Présent et avenir de l'Union Européenne considérés au moyen des outils juridiques du renforcement de l'intégration


Сценарные варианты гибкого углубления интеграции в ЕС и механизмы ее обеспечения

Les résultats des élections au Parlement européen de mai 2019 ont montré de manière convaincante que la population soutenait inconditionnellement le projet européen. Le tournant vers les euro-sceptiques, les populistes et l’extrême droite n’a pas eu lieu. Début juillet, les dirigeants politiques des États membres ont annoncé par les nominations aux postes les plus élevés de l’Union européenne: la trajectoire antérieure d’intégration et de renforcement de sa dynamique sera poursuivie.

Durant la dernière décennie, l’Union Européenne a forgé une large panoplie d’outils et mécanismes divers et variés lui permettant d’étendre, de renforcer et de moderniser ses compétences, ainsi que celles de ses institutions, d’où globalement résulte un renforcement de l’intégration. Ces outils et mécanismes à l’heure actuelle sont particulièrement en demande. L’UE continue toujours à être aux prises avec nombre de défis, mais leur nature a fondamentalement changé par rapport à il y a un an ou deux d’ici. Ces défis amènent l’UE et ses Etats-membres à raviver le projet de construction européenne. Ils n’ont plus le choix. Tout autre scénario risque d’avoir des conséquences catastrophiques. L’UE et ses Etats-membres seront contraints de miser sur le reformatage de l’Union afin de la rendre plus efficace et compétitive. Les grandes lignes du réaménagement de l’UE ne font que prendre forme ; elles seront précisées et ajustées. Mais les outils nécessaires pour mettre en œuvre tout scénario positif quel qu’il soit sont déjà prêts. La question n’est pas de savoir s’ils vont être utilisés, mais de quelle manière ils le seront.

 

L’importance d’analyse objectif de l’UE

Quel que soit le niveau de tension et de la difficulté de nos relations actuelles avec l’Union Européenne, il reste toujours notre voisin sur le continent, un partenaire politique et économique de premier plan ; il fait partie d’une richissime civilisation à laquelle nous appartenons ensemble. Par conséquent, il est extrêmement important de définir à son égard une ligne de conduite juste, rationnelle, raisonnable, propice à notre pays – à l’Etat, à la société, au monde des affaires et à chaque individu.

Pour ce faire, il faut bien comprendre ce qui se passe au sein de l’UE, quelle direction il suit, quel choix il doit affronter, quel est son potentiel d’auto-développement, à quoi en somme il faut s’attendre de sa part. Les études européennes en Russie accordent une grande attention à quelques éléments-clés permettant de trouver une réponse aux questions posées ci-dessus [Европейские исследования 2017; 30 лет 2017; Громыко 2017].

Plusieurs publications sont consacrées à l’analyse des phénomènes de crise, auxquels l’UE a dû faire face, et des perspectives de reprise des relations entre la Russie et l’UE sur des bases plus saines et pragmatiques [Громыко 2018; Европа XXI 2017; Современная Европа Ч.I 2017; Современная Европа Ч.II 2017]. Des experts russes examinent de façon approfondie différents scénarios de l’évolution de l’UE, y compris les plus négatifs inspirés du retrait du Royaume-Uni de l’Union Européenne [Будущее Европы 2018; Kaveshnikov 2016]. Presque tous ces experts réagissent avec promptitude face aux déclarations des leaders de l’UE révélant les projets portés par l’élite politique de l’UE, ainsi que face aux récents documents-programmes de ses institutions.

Par ailleurs, une composante fondamentale de la réponse reste souvent hors du cadre des études menées par les auteurs russes, à savoir l’évaluation du potentiel et de la capacité de l’UE d’avancer, en termes institutionnel s et juridiques, sur le chemin de la consolidation interne et du renforcement de l’intégration. Pourtant les outils juridiques de la mise en œuvre des réformes, dont dispose l’UE, ainsi que les mécanismes de l’amélioration de l’efficacité de son propre fonctionnement, qu’elle peut mettre à profit dès à présent, sont éminemment importants, puisqu’ils conditionnent la faisabilité de toute intention de l’élite politique européenne d’élever l’Union à un niveau de compétitivité incomparablement supérieur dans des conditions de changement de rapport de forces sur la scène internationale.

Compte tenu du dernier développement des évènements, la communauté d’experts émet des grandes réserves devant la disponibilité des élites politiques européennes à entamer une nouvelle étape d’une amélioration de la régulation supranationale du marché intérieur unique et de l’espace commun de sécurité intérieure et extérieure [Силаев, Сушенцов 2018]. Mais ces doutes entrent plutôt dans la catégorie des spéculations politiques. Comme, d’ailleurs, ceux portant sur l’aptitude de l’UE et de ses Etats-membres à finaliser la mise en œuvre de l’union bancaire, budgétaire, fiscale, énergétique et migratoire et de s’occuper de son parachèvement pratique, et non seulement déclaratif, en les complétant par une union politique et une alliance défensive.

Il est évident que des conditions préalables appropriées doivent avoir mûri pour rendre possible toute percée de l’Union Européenne. Ces conditions préalables deviennent de plus en plus nombreuses et se transforment même en impératifs. N’en mentionnons que quelques-unes, à savoir : une accumulation de disparités et d’instabilité dans la politique et l’économie mondiales, susceptibles de provoquer une énième crise financière et économique mondiale*1; des menaces pesant sur les intérêts politiques et commerciaux de l’UE, venues de la part de la Chine, de plus en plus puissante et imposante, ainsi que de la part d’autres pays émergents ; une politique sévère de pression, menée contre l’UE par le milieu des affaires des USA et l’administration du président Trump; un choix profondément erroné en faveur de la confrontation avec son allié naturel civilisé qu’est Moscou, confrontation qui affaiblit l’UE à bien des égards [Энтин, Энтина 2018].

Ce qui est non moins important, c’est de savoir si l’UE est capable d’honorer ses engagements de renforcer le caractère supranational de son fonctionnement au moyen des outils juridiques qu’elle a à sa disposition, si elle a accumulé une panoplie de moyens et de mécanismes juridiques suffisante pour être efficacement utilisée au moment opportun; si ces moyens et mécanismes offrent une réelle possibilité d’obtenir les résultats escomptés. O n voudrait amener le lecteur à analyser cet aspect de la problématique européenne, en lui soumettant au préalable un examen soigneux de ses autres composants, dans l’intérêt d’une approche systémique.

 

Propagation des signes de crise vers le domaine politique ou

Au sein de l’Union Européenne il ne reste pratiquement plus de pays qui ne subissent pas un état de turbulence politique et/ou qui ne soient pas confrontés à d’importants problèmes socio-économiques. Même l’Allemagne, qui est le leader inconditionnel de l’UE et qui assume le rôle de pilier, a dit adieu à la stabilité politique [Германия 2018; Европа 2018].

A l’issue des élections législatives, les partis politiques classiques ont perdu une part significative de leurs voix. Les populistes d’extrême-droite constituent désormais la force d’opposition nationale la plus importante, ce qui hier encore semblait impossible. La CDU, l’Union chrétienne-démocrate d’Allemagne, pendant un long moment n’arrivait pas à se mettre d’accord avec ses partenaires potentiels sur la composition et le programme du gouvernement. Ce n’est pas de gaité de cœur, et avec grande difficulté que l’establishment allemand a formé une «nouvelle vieille» grande coalition : elle porte un caractère purement opportuniste et, par conséquent, instable.

