projets globaux du genre de BRICS s’engagent dans ce but, précisément. Sinon, le jeu n’en vaut pas la chandelle.

Il serait cependant prématuré de juger à quel point BRICS s’est affirmé dans le rôle d’acteur international, si nous nous appuyons sur ce paramètre. Les faits nous manquent encore. Il nous faut davantage de preuves pour appuyer la thèse d’après laquelle les pays de BRICS se croient obligés de suivre la ligne élaborée ensemble. Il faut qu’on s’assure en pratique qu’ils réussissent à faire accepter leurs approches par le biais des organisations universelles et les autres organisations internationales les plus influentes ou par le biais des forums convoqués à cette fin.

Pour l’instant, nous pouvons constater une seule chose sûrement, à savoir que BRICS est sorti de la première phase de son affirmation en tant qu’acteur international de poids. Il commence à déclarer avec insistance les prises de positions et les propositions élaborées ensemble et il est au seuil de l’étape, à laquelle il en fera accepter quelques-unes. Pas toutes – cette étape suivra après – mais en attendant il le fera d’une façon relativement sélective. Il est vrai que chaque prise de position, chaque proposition est sans exagération d’une importance fondamentale pour la gestion concertée des processus internationaux en cours, et pour l’évolution de l’architecture mondiale actuelle, toute indéfinie et fragmentée qu’elle ne semble.

BRICS propose régulièrement déjà des solutions pratiques sur les points d’envergure, comme la stabilisation de l’ordre économique mondial et la réforme financière mondiale. Depuis l’étape de New Delhi il le fait également au sujet des actualités politiques internationales. Je me bornerai de citer quelques exemples en ce qui concerne la prise des décisions internes et les propositions en vue de régler les problèmes politiques internationaux d’actualité.

On ne saura pas trouver un problème plus aigu et contradictoire que celui du programme nucléaire iranien, quant au scénario que suivront les relations internationales : rationnel ou irrationnel, de réconciliation ou de catastrophe. La spirale des contradictions se serre de plus en plus autour de ce problème. Les spéculations deviennent de plus en plus dangereuses. BRICS a cherché naturellement à s’exprimer avec le maximum de clarté à son sujet. Le sommet de New Delhi a émis un clair avertissement : il est inacceptable que la situation autour de l’Iran dégénère en conflit aux conséquences catastrophiques imprévisibles qui ne répondront aux intérêts de personne. Une désescalade s’impose. Les leaders de BRICS ont confirmé le droit de Téhéran à l’exploitation civile de l’énergie nucléaire en conformité avec ses engagements internationaux. Ils se sont prononcés en faveur du règlement des problèmes subséquents par les méthodes politiques et diplomatiques en conformité avec les résolutions correspondantes du Conseil de Sécurité des Nations Unies. En faveur du dialogue entre les parties concernées, y compris entre l’Iran et l’AIEA. Contre son exclusion du système bancaire mondial.

Ils ont inscrit en même temps leurs propositions au sujet du règlement de la situation autour du programme nucléaire iranien dans le contexte plus large des opinions au sujet de la façon de régler les autres problèmes de la grande région du Proche Orient. Ils se sont prononcés pour appuyer la mission de Kofi Annan. Ils ont déclaré qu’ils étaient prêts à faire le nécessaire pour la faire aboutir. Ils ont confirmé leur prise de position bien connue en ce qui concerne le règlement au Proche Orient. Ils n’ont pas laissé sans attention l’évolution de la région, suite au printemps arabe.