Cela a été mis en évidence au début de l’été 2018 suite à un conflit gouvernemental interne entre les partis-frères, la CDU et la CSU, au sujet du degré de durcissement de la politique migratoire [Civil war 2018]. Ce conflit a porté ombrage à l’Union Européenne dans sa totalité [Белов 2018]. Ainsi, le système politique d’Allemagne lui-même a-t-il commencé à générer une instabilité politique. L’Allemagne est tombée bien bas dans l’estime de l’opinion publique européenne, et la confiance en ses qualités de leader a été ébranlée.

La majorité au pouvoir et le gouvernement du Royaume-Uni se trouvent dans une situation extrêmement difficile. Ils subissent un échec sur trois fronts à la fois. Premièrement, les négociations de la sortie de l’UE sont menées par Londres si «habilement» que personne, ni au Royaume-Uni, ni dans l’UE ne serait en mesure de comprendre, en quoi consistent les véritables intentions et les réelles positions britanniques. Ce n’est qu’en juillet 2018, après avoir perdu tellement de temps, que Theresa May, Premier Ministre du Royaume-Uni, a enfin réussi à convaincre son propre gouvernement (!) d’adopter une approche commune de «demi-Brexit» [Ананьева 2018]. Mais l’in-folio multipages de propositions, préparé par son équipe, à cause de son caractère «omnivore» n’a satisfait ni les Britanniques, ni Bruxelles, même si Theresa May, malgré des mises en garde, a quand même envoyé les membres de son cabinet faire le tour des capitales européens avec la consigne d’essayer de le «vendre» [Parker, Giles 2018]. La même histoire s’est produite avec «le traité de divorce» et la déclaration adoptée par le Royaume-Uni et l’UE. Lors des élections au Parlement européen, les électeurs ont exprimé leur indignation face à la politique de manoeuvres insensées. Après la démission forcée de T h eresa May, l’incertitude n’a fait que s’intensifier.

Deuxièmement, le gouvernement, étant déjà affaibli par les scandales antérieurs liés à des mensonges et l’incompétence, a été déserté (en dépit de ce qui avait été convenu) par des ministres-clés, qui ont lancé une campagne enragée visant à discréditer la stratégie gouvernementale [Pickard 2018]. Une fois de plus Theresa May a démontré qu’elle est un Premier ministre non convaincant, un mauvais stratège et un dirigeant malhabile (ce que les médias populaires britanniques n’ont jamais mis en doute), et que son gouvernement ne fait pas autorité*2. D’après les sondages d’opinion, si des élections anticipées avaient lieu, la balance pencherait du côté des travaillistes*3.

Troisièmement, les conservateurs essaient de compenser leurs bévues de politique intérieure et leur incapacité à atteindre un résultat décent dans les altercations avec Bruxelles par une suractivité et une combativité dans le domaine de la politique extérieure, et notamment dans les dossiers concernant la Russie, les Balkans Occidentaux, la défense et quelques autres. Néanmoins, malgré le soutien manifesté par ses partenaires de l’OTAN, cela en réalité n’apporte pas plus de prestige à Londres qui est obligé de «tirer les marrons du feu» pour le compte des autres, et de surcroît n’arrive pas à maîtriser les difficultés économiques recrudescentes*4.

En effet, chaque pays européen a un «squelette dans son placard», sauf que les parois de ce placard sont devenues transparentes. En France, un nouveau consensus s’est formé sur les ruines de l’ancien système des partis en conséquence de son autodestruction et de l’anéantissement des structures politiques servant jadis de référence [Выборы 2017]. L’électorat est parfaitement conscient que pour le redressement économique et politique du pays la mise en œuvre de réformes structurelles, attendues depuis trop longtemps, est indispensable. Le peuple a massivement voté contre l’ancienne politique inintelligible lors des élections présidentielles et ensuite parlementaires. Cela n’empêche pas que les mesures pratiques, prises par le Président Emmanuel Macron et son gouvernement, sont soutenues par moins d’un tiers de la population (même si son activité personnelle satisfait non seulement 93% de ceux qui soutiennent son mouvement politique, mais aussi 45% de militants républicains et 35% de votants pour les socialistes, ce qui est considéré comme un cas exceptionnel dans l’histoire de la France [Macron, 2018]. D’ailleurs, son taux de popularité est en train de baisser considérablement*5.

L’Espagne est contrainte de vivre avec un conflit couvant au cœur du pays : le problème de l’autodétermination de la Catalogne est aussi loin d’être réglé que la veille du référendum sur l’indépendance de cette région, référendum déclaré illégal et inconstitutionnel par les autorités centrales [Catalan 2019 ; Orihuela 2019]. En Autriche la droite n’a gagné que parce qu’elle a emprunté aux radicaux et aux populistes leurs slogans et leurs programmes et parce qu’elle a partagé par cooptation le pouvoir avec l’extrême-droite. Il y a dix ans une telle tournure d’événements aurait choqué tout le monde, et Bruxelles se serait vu contraint d’envisager un rétablissement des sanctions à l’encontre de Vienne. Aujourd’hui personne n’y a même prêté attention, vu l’universalisation de la tendance.

En contrepartie, on a mis en route une procédure de sanctions à l’égard de Varsovie, qui ne désire plus suivre aveuglément certaines décisions politiques et civilisationnelles imposées par Berlin et Bruxelles. Aujourd’hui la Pologne incarne un retour, généralisé à l’échelle mondiale, vers le nationalisme conservateur et l’autoritarisme. Le parti conservateur de Jarosław Kaczyński, actuellement au pouvoir, se voit reprocher la destruction des fondements de la démocratie, la dérogation au principe de la séparation des pouvoirs etc. [Strzelecki, Moskwa, 2018]. Quelques temps plus tôt, des reproches similaires, mais sans implications formelles, étaient adressés au Premier ministre hongrois Viktor Orbán. Maintenant la procedure formelle est lanc é contre lui aussi, bien que personne ne sait à quoi on va aboutir [Stumpf 2018; Zalan 2019].

Mais c’est l’Italie qui a réservé la plus grande surprise à toute l’UE : elle a réussi à former, la première dans l’histoire de l’Europe, un gouvernement incluant les populistes, qui ont gagné les élections, et l’extrême-droite. Et avec cela, la population lui pardonne (ça durera ce que ça durera) ses couacs, son inconséquence, et même la situation économique toujours désastreuse, pour une seule et unique raison : elle considère que ce sont ceux qui représentent réellement les intérêts du peuple qui sont enfin arrivés au pouvoir. La population est persuadée que les leviers de l’Etat se trouvent maintenant entre les mains des «siens» [de leurs vrais représentants] dans le sens direct du terme, et non des spécimens corrompus des élites pourries, de la nomenklatura et de la bureaucratie [Reynolds 2018]*6.

 

Nouvelle normalité politique

Ces quelques exemples choisis aléatoirement, ce qui ne les empêche pas d’être représentatifs, démontrent explicitement comment se métamorphose le système des partis des pays de l’UE; ils prouvent que ces pays sans aucune exception ont une multitude de problèmes, si ce n’est pas un tel, c’en est un autre.

Cependant, ce ne sont plus du tout les mêmes problèmes qu’il y a dix ans ou plus. A l’époque l’UE et ses Etats-membres ont été frappés par la première crise économique et financière mondiale, face à laquelle ils se sont trouvés complètement démunis. Cette crise a été suivie par celles de la dette souveraine et de la zone euro, accompagnées d’une stagnation économique, d’une explosion du chômage, d’une chute du niveau de vie et d’un appauvrissement de la population, ce qui a mis en évidence les problèmes endogènes profonds de toute la zone européenne, comme par exemple le fait que plusieurs pays européens ont pris du retard pour adapter la société aux exigences de l’économie moderne; que certains Etats vivent au-dessus de leurs moyens; qu’ils sont financièrement dépendants; ils ne sont pas en mesure de sortir d’un trou budgétaire profond sans aide extérieure; ils ont perdu en compétitivité sur leur propre marché interne et sur le marché international; ils perdent leur influence d’autrefois dans les affaires étrangères. Ensuite l’UE a été frappée de plein fouet par la crise migratoire, qui était dans une certaine mesure provoquée par l’Union elle-même, et qui a démontré que l’unité et la solidarité ne se portent pas si bien que ça [Тимофеев 2018] *7.

Mais pour l’essentiel, l’Union Européenne a été en mesure de faire face à toutes ces crises [State 2017; Entin, Entina 2017]. L’un après l’autre, tous les pays européens, ou presque, ont équilibré leurs budgets, se sont engagés sur la voie de réformes structurelles et ont réglé leurs dépenses sur leurs revenus. Le système bancaire a été assaini. Personne n’éprouve plus de difficulté de fonctionnement sur le marché financier ouvert, même pas la Grèce, si longtemps éprouvée [Едовина 2018]*8.

Les compétitivités internes et externes ont été renforcées. Même les pays périphériques de l’UE ont enregistré un excédent budgétaire dans le commerce extérieur. L’année passée le montant total de l’excédent dans le commerce avec les Etats-Unis représentait une somme rondelette de l’ordre de 145 milliards de dollars américains, ce qui provoque maintenant le mécontentement de l’Administration américaine. Le taux de chômage a entamé une baisse. Il est enfin devenu possible d’augmenter les salaires, après une très longue trêve. La demande de consommation s’est accrue. Des investissements ont commencé à affluer. Globalement, l’UE et ses Etats-membres sont parvenus à une croissance économique soutenue et ont abordé une phase cyclique de reprise économique, même si elle est encore incertaine [Boutelet 2019; Charrel 2019; Perrin 2019; Vignaud 2019].

L’UE a endigué la vague de migration forcée qui la submergeait. Le nombre de réfugiés et de migrants illégaux qui arrivent, ou plutôt parviennent à s’introduire en Europe, a significativement baissé par rapport à l’apogée de la crise migratoire*9. Par conséquent, rien ne permet de conclure à la fin de l’année 2018 que l’UE «décline elle aussi», comme continuent de le faire plusieurs experts russes et étrangers influents et réputés [Мурашов 2018; Спартак 2019; Gomart 2019].

Mais les pays de l’UE ont payé un lourd tribut pour arriver à ces résultats. Dans la plupart des cas, au détriment du peuple – moyennant la baisse des revenus, des salaires, des retraites, de la sécurité et du bien-vivre de la classe moyenne, y compris la petite bourgeoisie et les fonctionnaires, mais aussi des pauvres, en réduisant les prestations et les programmes sociaux*10. Avec comme conséquence une immense rupture entre, d’un côté, le progrès réellement accompli dans l’assainissement de l’économie et de la gestion étatique, et d’une amélioration qualitative de leur efficacité, et de l’autre – la perception de tous ces phénomènes par les différentes strates de la société.

Une partie importante de la population a estimé à juste titre que l’élite dirigeante, qui avait quand même fait son beurre lors de toutes ces crises, ainsi que les partis politiques classiques et l’establishment ont contrevenu au contrat social, ont trompé la population, l’ont trahie, laissé tomber, ne la représentent plus et donc ne méritent plus sa confiance. Qui plus est, ce sont les forces de gauche qui sont le plus visées, en rupture complète avec leur vocation d’estomper les tensions, de protéger et d’aider les populations*11. Elles ne sont plus aptes à assurer la stabilité économique ni la confiance en l’avenir, ni même la sécurité la plus fondamentale, la préservation de leur identité culturelle et leur position privilégiée dans leurs propres pays. Elles ont l’intention de continuer à sacrifier leurs intérêts au nom des idéaux et abstractions qui n’enthousiasment plus personne, même si la gauche soutient le contraire.

Le mécontentement et le sentiment contestataire, allant jusqu’à la xénophobie, sont devenus déterminant dans le processus politique. Par conséquent, la droitisation de la société qui s’en est suivie, est devenue inévitable, ainsi que son basculement du côté de l’extrême-droite, des nationalistes conservateurs et des populistes de tout acabit, accompagné par leur complète ou partielle légitimation en tant que couleur politique ordinaire et licite du spectre politique [Энтин, Энтина 2017].

A cet égard, l’instabilité sociale et politique, la rhétorique et les programmes anti-migrants et nationalistes ne sont qu’une conséquence des effets des anciennes crises et des erreurs socio-économiques commises lors de la lutte contre la crise. Ce ne sont pas uniquement des problèmes, mais plutôt une nouvelle caractéristique de la société. Sous l’influence des changements qu’elle a subis, c’est un reformatage de l’espace politique (ou en d’autres termes, une redistribution du marché politique) qui a lieu, un reformatage complexe, difficile, parfois extrêmement inconséquent et conjoncturel.

La différence cruciale entre les effets de l’après-crise et ceux de crise consiste dans le fait que les premiers sont secondaires. Les problèmes initiaux quant à eux, sont globalement résolus ou réglés. Si c’est vraiment le cas, les racines des effets d’après-crise sont alors coupées. Les pays de l’EU ont désormais des possibilités considérablement accrues de mettre en œuvre l’assainissement de la sphère aussi bien sociale que politique, gravement affectées par l’effet cumulatif de toutes les crises supportées, après avoir agi dans le domaine économique. Le dénouement de la redistribution du pouvoir et de l’influence politique dépendra uniquement de ceux qui sauront mieux que les autres s’approprier le mérite de toutes les victoires remportées et prouver qu’ils seront le mieux placés pour répondre aux demandes transformées de la société radicalement métamorphosée, ces demandes qui ont été analysée ci-dessus.

 

Transition d’un euroscepticisme radical vers un euroscepticisme modéré

L’UE s’est retrouvée dans une situation similaire. C’est elle qui n’a pas réussi à sauver les pays de la région européenne des effets dévastateurs de la première crise économique et financière mondiale. Bien que si elle n’ait pas été là, les effets de la crise auraient été nettement plus catastrophiques. C’est sous son couvert qu’on a remboursé l’argent de la spéculation aux banques allemandes et françaises au lieu d’éteindre le feu naissant et d’aider la Grèce chancelante, en évitant de cette façon la crise de la zone euro. Ensuite ils ont brisé Athènes et l’ont soumise pour un certain temps à une gestion externe.