Citons — pour une plus grande représentativité — une série des solutions concrètes prises dans le domaine de la politique des crédits et des finances. Le sommet s’est dit satisfait de ce qui a déjà été accompli, à savoir de la signature de l’Accord général sur les lignes de crédit en monnaies locales dans le cadre du mécanisme de coopération interbancaire de BRICS et de l’accord multilatéral de confirmation des accréditives entre leurs banques d’export-import/ leurs banques pour le développement, en insistant que d’ici quelques années, ils offriront des chances pour étendre les échanges entre les pays de BRICS. Il a tracé la voie vers de nouveaux objectifs, en envisageant la possibilité de création de sa propre Banque pour le développement en vue de mobiliser les ressources dans le cadre des projets dans le domaine de l’infrastructure et du développement stable dans les pays membres de BRICS, ainsi que dans d’autres pays en transition et dans les pays en voie de développement. De l’idée des puissances formant BRICS, la Banque se joindrait aux efforts des institutions financières internationales et régionales, visant à assurer la croissance et le développement global. Le sommet de New Delhi a chargé les ministres des Finances d’étudier la faisabilité et la fiabilité de cette initiative, en mettant en place un groupe de travail en vue de son élaboration plus détaillée et de charger ce groupe de travail de rédiger le rapport d’ici le prochain sommet. En conformité avec les chiffres évoqués, le capital initial de la Banque pourrait s’élever à quelques 30 à 50 milliards de dollars.

Les décisions concrètes adoptées par les leaders de BRICS, font plus de lumière sur le système de leurs prises de positions à l’égard des problèmes plus variés ayant trait à la façon de surmonter les conséquences de la crise économique globale et d’édifier une nouvelle architecture économique globale. En voici les éléments les plus significatifs. Ils ont confirmé leur intension d’insister fermement sur la consolidation fiscale, sur la discipline budgétaire et sur le respect des autres exigences du plan d’action de Cannes, de compléter ce dernier des clauses qui auraient permis de mieux discerner les embryons de crise, surtout dans l’économie des pays industrialisés. Ils se sont prononcés en faveur de l’achèvement des négociations sur la nouvelle formule des quotas du FMI tout au début de 2013, comme c’était prévu, compte tenu de leur prise de position. A leur avis, elle doit se fonder sur le PIB en parité avec la capacité d’achat sans hypertrophier la valeur de l’ouverture de l’économie nationale. Sinon et sans avoir accès de l’information fiable sur ce qui se passe dans la zone EURO, les pays qui constituent BRICS, n’accepteront pas de réviser à la hausse leurs apports au FMI en vue d’assurer une croissance des fonds sur une large échelle (de l’ordre de 500 à 600 milliards de dollars), que le FMI pourrait utiliser pour renflouer les économies en détresse. En attendant, la communauté internationale est l’otage des pays moyens de l’UE, qui devraient reculer dans les classements mondiaux suite à une telle révision des quotas pour laisser les économies émergeantes occuper leurs places. Ils ont exhorté à donner de plus strictes fonctions de supervision au FMI ; à procéder au contrôle international le plus strict de la politique budgétaire et fiscale appliquée au niveau national, sans lequel la consolidation financière continue à être très inerte. Les phénomènes de crise s’intensifient. Le risque de débordement des processus de crise subsiste.

 

La profondeur stratégique

La capacité de réaliser telle ou telle décision ne fait pas encore un acteur international accompli de la nouvelle formation internationale, tant que celle-ci n’a pas de sa propre stratégie. Tant qu’elle n’a pas déterminé son propre avenir. Tant qu’elle n’a pas appris à user des instruments déjà disponibles pour se diriger étape après étape vers les objectifs qu’elle s’est assignés à long terme. D’ici là, les décisions concrètes appuyées par l’acteur international n’agiront pas d’une façon systémique sur le processus politique mondial. Elles ne feront pas la pluie et le beau temps. Son influence restera locale et fragmentaire.

L’exemple de l’Union européenne est significatif de ce point de vue. Depuis une longue date déjà, l’UE applique une politique internationale et une politique de sécurité commune. Elle élabore des méthodes et des procédures. Elle forme une culture politique particulière de concertation des intérêts et de réalisation du principe de la solidarité. Elle accumule l’expérience. Résultant notamment des dizaines d’opérations militaro-civiles et civiles à l’étranger. Ce n’est qu’une décennie après l’entrée en vigueur du traité de Maastricht, fondant l’UE, que l’intégration passe à l’étape de l’élaboration et de l’adoption de la stratégique correspondante. Tout au long d’une décennie elle reste encore purement déclarative sous de nombreux aspects.