C’est l’UE qui a été instrumentalisée pour contraindre tous les pays de la région à appliquer désespérément une politique antisociale d’austérité, qui a engendré tous ces effets négatifs qu’on a détaillés ci-dessus. C’est l’UE qui a été incapable de maîtriser la crise migratoire et a abandonné les dirigeants nationaux face à la population furibonde, une population qui n’a plus l’intention de leur pardonner le conformisme, la faiblesse et la veulerie dont ils ont fait preuve.

C’est l’UE qui a privé l’Etat national, et ce au moment où il en avait le plus besoin, de sa panoplie usuelle de moyens de remédier à la crise sous forme de dévaluation de la monnaie nationale, de sauvegarde des acquis de la protection sociale, de blocage des flux migratoires etc. C’est l’UE qui a forcé tout le monde à appliquer la même politique au mépris du fait qu’elle produisait partout des résultats totalement différents. C’est l’UE qui s’occupait de Dieu sait quoi au lieu de lutter contre le chômage ou tout simplement de fermer les frontières extérieure [Энтин, Энтина 2018].

Comme on le voit, la liste des griefs qui aurait pu être adressée à l’Union Européenne, comprend un grand nombre de postes; nous n’en avons mentionné que les plus courants. Les revendications de rendre à l’Etat national les pouvoirs souverains qu’il avait perdus et/ou de ne plus rien transférer au niveau supranational ne sont pas tombées du ciel. L’UE et les élites nationales, par leurs actions concrètes, ont créé elles-mêmes un terrain propice à l’euroscepticisme, ce n’est pas seulement une faute imputable à l’ancrage des sentiments nationalistes.

Ce n’est pas étonnant qu’avec le temps l’euroscepticisme ait gagné en popularité en Europe, qu’il ait touché le cœur d’une grande partie de la population, qu’il soit pris en compte par les forces politiques, considérées jadis comme hors-système et marginales, et même récupéré, comme au Royaume-Uni, par les partis-mainstream, les partis traditionnels.

Pour la première fois l’euroscepticisme a, paraît-il, atteint son apogée au moment des élections au Parlement Européen en 2014, quand un grand groupe d’extrême-droite et de populistes de différents pays s’y est fait sa place, tandis que les conservateurs britanniques ont inconsidérément refusé l’alliance habituelle avec le Parti populaire européen. Ensuite cela s’est reproduit lors du référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l’UE que les forces pro-européennes ont totalement perdu face à l’euroscepticisme, sans avoir rien trouvé de probant à lui opposer. L’euroscepticisme aurait pu avoir une lourde incidence sur les élections présidentielles en France, puisque Martine Le Pen, président du Front national d’autrefois, qui avait joué entre autre la carte de l’euroscepticisme, s’est aisément qualifiée pour le second tour [Выборы 2017; Европа 2018]. Certes, il affectera les conditions dans lesquelles va travailler le Parlement européen nouvellement élu, dont les pouvoirs dureront jusqu’en 2024.

Cependant par la suite la situation a grandement évolué, et elle n’est plus si univoque, même si formellement les eurosceptiques sont au pouvoir dans une dizaine d’Etats européens [Позенер 2018] *12. Un faisceau de facteurs de tout autre ordre a influé sur elle. Une tentative réprimée des anciens «révolutionnaires» et anti-systémistes de «Syriza» de pousser la Grèce à une rébellion contre le dictat de Berlin et de Bruxelles, ainsi que des espoirs fallacieux de la mise en œuvre d’une politique économique indépendante dans des conditions de transfert des pouvoirs souverains dans le domaine économique vers la Banque centrale européenne et vers l’Eurogroupe – ces facteurs ont révélé ce qui auparavant n’était pas explicitement manifeste.

Désormais dans les pays de l’UE la démocratie subsiste sous une forme tronquée. Les résultats des élections présidentielles et parlementaires n’ont qu’une valeur relative. Les Etats sont limités dans la mise en œuvre de leur politique indépendante, ils ne disposent plus de suffisamment de moyens économiques et politiques pour ce faire. Ce ne sont plus les partis qui ont gagné les élections dans tel ou tel pays, ce n’est pas l’un ou l’autre gouvernement qui avance et essaie de soutenir l’une ou l’autre alternative, qui ont un pouvoir de décision: ce sont des forces conjuguées, au pouvoir dans l’EU, qui contrôlent la situation non seulement au sein de l’Union dans sa totalité, mais dans chacun de ses composants.

Etant donné la puissance et l’importance du pays, l’épisode du Brexit est encore plus instructif *13. Les pertes économiques que la Grande Bretagne subit déjà à cause de sa sortie de l’UE qui n’est encore qu’à venir; les difficultés et la complexité colossales liées à la sortie; la cacophonie politique à l’intérieur du pays qui y est associée; l’inaptitude du cabinet de Theresa May à trouver tout simplement une bonne façon de procéder, encore moins de pouvoir négocier avec Bruxelles des conditions décentes de divorce – tout ceci démontre que la rupture avec l’UE n’est pas une solution, elle n’apporte aucun avantage ni gain tangible. En tout cas, pas dans un avenir prévisible. Au contraire, tout ceci fragilise le pays, désoriente l’activité commerciale, déchire les liens vitaux, engendre une montagne de problèmes péniblement surmontables, provoque des dégâts difficilement indemnisables.

La défaite de Marine Le Pen à l’élection présidentielle a mis les points sur les «i», quand une partie de l’électorat hésitant, effrayé par ses promesses «trop audacieuses», s’est détourné d’elle, quand elle-même, afin de gagner, a commencé à se décaler vers le centre et à renoncer aux postulats radicaux d’euroscepticisme. L’euroscepticisme à l’état pur n’est pas viable, il est irréaliste et sans avenir. Tous les Etats-membres se sont profondément et presque irrévocablement enracinés dans l’UE. L’Union leur apporte énormément. Ils ne pourraient plus s’en passer.

Pour conclure, en Grande Bretagne un parti d’eurosceptiques, qui avait considérablement contribué à l’issue du référendum sur la sortie de leur pays de l’UE, désormais «repose en paix»: il a été délaissé par tout le monde et a quitté le firmament politique [Payne 2018].
Sa renaissance avant les élections au Parlement européen et son succès colossal ne sont apparus que dans le sillage du mécontentement suscité par la façon dont le brexite est exercé.

Par conséquent, compte tenu de la pratique politique concrète, l’euroscepticisme a commencé à muer en perdant petit à petit son ancien côté radical et intransigeant. Après avoir analysé des enseignements tirés de la lutte politique, le parti de Marine Le Pen, et elle-même, ont conclu que le slogan de rupture avec L’UE et la zone euro n’ont pas le soutien massif de l’électorat, qu’on n’arrivera pas à remporter une victoire et à rassembler la population sur cette base, et qu’il faut donc les remplacer par quelque chose de plus acceptable par la société dans sa totalité.

Une orientation du changement a été révélée avec évidence par les «Cinq étoiles» et La ligue (jadis – du Nord) italiennes, qui sembleraient être des piliers d’euroscepticisme: après avoir gagné les élections parlementaires et s’être transformées en force politique la plus importante du pays, elles ont pris, non sans hésitations, la décision de former ensemble un gouvernement populiste de droite. Elles ont déclaré qu’il n’est plus question de sortie, de rupture, d’obstruction ni de rien de semblable, tout ceci étant devenu impopulaire; qu’elles se fixent un objectif beaucoup plus ambitieux, et pertinent. Elles vont œuvrer au sein de l’UE afin de rééquilibrer les pouvoirs des institutions de l’Union et de ses Etats-membres, prévenir au niveau européen une prise de décisions qui seraient en contradiction avec les intérêts du pays ou insuffisamment adaptées à ses besoin, afin de contraindre l’UE à agir dans les intérêts du pays, et non l’inverse. La rhétorique préélectorale c’est une chose, la politique responsable c’en est une autre [Jones 2018].

Mais alors ça change tout. Un tel choix d’objectifs déplace le sujet vers un autre niveau, celui de l’amélioration de l’efficacité et de la rationalisation du fonctionnement de l’UE. Même les euro-enthousiastes ne s’y opposeraient pas. Ce choix est en corrélation avec l’exigence de subsidiarité, qui constitue un pilier de l’Union Européenne et ne lui permet de prendre en charge la résolution des problèmes, comme la réglementation et la gestion juridiques qui y sont nécessaires, qu’à condition que les Etats-membres considèrent ces problèmes comme infiniment complexes pour leur faire face eux-mêmes [Европейское право 2018].

Si l’on considère que depuis quelques années les euro-enthousiastes se montrent de plus en plus critiques et pondérés à l’égard de l’UE, on voit que le clivage entre les euro-enthousiastes invétérés et les eurosceptiques s’adoucit peu à peu. Les uns comme les autres se meuvent vers le centre, chacun de son côté.

Tout le monde reconnaît, que l’Union n’est pas idéale, qu’il existe beaucoup de carences et d’incohérences dans son fonctionnement, qu’elle se mêle d’affaires qu’il aurait mieux valu laisser à l’appréciation des Etats-membres. A la fois, l’UE fait preuve de faiblesse quand il faut défendre les intérêts communs de ses membres; elle s’est enlisée dans des sujets mineurs et la lenteur bureaucratique. Elle devrait être réformée.

Ensuite commencent les divergences. Les uns affirment que l’UE n’arrive pas à assumer ses tâches parce qu’elle s’était approprié trop de pouvoirs souverains. Pour les autres, les racines du mal résident dans le fait qu’il y a «trop peu d’Europe» et qu’il faut résolument intensifier le renforcement de l’UE, son extension par de nouvelles structures et de nouveaux espaces, qu’il faut davantage appuyer les efforts d’intégration [State 2017].

Mais ces divergences ne font plus obstacle à un dialogue constructif. Un consensus évoluant à l’intérieur de l’UE commence à se dégager autour de la recherche d’un nouvel équilibre, plus rationnel mais surtout fonctionnel: fortement intensifier l’intégration dans certains domaines, dans d’autres opter pour la récupération de certains pouvoirs par les Etats-membres.

C’est pour cette raison que les Pays-Bas, un des fervents défenseurs du renforcement de l’intégration, ont proposé de rendre à l’Etat national plus d’une quarantaine de pouvoirs souverains transférés jadis au niveau supranational, afin de déblayer le chemin de la progression. Ces propositions ont été soigneusement étudiées par le Ministère des affaires intérieures et le gouvernement du pays et officiellement formulées quelques années auparavant [Rettman 2013]. Les anglais à leur tour ont apporté beaucoup de matières à réflexion en cherchant à obtenir des concessions de la part de Bruxelles qui auraient permis à la population de voter lors du référendum d’une manière quelque peu, ou même peut-être pleinement différente.

La Commission européenne sous la présidence de Jean-Claude Juncker dès 2014 s’est mise au travail dans le même esprit. Elle a rompu avec la tradition de se laisser submerger par des sujets d’importance mineure et d’inonder les Etats-membres d’une masse insupportable de propositions de loi. Leur nombre annuel a volontairement été réduit de cent jusqu’à vingt. En même temps la Commission européenne a réussi à se consacrer entièrement et efficacement à des tâches stratégiques telles que l’accroissement de la compétitivité, la stimulation des investissements, le reformatage du marché des capitaux, la création d’une base commune pour l’économie digitale, l’élargissement de l’interaction dans le domaine de la sécurité intérieure etc.

En septembre 2017 dans son discours sur l’état de l’Union Jean-Claude Juncker a proposé un vaste programme de consolidation et de renforcement de l’UE avec un horizon de planification allant jusqu’en 2025 et même 2030. Pour préserver l’équilibre, il a lancé l’initiative de la création d’un organe interinstitutionnel, avec une importante représentativité de parlementaires européens, qui serait chargé de préparer une feuille de route de retour, dans la mesure où cela est nécessaire, au niveau national des pouvoirs souverains, jadis transférés au niveau supranational. Cela en dit long.

Sans tarder, le 14 novembre 2017 Jean-Claude Juncker a officiellement instauré une équipe de travail sur la subsidiarité et la proportionnalité et «pour faire moins mais de manière plus efficace» [Future 2017]. Elle a été conduite par Frans Timmermans, vice-président de la Commission européenne. Initialement, il était prévu d’y inclure 3 représentants de chaque parlement national, du Parlement européen et du Comité européen des régions. L’équipe désignée a démarré le 1 janvier 2018. Elle était chargée d’émettre des recommandations à la Commission européenne en identifiant les domaines d’activité où l’UE devrait faire plus, des domaines (comme celui de l’aide d’Etat par exemple) pour lesquels la responsabilité devrait être redistribuée ou être rendue aux E tats-mem bres; ainsi que des recommandations sur la manière de rendre plus énergique la participation des autorités locales et régionales et des parlements nationaux dans l’activité de l’Union Européenne. Toutes ces recommandations, sous forme légèrement reformatée, seront reprises dans la feuille de route pour une Union plus unie, plus forte et plus démocratique, la feuille que la Commission européenne devait préparer avant les élections au Parlement européen en mai 2019 *14.

Le 10 juillet 2018 cette équipe de travail a remis à Jean-Claude Juncker son rapport final [Subsidiarity 2018]. Il présente un large éventail d’idées sur la modernisation et le reformatage de la façon de fonctionner de l’UE, la réévaluation des résultats obtenus et la systématisation des avancées législatives. Notamment, il est proposé d’ajuster la procédure d’élaboration et d’adoption des décisions législatives et autres, afin de lui conférer un caractère plus inclusif. Le rapport décrit comment créer les conditions pour que les institutions de l’UE ne s’occupent que de ce qui apporte «une valeur ajoutée», exprime un souhait de faire l’inventaire de toute la législation communautaire en vigueur aux fins de sa simplification, de sa rationalisation et de son actualisation. De surcroit, il est constaté que l’équipe de travail n’a pas décelé de domaines d’activité que l’UE devrait abandonner au profit des Etats-membres [Report 2018].

 

Scénarios possibles et impossibles de l’évolution de l’Union Européenne

L’approche par scénarios propose une vision panoramique des perspectives de l’évolution de l’Union Européenne, ainsi que du choix auquel elle est confrontée. C’est la meilleure façon de mettre en évidence le potentiel comme les limites de cette approche, car elle correspond parfaitement à la nature complexe, contradictoire et multiniveaux de l’UE.

C’est la raison pour laquelle des chercheurs russes et des experts d’autres pays y ont recours très volontiers. La Commission européenne ne la dédaigne pas non plus. En mars 2017 Jean-Claude Juncker a présenté le rapport préparé par la Commission qui donne une analyse exhaustive de l’évolution continue de l’UE [White, 2017]. Ce rapport propose aux Etats-membres et à la société civile de commencer à débattre, de la manière la plus large possible, des pistes éventuelles de l’évolution de l’UE pour au final choisir l’optimale.