Ce n’est que le Traité de Lisbonne qui donne du relief à la vision stratégique de la future évolution des activités extérieures de l’UE. Bruxelles met en place sa propre fonction diplomatique sous la forme du Service européen des actions extérieures pour lui déléguer une partie des pouvoirs exercés jusque là par les Etats membres, ainsi que par les Etats membres et par les institutions et les organisations de l’UE investis du pouvoir.

C’est un point de vue formel. Si l’on prend en considération l’influence réelle, de nombreux analystes doutent de l’efficacité de la politique extérieure commune, de la politique de sécurité et de défense de l’Union européenne. On lui reproche d’être chétive, mal articulée, sujette aux nationalisations sporadiques de tel ou tel secteur, etc. Ils mettent l’accent sur le fait que les Etats membres restent acteurs internationaux autonomes en ce qui concerne la politique extérieure. Bien sûr que ce point de vue a le droit de cité. Sans être tout à fait correct. En effet, l’UE est un acteur international du premier plan en ce qui concerne de nombreux points de l’agenda global (l’économie verte, le développement stable, le climat, la jurisprudence internationale, etc.). L’UE le définit. Elle entraîne les autres derrière elle.

Force est de constater que l’application du critère de la profondeur stratégique même à l’UE, qui semble être un acteur international accompli et universellement reconnu, ne donne pas de résultat indiscutable. Il est naturel que BRICS doive faire face aux difficultés de loin plus nombreuses.

BRICS manque de cohésion même en ce qui concerne la direction dans laquelle ce groupe doit avancer. Il est évident que les puissances qui en font partie aimeraient voir que les approches qu’elles défendent et les intérêts dont elles font la promotion soient mieux pris en considération dans la politique mondiale, elles se prononcent pour une révision du partage des pouvoirs, de la puissance, de l’influence et du bien-être en faveur des économies émergentes et au détriment des puissances qui ont dominé jusqu’ici. Par conséquent, l’affirmation des rapports internationaux plus équitables, plus égaux et plus réservés, le renoncement à l’action unilatérale et à la tendance pour imposer ses volontés au monde et pour entreprendre toutes sortes d’actions violentes en détour de l’ONU s’accorde mieux avec leur vision. Reste à savoir comment y arriver.

Pour ce qui est du nouvel ordre mondial, elles ont mal à s’entendre même au sujet de l’allongement de la liste des membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unies et, éventuellement, en ce qui concerne la précision de l’étendue de ses pouvoirs. Le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud voudraient que BRICS se prononce pour qu’ils siègent en permanence au Conseil de Sécurité en qualité de leaders et de représentants des continents et des subcontinents correspondants. La Chine n’a rien contre à part la crainte que cela n’offre un prétexte à d’autres Etats importants pour prétendre au statut analogue. Or, la Chine veut éviter à tout prix de voir quelques unes de ces puissances au nombre des membres du Conseil de Sécurité. C’est la raison pour laquelle elle préfère se prononcer pour la préservation du statut-quo. Quant à la Russie, n’importe quelle variante l’arrangerait, en parole en tout cas, si les autres membres du groupe BRICS et l’ONU dans son ensemble arrivent à s’entendre. Moscou suit cette ligne à l’ONU depuis de longues années déjà.