Dans les faits, la plupart des scénarios ont été conçus par la Commission européenne afin que les Etats-membres rejettent ceux qui étaient manifestement inacceptables, irréalistes et inaccessibles, et ce fut le cas pour la grande majorité des scénarios. Il n’en resterait alors que deux maximum, autour desquels se dégagerait un consensus. En réalité, comme l’ont immédiatement remarqué les hommes politiques et commentateurs les plus en vue, il n’en resterait que l’un des deux, le seul à pouvoir être soutenu par le tandem franco-allemand et le noyau de l’UE.

Si, lors de l’évaluation de l’ensemble des suppositions relatives à l’évolution de l’UE, on devait se tenir à la logique arrêtée par la Commission européenne, le résultat, qui a été pratiquement imposé par la Commission européenne, n’apporterait rien d’inattendu. Analysons-le dans l’ordre inverse: en partant des scénarios les moins probables vers les plus probables.

On considère qu’une délibération sérieuse au sujet du scénario, qui envisageait l’effondrement de l’UE, a été déclenchée dans la presse à scandale et dans les éditions pseudo-scientifiques par un choc dû aux résultats du référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l’UE. Personne, d’une manière générale, ne s’attendait à une telle évolution des événements. C’était une surprise presque totale aussi bien pour l’establishment politique que pour la communauté d’experts. Elle a déclenché immédiatement des spéculations au sujet du Brexit, qui présagerait la fin de l’Europe.

En réalité les doutes par rapport à la pérennité de l’UE ont été émis beaucoup plus tôt. L’incapacité de Bruxelles et des principales puissances européennes à remédier rapidement à la crise de l’euro en a été un élément déclencheur. Le risque de cessation de paiement pesait à l’époque non seulement sur la petite Grèce. Presque toute la périphérie de l’UE a rencontré des difficultés à d’obtenir un crédit à un taux raisonnable pour pouvoir effectuer les paiements courants, assurer le service de la dette souveraine et sauver le système bancaire et les secteurs réels de l’économie. Même l’Irlande en a souffert, qui jusque-là était considérée comme l’économie à la croissance la plus rapide en Europe. Au sein comme en dehors de l’UE on redoutait réellement l’effet domino.

Il n’empêche que Berlin, Bruxelles et Frankfurt ont réussi à maîtriser la situation. Qui plus est, la conjoncture financière et socio-économique difficile, qui s’est formée dans plusieurs pays de l’UE, ainsi que la frayeur qu’ont ressentie les élites politiques et économiques de la région européenne, ont été mises à profit pour transférer au niveau supranational de nombreux pouvoirs souverains, indispensables aux Etats-membres pour mener une politique autonome et indépendante. Mais grâce à ce transfert, a été mis en œuvre un assainissement généralisé du domaine budgétaire; la surveillance des banques d’importance systémique, et du système bancaire dans sa totalité, a été confiée à la Banque Centrale Européenne; ont été créés des structures et mécanismes superpuissants permettant de faire face à de futures crises de nature similaire [Economic 2018; European 2018; Janse 2018].

L’UE s’est relativement vite adaptée au fonctionnement sans influence «modératrice» du Royaume-Uni, qui parfois devenait destructrice. Dès que les résultats du référendum ont été connus, Bruxelles a immédiatement entrepris tout ce qui était possible pour tourner à son avantage ce phénomène si négatif pour lui qu’est la sortie de l’Union d’une puissance principale et d’un de ses pôles du pouvoir. Pour l’instant l’intégrité de l’UE n’est pas menacée. Les conséquences de la crise migratoire, dont la gravité a été mise en évidence ci-dessus, ne peuvent aucunement entraîner l’effondrement de l’UE. De surcroit, elles sont utilisées pour accroitre son potentiel et ses capacités, comme c’était déjà le cas lors de la crise de l’euro, sauf que maintenant tout se passe dans le domaine de la sécurité intérieure et de la transformation de ses frontières en un «mur infranchissable» [Nielsen 2018].

La probabilité d’un scénario selon lequel d’autres pays pourraient sortir de l’UE en suivant l’exemple du Royaume-Uni, est très minime. Initialement les résultats du référendum ont provoqué une explosion d’enthousiasme chez les eurosceptiques. Inversement, ils ont engendré un désarroi au sein de l’establishment. L’exemple de la Grande-Bretagne aurait pu être contagieux. Il avait l’air attrayant pour un bon nombre de pays. Certains milieux politiques étaient prêts à y voir une alternative, les autres – un moyen d’échapper au dictat de Bruxelles et de Berlin, diktat qu’on évoquait exclusivement dans les sphères nationales.

Tout ceci n’aurait été valable que si le Royaume-Uni était sorti vraiment gagnant, s’il avait su utiliser efficacement, dans son propre intérêt, sa liberté et son indépendance dans les affaires extérieures et le développement économique, s’il avait pu proposer au monde extérieur quelque chose en plus par rapport à l’UE, s’il avait été capable d’afficher un taux de croissance plus élevé. Par ailleurs, les dirigeants de l’UE et le noyau européen redoutaient sérieusement une telle évolution de la situation, et personne n’en cachait les raisons. Avant le référendum, Londres, à la différence de l’Europe continentale, a brusquement augmenté les investissements budgétaires afin de relancer l’économie nationale, a réduit de moitié, de 40% à 20%, les impôts sur les sociétés, pour rendre l’économie nationale plus attractive pour le business international, a enregistré un taux de relance de l’économie nationale et de la croissance économique nettement supérieur à la moyenne dans l’UE et la zone euro.

Rien d e tel n’est arrivé. Comme nous l’avons indiqué ci-dessus, juste en quelques coups de plume, Londres a perdu tout et à tous les égards, du moins en état actuel des choses [Ананьева 2018; Collomp 2019; D'Orcival 2019; Vignaud 2019]. Le milieu des affaires, international comme national, a perçu la sortie de la Grande Bretagne hors de l’UE de façon foncièrement négative. On a très rapidement découvert que ce milieu a besoin d’une liberté d’action au départ du Royaume-Uni à l’échelle de tout le marché intérieur colossal de l’UE dans sa globalité. Le marché insulaire, séparé du marché continental d’une façon qui n’est pas très nette, l’intéresse beaucoup moins. La menace d’ambigüité juridique, inhérente au Brexit, dans le fond l’effraie plus que tout. Aujourd’hui les indicateurs économiques du Royaume-Uni n’inspirent plus personne.

Au sein de l’UE Londres avait une possibilité d’agir sur la scène internationale au nom ou sous couvert d’un énorme empire extrêmement influent, possédant des ressources significativement plus importantes que Le Royaume-Uni à lui seul. Ayant choisi la sortie de l’UE, dans l’esprit de ses alliés et de ses adversaires, mais aussi dans celui de l’opinion publique internationale, le Royaume-Uni s’est aussitôt transformé en ce qu’il est dans le fait – en une des puissances parmi tant d’autre, à importance moyenne, avec beaucoup de prétentions loin d’être confirmées par les capacités dont elle dispose.

Sur le plan de la politique intérieure la Grande-Bretagne a aussi perdu énormément. La sortie de l’UE a été votée par une minorité de la population. Ses élites sont divisées. La discorde au sein du parti au pouvoir est de plus en plus profonde. Comme l’affirment des commentateurs politiques, si les conservateurs ont décidé de laisser le poste de premier ministre aux mains de la mal-aimée Theresa May, ce n’est pas en raison de ses mérites exceptionnels, qu’elle n’a pas, mais parce qu’ils appréhendent les élections anticipées*15. Le gouvernement, plutôt que de gérer les affaires courantes et futures du pays, s’est enlisé dans les problèmes innombrables engendrés par le Brexit. Puis, precipitant sa démission, ont fait de lui le bouc émissaire.

Il est difficile d’inventer une publicité aussi mauvaise pour ceux qui dans d’autres Etats-membres de l’UE partagent les idées des eurosceptiques britanniques. L’exemple foncièrement négatif du Royaume-Uni, perçu par beaucoup comme une vraie catastrophe, n’enseigne qu’une chose aux autres pays de l’UE: il faut à tout prix s’abstenir de la reproduire, quelle qu’en soit la forme. Au contraire, il faut dorloter l’Union Européenne, s’accrocher à elle des deux mains. Elle nous apporte énormément. Seulement il est important de se démener pour occuper une place honorable en son sein: c’est ce que les eurosceptiques radicaux d’hier ont l’intention de faire.

A un certain moment on parlait beaucoup d’un scénario selon lequel l’Allemagne elle-même voudrait quitter l’UE, Allemagne qui cimente l’Union dans sa totalité, qui la régente, qui la porte sur le dos. L’éventualité d’un tel scénario était argumentée par les affirmations selon lesquelles l’Allemagne apporte aux autres Etats-membres dix fois plus qu’elle ne reçoit en échange; qu’elle paie les factures imputées aux autres pays; qu’elle nourrit un tas de pique-assiettes comme l’est devenue la Grèce et en gros tous les pays de la périphérie de l’UE; que les autres se reposent et se détendent, tandis que les Allemands triment pour eux; que l’UE est devenue un fardeau pour l’Allemagne; que l’Allemagne a des intérêts et des ambitions économiques internationaux; qu’elle a dépassé l’UE.

Des travaux analytiques sérieux ont démontré que toutes ces affirmations ne résistent pas à la critique. La durée de travail des Allemands n’est pas plus importante que partout ailleurs en Europe. L’explosion de la consommation, la croissance de la dette, les dépenses qui ont dépassé les recettes etc. – tout ceci a été provoqué par les banques allemandes elles-mêmes qui se sont lancées à la poursuite de bénéfices exceptionnels, en prêtant de l’argent à un taux bas à tous et à chacun. Tout le monde a tiré profit de l’aide accordée à la Grèce : la Banque Centrale Européenne a enregistré non pas des pertes, mais des bénéfices sur les transactions financières avec la Grèce, bénéfices qui dépassaient 10 milliards d’euros.

Mais le plus important c’est que grâce à la convergence et l’absorption des monnaies faibles dans le cadre de la zone euro, les produits allemands sont devenus sensiblement moins chers et incroyablement compétitifs sur les marchés extérieurs. En absence de ces facteurs la réévaluation du Deutsche Mark aurait été inévitable. La marchandise meilleur marché fabriquée par d’autres Etats-membres et des pays tiers aurait inondé le marché allemand. De l’excédent colossal de son commerce extérieur il ne serait pas resté grand-chose. D’ailleurs c’est ce que l’administration de Donald Trump impute à l’Allemagne et à l’Union Européenne, à savoir des manipulations initialisées avec les devises nationales [Энтин, Энтина 2018]. Renoncer au projet européen signifierait pour elle une réapparition automatique des anciennes peurs, de méfiance et de suspicion et des complications en politique extérieure si graves que Dieu nous en préserve.

Enfin, c’est avec l’aide de l’UE que l’Allemagne est venue à bout d’un lourd héritage de la Seconde guerre mondiale qu’elle avait déclenchée. Elle a recouvré son statut politique, a mérité le respect de tout le monde, s’est réconciliée avec ses voisins proches et éloignés, qui ne se sentaient pas vraiment à l’aise à cause d’un tel voisinage.

Certes, les sondages montrent, qu’une grande part de l’électorat allemand est mécontent de l’UE [Германия 2018]; qu’elle considère que l’appartenance à l’UE entraîne des frais excessifs, qu’elle soupçonne les autres peuples européens d’ingratitude. Le refus catégorique des pays du groupe de Viseg á rd d’accueillir, ne serait-ce qu’une infime partie des réfugiés débarqués en Allemagne, a suscité une forte réprobation des électeurs, qui partagent certains slogans xénophobes et nationalistes du parti «Alternative pour l’Allemagne». Mais être mécontent vis-à-vis de l’UE est une chose, tandis que soulever la question de la sortie de l’Europe en est une autre. Mis à part les forces politiques marginales, personne n’examine la question sous cet angle. Même le parti «Alternative pour l’Allemagne» insiste plutôt sur l’ajustement de la politique de l’UE, sur une subordination plus stricte de l’UE aux intérêts nationaux allemands, sur une révision de certaines décisions et politiques qui ne répondent pas à ces intérêts en question, sur le retour au niveau national des pouvoirs souverains transférés inconsidérément aux institutions européennes.

Par contre, la Grande Coalition, l’establishment politique et le milieu des affaires de l’Allemagne partent de l’hypothèse que la coopération au sein de l’UE doit passer à un autre niveau d’intégration, qu’il faut s’affranchir des discordances dans le domaine de l’impôt – un des derniers bastions de l’Etat national; qu’il faut entreprendre une construction de l’Union politique et de l’Union de la défense venant s’ajouter à l’Union existante, etc. C’est l’impératif de l’époque [Германия 2018].

Le scénario du maintien du statu quo actuel est rejeté par tout le monde pour des raisons différentes: par les euro-enthousiastes, puisqu’il ne répond plus ni à la logique de la construction européenne actuelle, ni aux ambitions de l’intensification continue de l’intégration aux fins de consolidation et de renforcement de l’UE et de ses positions sur la scène internationale; par les eurosceptiques – puisque ce scénario empêche d’adapter l’activité de l’UE aux intérêts de chaque Etat pris individuellement et maintient les pouvoirs des institutions de l’UE qu’ils considèrent excessifs.

En pratique, un tel scénario est désavantageux pour l’UE et ses Etats-membres. Quotidiennement, ils doivent traiter une multitude de problèmes courants auxquels s’ajoutent constamment une quantité d’autres qualitativement nouveaux, de plus en plus orientés vers l’avenir. Au fil du temps ces problèmes ne deviennent pas moins compliqués. Pour leur faire face, on a besoin de ressources supplémentaires, de mécanismes plus efficaces et d’outils performants. L’UE et ses Etats-membres doivent, ils sont tout simplement tenus à suivre le chemin de la modernisation permanente. Toutes les crises précédentes et leurs conséquences les ont convaincus de cet impératif.