Pour ce qui est de l’avenir de BRICS, les différences entre les opinions professées à l’intérieur même du groupe sont trop importantes. Moscou œuvre pour transformer BRICS en un acteur international actif, fondé de vastes pouvoirs dans toute la gamme des actualités internationales et globales, capable non seulement de discuter, mais aussi d’agir et de défendre les intérêts des pays engagés. Pékin se prononce également pour la consolidation de BRICS sous tous les aspects. Sur ce plan, la Russie et la Chine forment un pôle de BRICS, le second pôle étant constitué par le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud. Ils sont circonspects pour tout ce qui relève de l’institualisation et de la formalisation des activités. L’existence de BRICS en forme d’une structure informelle, d’une place de consultation et d’élaboration des nouvelles prises de positions dans l’arène internationale, mais aussi dans le cadre d’autres forums, les arrangerait.

Certaines nuances distinguent les attitudes adoptées par la Russie, par la Chine, par le Brésil, par l’Inde et par l’Afrique du Sud en ce qui concerne d’adhésion de nouveaux membres ou de l’engagement d’autres puissances sous telle ou telle forme dans les activités du groupe. Il est de notoriété universelle que tout un nombre de pays importants d’Asie, d’Afrique et d’Amérique Latine aimeraient devenir membres du groupe. Il existe des divergences entre les approches adoptées par les pays adhérents à l’égard d’autres aspects de l’évolution du groupe. Il est donc prématuré de prétendre que BRICS a sa propre vision stratégique de l’avenir et sa stratégie pour atteindre les objectifs que le groupe s’assigne.

Des progrès s’annoncent néanmoins sur ce plan. A l’occasion du sommet de New Delhi, la Russie a formulé l’initiative visant de fait à donner une dimension stratégique à BRICS. On peut prendre connaissance du passage correspondant de l’intervention du président russe sur le site www.kremlin.ru. Schématiquement, Moscou a formulé plusieurs idées de principe. Il voit l’évolution stratégique de BRICS comme la transformation de ce mécanisme de dialogue et de consultation en une institution de coordination sur toute la gamme des points relevant de ses compétences. Le cercle des thèmes débattus par BRICS s’étend. S’y ajoutent notamment la science, la culture, l’exploitation des sous-sols et la coopération pour surmonter les conséquences des fléaux naturels et des catastrophes technologiques. Un mécanisme des rencontres systématiques des représentants des pays chargés de la sécurité nationale, etc., doit être créé. Une stratégie de développement de BRICS doit être élaborée et approuvée. Elle comprendra les chapitres consacrés aux principes de fonctionnement du groupe, aux objectifs poursuivis, à ce qui rapproche et unit les pays adhérents.

Un trait positif témoignant du potentiel de consolidation de BRICS en qualité de l’un des principaux acteurs internationaux est à noter : le sommet s’est prononcé en faveur de la création d’un groupe de travail en vue de l’élaboration d’une telle stratégie. On peut s’attendre à ce que le premier croquis soit élaboré par la partie russe. Les pays du groupe n’ont nulle intention de trainer en longueur avec les négociations de concertation de ce document.

Dressons le premier bilan. A en juger d’après les quatre premiers paramètres, que nous avons choisis, BRICS est déjà devenu un acteur international de poids. Il en est capable et il se charge avec de plus en plus d’assurance de ce rôle. Son agenda est celui d’un acteur international. Il distingue les priorités des problèmes qui se posent devant la communauté internationale, et des objectifs à atteindre à partir des positions des Etats qui font partie du groupe, aussi bien qu’à travers le prisme du bien universel. Pour ce qui est de sa capacité de prendre les décisions d’importance globale et de leur réalisation, c’est-à-dire de l’utilisation de la puissance réunie des pays qui en font partie pour atteindre les objectifs communs, BRICS a fait de notables progrès dans la voie de sa transformation en acteur international. Mais pour ce qui est de la profondeur stratégique de ses activités, le groupe n’est qu’au début du chemin.

 

La vision changeante de BRICS

Il est déjà un fait que BRICS avance vite dans la voie de sa transformation en une nouvelle force politique dans l’arène internationale d’après la série des paramètres évoqués ci-dessus. Il faut pourtant que tout le monde considère BRICS comme un acteur international influent pour que le groupe soit capable de mettre en valeur son potentiel. Il pourra faire un bond qualitatif dans ce cas.

Il est une chose quand tu dois te débattre péniblement pour arriver à tes objectifs et quand les autres ne t’écoutent que dans le cas où ils n’ont pas d’autres choix. Il en est une chose différente quand on t’invite avec insistance à t’asseoir à la table. Quand on a besoin de toi. Quand on te fait la cour. Quand on te fait la place, pour que tu puisses assumer une partie de la responsabilité de l’avenir de l’économie et de la politique mondiale.

Sur ce point, les élites politiques des Etats Unis et de l’UE, ainsi qu’une partie importante des experts qui se rangent sous leurs bannières, ne sont pas pressés de changer d’avis. Ils sont sceptiques à propos de la crédibilité de BRICS et ils ne se lassent pas de le faire savoir à chaque fois qu’une occasion se présente.

Cette attitude a été exprimée de la façon la plus conséquente dans le rapport sur BRICS et sur la politique recommandée à l’Union Européenne à l’égard de la Fédération de Russie en tant que pays engagé dans le groupe, qui a été élaboré par le Conseil de l’UE pour la politique extérieure (l’ex Conseil britannique pour la politique extérieure). Le rapport est très inspiré. Bien fondé. Il est richement argumenté, s’appuyant sur des statistiques, sur des tours d’horizon rédigés par d’autres centres analytiques.

Le verdict est sévère et il est décourageant pour BRICS et pour la Fédération de Russie. Les auteurs tranchent sans appel. Ils prouvent que BRICS est une formation artificielle et incapable de subsister. Les puissances qui en font partie sont trop différentes du point de vue de leurs régimes politiques, du niveau de développement économique, de leur identification nationale, etc.

La différence des intérêts qu’elles défendent est si importante qu’elles sont vouées à être en concurrence entre elles plutôt que coopérer et collaborer entre elles. C’est la raison pour laquelle BRICS aura inévitablement trop de peine d’aboutir aux approches communes. Même s’il le réussit, cela ne dépassera pas le stade des généralités et des déclarations. Sans jamais aller plus loin. Il n’est pas possible d’édifier une unité fondée uniquement sur l’opposition vis-à-vis de l’Occident organisé.

Qui plus est, BRICS est tissé des contradictions. Celles-ci existaient dès le début. Et elles sont toujours là. On ne saura pas les surmonter. Moscou a terriblement peur de l’expansionnisme chinois. Le Kremlin fait les cauchemars dans lesquels il cède une partie de Sibérie et de l’Extrême Orient après l’autre. Les maîtres du Kremlin se réveillent baignant dans la sueur froide. De quel partenariat réel et encore moins d’une alliance peut-il être question dans cette situation ?

L’Inde et la Chine sont des adversaires plutôt que des alliés. Le souvenir de la confrontation militaire qui les a ébranlées ne s’est pas encore effacé. Le litige territorial n’est jamais réglé. L’Inde et la Chine ont à accéder aux mêmes marchés, et aux mêmes ressources. Les guerres de commerce les attendent encore. Et en plus, la Chine soutient par tous les moyens l’adversaire régional principal de l’Inde, à savoir le Pakistan.

Le Brésil, l’Inde et la Chine sont en train d’édifier les sociétés diamétralement opposées. Quant à l’Afrique du Sud, elle a été invitée à BRICS juste pour donner plus de poids géopolitique. Aucune autre raison ne l’explique. Du point de vue de l’échelle de son économie l’Afrique du Sud est loin derrière pour qu’on puisse en faire une pierre angulaire.

Mais ce n’est pourtant pas l’Afrique du Sud qui est le maillon faible de BRICS, mais la Russie. Les autres procèdent aux réformes structurelles, ils avancent d’un pas assuré dans la voie de rattrapage économique, améliorent leurs indices sociaux et économiques, connaissent un développement rapide et dynamique, deviennent de plus en plus compétitifs sur les marchés mondiaux. Par contre, l’économie et le régime politique de Russie sont en permanence en état de stagnation, sa compétitivité internationale est en baisse. Elle se transforme en fournisseur des matières premières de l’UE et de la Chine. Son avenir n’est pas enviable. Les Etats Unis et l’UE doivent se fonder sur ces constatations en choisissant la politique à appliquer par rapport à la Russie et à BRICS dans son ensemble.

Nous voyons ici une spéculation fondée sur d’autres spéculations, une exagération s’appuyant sur d’autres exagérations. Le silence absolu est fait sur les facteurs objectifs évoqués plus haut. Impossible de ne pas le voir. Mais ce n’est que sur le papier que l’on arrive à passer ses souhaits pour de la réalité. La vie réelle exige d’autres principes d’approche.

Si ce rapport était publié fin 2008- début 2009, il aurait eu du succès. En tout cas, il serait passé pour un ouvrage crédible. Mais la situation a changé substantiellement depuis lors. Les recommandations formulées par ses auteurs ont été accueillies avec méfiance aux nombreux débats engagés dans les capitales européennes. C’est symptomatique.

Une logique différente l’a emporté. Pourquoi se tromper. A quoi bon. Au nom de quoi doit-on se laisser bercer. Les évaluations sceptiques de l’avenir de BRICS et des puissances qui en font partie, les critiques au sujet des faiblesses, des retards, des contradictions internes qui leur sont propres peuvent être justes sous de nombreux aspects, soit, mais ce n’est qu’une face de la médaille.

L’autre face de la médaille est celle de la crise prolongée subie par les pays industrialisés qui ont intérêt à établir des rapports de partenariat plus étroits avec les membres du nouveau groupe et avec BRICS dans son ensemble. Il faut se rapprocher et engager une coopération plus profonde et pas au contraire.

Autrement dit, une partie des experts américains et européens propose par inertie à leurs élites une vision dépassée de BRICS, qui s’accorde mal avec la réalité. Mais les élites commencent à se rendre compte que cette approche est bornée et stérile. Elles constatent qu’elle méconnaît les processus en cours dans le monde, qui vont dans les directions variées. Qu’elle ne s’accorde pas du tout avec la dynamique de développement de l’économie mondiale.

La puissance économique, technologique, d’innovation des anciens centres de force est toujours là. Personne n’en doute. Mais ils faiblissent relativement. Les changements ne peuvent pas être négligés. Et on ne saura pas les négliger. Il est parfaitement naturel dans cette situation que l’on se mette sérieusement à chercher les réponses à la question de savoir pourquoi cela arrive, et qu’est-ce que les anciens centres de force font mal, quelles erreurs ont–ils commis, où sont les avantages concurrentiels des pays de BRICS et du groupe lui-même, pour quelle prise de position doit-on opter à leur égard.

Le fait même que l’on se pose ces questions témoigne déjà que l’arrogance des Etats-Unis et de l’UE par rapport à BRICS commence à disparaître. L’idée qu’ils tiennent en mains toutes les commandes, que tout dépend d’eux, que seulement les solutions qu’ils proposent sont correctes et prometteuses, appartient désormais au passé. La vision du monde d’après laquelle les pays industrialisés servent d’étalon, et que tout le monde doit s’appliquer à correspondre à cet étalon devient de plus en plus discutable et vulnérable. La rhétorique perd petit à petit de son acuité. La réaction de Washington, de Bruxelles et d’autres capitales face au bilan du sommet de New Delhi en dit long à ce sujet : les médias mondiaux et les communiqués officiels en on parlé en termes respectueux.

Un nouveau discours politique se substitue à l’ancien. Il se résume comme suit : tiens, vous voyez que BRICS et les pays qui en font partie ne vont pas mal. C’est particulièrement évident sur la toile de fond des problèmes extrêmement compliqués auxquels se heurtent les Etats-Unis, le Japon et l’Union européenne. Les phénomènes de crise qu’ils subissent sont très difficiles à surmonter. Depuis une longue date, ces pays ont mené un train de vie plus large qu’ils n’auraient du se le permettre. Ils sont en retard sur les réformes structurelles, systémiques et autres sociaux-économiques. Ils se sont trompés en croyant qu’ils ont tout réussi, qu’ils sont imbattables. Par contre, les stratégies de développement choisies par BRICS et par ses membres se justifient. Ces stratégies comprennent des éléments qui peuvent s’avérer utiles pour les pays industrialisés. Quoi qu’il en soit, il faut les examiner, les étudier, les sonder. Les emprunter le cas échéant.

Ces discours mûrissent d’abord au niveau des échanges d’opinions. Ils témoignent seulement de l’état d’esprit en formation chez l’opinion publique. Ils commencent à se transformer en actes à présent. On voit apparaître partout en Europe et ailleurs des centres d’étude de BRICS. Le thème de BRICS s’installe dans les programmes d’études. Des groupes de travail se créent pour étudier tous les aspects des activités et de l’évolution de BRICS et de ses adhérents.

En voici un exemple concret : les projets d’études sur les thèmes liés à BRICS sont inscrits sur le programme septennal des études théoriques de l’Union Européenne qui seront réalisés sous le patronage direct de la Commission européenne et du Service européen des actions extérieures. C’est dire que des millions de dollars et d’euros sont dépensés pour étudier BRICS. Or, les Américains et les Européens n’ont pas l’habitude de jeter l’argent par les fenêtres. Personne se sera payé pour on ne sait quoi.

Les changements dans la politique réalisée par l’Union européenne et par les Etats-Unis témoignent également que les idées qu’ils ont de BRICS évoluent. Bien que l’UE et les USA suivent une ligne politique concertée sous de nombreux aspects dans l’arène internationale, une concurrence aiguë s’annonce entre eux en ce qui concerne l’établissement des rapports privilégiés avec BRICS et avec les pays qui en font partie.

Quoi que Washington ne déclare, quelles que soient ses faux-fuyants, il mise sur les efforts pour contrer BRICS et les pays qui en font partie. Washington cherche à fonder son jeu sur les contradictions qui existent entre les pays de BRICS, une partie desquelles a été évoquée plus haut.

Bruxelles s’assigne un objectif complètement différent : il a des intérêts colossaux dans les pays de BRICS, tandis que son influence dans ces pays est pratiquement négligeable. C’est la raison pour laquelle il est de première importance pour Bruxelles de consolider le dialogue politique avec ces pays, d’accorder à tous les pays de BRICS le statut de partenaire stratégique, de faire de son influence économique un outil politique efficace.

Conscient du fait que les instruments d’influence sur les pays et sur le groupe BRICS dans son ensemble lui manquent, il s’applique à créer les mécanismes qui l’aideraient à faire valoir dans d’autres régions du monde l’expérience d’intégration européenne, à faire accepter universellement son modèle comme normative.

Le fait que d’autres projets de développement transrégional et mondial fassent le jour pour faire concurrence est un témoignage de plus que BRICS est pris de plus en plus au sérieux en qualité d’acteur international. L’accélération des processus d’intégration régionaux qui entravent la pénétration sur les marchés régionaux des sociétés des pays tiers sert de toile de fond générale.

L’idée de Washington de mettre en place une communauté de libres échanges dans le Pacifique à une régulation de loin plus stricte qu’il ne soit acceptable pour les membres asiatiques de BRICS est le projet contraire le plus évident. Le projet d’une communauté économique du Japon, de la Chine et de la Corée du Sud est très intéressant et prometteur du point de vue de la restructuration de l’ensemble de l’économie et de la politique mondiale.

Le fait que des projets qui vont si loin apparaissent est particulièrement symptomatique. Aucune preuve de plus ne s’impose. Les prises de position à l’égard de BRICS, adoptées par les pays tiers et par les centres d’influence évoluent sérieusement. Le groupe est considéré de plus en plus souvent comme un partenaire ou un concurrent dont la force est en croissance. On propose donc des concepts variés d’intégration politique et économique de BRICS dans la politique mondiale et de révision des rapports avec BRICS et avec ses membres. Quelques uns de ces concepts se traduisent déjà au niveau de la réalisation pratique d’une politique.

 

Les initiatives concrètes

Quelques exemples de plus. Je me limiterai à celles de l’Union européenne. Sur le plan de l’élaboration et de la réalisation de la politique économique à l’égard de Moscou, les dossiers russes dont s’étaient occupés jusque là les départements de la Commission européenne chargés de la CEI et de la politique de voisinage, ont été transférés dans les structures chargées du G20.

La Commission européenne propose de cesser de prêter l’assistance technique à la Russie, à la Chine et à l’Inde (aux pays du G20 en général). L’ère de l’aide technique est révolue. Les anciens bénéficiaires sont suffisamment autonomes et riches. Ils disposent de leurs propres ressources de développement. Ils n’ont plus besoin d’aide sous les formes d’antan. Et l’UE ne peut plus se la permettre. A partir de 2014, de nouveaux instruments de financement des projets de coopération avec BRICS doivent être adoptés simultanément avec l’adoption des repères de formation du budget de l’UE. Il s’agira exclusivement de la coopération.

L’Union européenne renonce au système des préférences dans ses échanges de commerce avec la Fédération de Russie. Formellement, cela ne résulte pas des problèmes économiques de la région, ni de la volonté de faire porter partiellement son fardeau économique à quelqu’un, mais fait suite à l’intégration russe dans l’OMC. On s’attendait à ce que Moscou réagisse à cette initiative de Bruxelles qui entraîne de sensibles pertes pour les sociétés russes et pour le budget national. Mais rien ne s’est produit.

Enfin, un exemple le plus éloquent, peut-être : l’Union européenne se débat dans le carcan des dettes souveraines. Il paraît que les mesures qu’elle a élaborées, commencent à donner des fruits. La situation se stabilise. Mais on apprend vite que les efforts accomplis ne suffisent pas.

Face à cette situation, l’UE, l’Allemagne surtout, voudraient atteler BRICS au chariot de sauvetage de la zone euro. Il s’agit concrètement d’une augmentation des sommes que l’on met à la disposition du FMI. Des dizaines, voire des centaines de milliards de dollars. Le schéma dont la promotion est faite par l’Allemagne, est le suivant. Elle a peur de prêter ses fonds aux pays en détresse directement par le biais de la Banque européenne. Elle a peur que cet argent ne disparaisse dans le trou noir. Berlin veut des garanties d’un FMI plus riche et plus influent. Si les autres géants mondiaux délient leurs bourses, l’UE révisera à son tour à la hausse son apport au FMI et l’Allemagne avalisera l’augmentation de fait du « fonds de réserve » de l’UE.

Ces exemples doivent suffire. Il est temps de passer aux conclusions. Elles sont évidentes. En ce qui concerne la politique pratique, le reste du monde commence à prendre BRICS pour un acteur international influent. Un acteur international qui est sur le point de s’affirmer, mais qui est déjà vigoureux et de la part duquel on peut s’attendre à beaucoup de choses.

© Мark ENTINE, docteur en droit, professeur,
directeur de l’Institut européen auprès de l’Université MGIMO
dépendant du Ministère russe des Affaires étrangères

 

* Le texte intégral de l’intervention au Séminaire de travail du Comité National pour l’étude de BRICS «Le quatrième sommet de BRICS (de 28 au 29 mars 2012, New Delhi, Inde) et son bilan pour la Russie», l’Université d’Etat Lomonossov, le 19 avril 2012.

№7-8(68), 2012