Considérée du point de vue de la théorie d’intégration, la faisabilité de ce scénario suscite des doutes profonds. Traditionnellement, on compare l’Union Européenne à une bicyclette à deux roues: si on ne pédale pas, si on n’avance pas, on ne pourra pas rester dessus car elle tombera sûrement, en entrainant dans sa chute son conducteur et toutes ses réserves pour la route. En d’autres termes, l’immobilisme et la stagnation, qu’entraine la préservation du statu quo et auxquels elle est associée, sont strictement contre-indiqués à la mise en œuvre du projet d’intégration.

Mais ce scénario ne correspond en aucune façon à ce qui se passe dans l’UE. L’Union est effectivement en perpétuel mouvement, en évolution rapide. Ces derniers temps sont entrées en vigueur les nouvelles dispositions, à caractère supranational et à vaste portée, de la législation sur la protection totale des données personnelles, sur la lutte contre l’abus lors de l’utilisation des technologies «blockchain», sur la protection transfrontalière des droits d’auteur et des droits connexes lors de la mise en place de l’économie numérique, sur le durcissement des normes de rendement énergétique, ainsi que des dizaines d’autres. Egalement ont été conclus de nombreux accords de libre-échange «nouvelle génération», dont l’un des plus tangibles – en juillet 2018 avec le Japon. Il concerne 99% des taxes en vigueur et soumet à un régime juridique général environ 30% du PIB mondial [Fritz 2018; Japan - EU 2018; The EU - Japan 2018]. Des mesures ont été prises pour élargir les compétences des structures existantes de l’UE et en créer d’autres nouvelles, y compris la mise en place du Parquet européen, d’une Agence européenne du travail, d’une Agence européenne pour la robotique et l’intelligence artificielle et ainsi de suite [Administrative 2018].

Pour mesurer l’envergure de la dynamique de l’UE, le volume des tâches accomplies, le sérieux qu’il déploie pour maîtriser les risques qui ne sont que pressentis, il faut se trouver au sein des processus qui s’y développent. Nous en avons eu la possibilité. Etant durant plusieurs années à la tête de l’Ambassade de la Fédération de Russie au Grand-Duché de Luxembourg, au moment où ce pays était amené à assurer la présidence du Conseil de l’UE, en raison des fonctions exercées nous nous sommes retrouvés immerger dans des réflexions sur de nombreuses questions abordées dans le présent livre. Nous pouvons donc constater en connaissance de cause qu’on ne peut pas freiner l’évolution de l’Union Européenne au moyen d’idées absurdes de préserver le statu quo.

Le scénario selon lequel l’UE ne desservirait que le marché commun n’a pas besoin d’un décodage particulier. Autrefois il n’y avait que le Royaume-Uni pour le défendre. Dans les circonstances du Brexit, ce scénario a complètement perdu sa pertinence, et on peut même ne pas l’analyser.

Puisque l’UE et ses Etats-membres ont réussi à empêcher toute forme d’autodestruction de l’Union et réfutent résolument aussi bien le retour en arrière que la préservation du statu quo, il s’ensuit inéluctablement qu’ultérieurement ils mettront en œuvre une des options du développement de l’UE liées au renforcement de l’intégration. Il en existe quelques-unes. Le problème réside dans le fait qu’aucune de ces options ne bénéficie du soutien unanime des pays-membres, de même que chacune d’elles ait ses défauts et ses qualités.

Du point de vue des partisans de la fédéralisation de l’UE et des euro-enthousiastes convaincus, le scénario d’un avancement commun et généralisé de l’Union dans son entièreté serait le plus logique et cohérent [White 2017]. Mais comme il est communément admis par les milieux dirigeants et la communauté d’experts de l’UE, la mise en œuvre de ce scénario se heurtera inévitablement à l’absence d’une unanimité au sein de l’UE, à un manque flagrant de volonté politique des Etats-membres. Dans certains pays se sont imposées les forces politiques qui sont arrivées au pouvoir sous la bannière de l’euroscepticisme; dans d’autres pays les élites dirigeantes ne disposent plus de pouvoir discrétionnaire: elles sont obligées d’agir en gardant un œil sur les populistes et les eurosceptiques. Dans d’autres encore ce sont les forces nationalistes qui mènent la danse à leur façon. Dans ces conditions, compter sur un avancement total est dénué de fondement, et de surcroît injustifié. Ceux qui sont favorables à l’intensification des efforts d’intégration auraient eu beaucoup à sacrifier, et les décisions prises aurait été loin de la perfection.

L’avancement garanti est assuré par des scénarios de l’intégration à plusieurs vitesses ou de l’intégration à géométrie variable. Ces scénarios présentent l’avantage de ne pas nécessiter l’unanimité [Kaveshnikov 2016]. Il suffit que les pays intéressés se mettent d’accord entre eux, que dans chaque cas concret il existe un groupe de leaders relativement influant, que les autres ne leur fassent pas de difficultés et ne les freinent pas. On pourrait ne pas trop tenir compte des outsiders et même, d’une certaine façon, les négliger. A mesure que les conditions propices se créeront, ceux qui ouvrent la marche aideraient les suiveurs à parvenir à leur niveau et les accepteraient dans leurs rangs. Comme c’était le cas, par exemple, de l’accord de Schengen qui a été inclus dans les traités constitutifs de l’UE.

Cependant ces scénarios ont des carences évidentes. Le groupe d’avant-garde des Etats-membres sera obligé de prendre en considération ceux qu’il a laissés derrière lui, restreint à ne faire que les pas que les autres pourront reproduire. Si ce groupe n’est pas assez représentatif, les résultats qu’il obtiendra perdront en crédibilité et ne deviendront pas déterminants pour l’UE dans sa totalité.

Mais ce n’est pas l’essentiel. Toute construction à géométrie variable compliquerait le fonctionnement de l’UE, instiguerait la multiplicité des régimes juridiques, dépècerait l’espace commun de l’UE, créerait des disproportions, renforcerait les contradictions internes, générerait des tensions croissantes. Aussi Bruxelles exige-t-il immuablement que tous les nouveaux adhérents à l’UE acceptent la totalité des engagements résultant de leur participation aux différents types d’espaces et de mécanismes de l’Union Européenne, c’est-à-dire un nombre d’engagements supérieur par rapport à ceux qui lient les anciens membres. L’accord sur les périodes de transition n’y change rien. Ainsi, parmi les 28 Etats-membres d’aujourd’hui il n’y en a que 19 qui font partie de la zone euro. Cependant, quand les pays de la dernière vague d’élargissement ont été acceptés au sein de l’UE, ils se sont engagés, avec le temps, à atteindre le niveau de conformité aux normes appliquées aux membres de la zone euro et de rejoindre cette zone [Европейское 2018].

C’est la raison pour laquelle Bruxelles maintient une position aussi ferme concernant les demi-solutions de Londres lors des négociations au sujet des conditions de la sortie du Royaume-Uni de l’UE et de la préservation d’une partie des anciens liens. Bruxelles n’a l’intention de lui faire aucune concession, ni sur la question de la frontière avec l’Irlande [Zalan 2018], ni en ce qui concerne l’adhésion de Londres uniquement à quelques régimes juridiques distincts qui l’intéressent que ce soit certains secteurs du marché commun ou de l’union douanière. Tout ce qui rappelle «l’intégration à la carte», c’est-à-dire une participation sélective dans le projet d’intégration, est d’office rejeté par Bruxelles [Barnier 2017].

Dans son rapport du 1 mars 2017 la Commission européenne a proposé un scénario fondamentalement nouveau d’avancement progressif de l’UE sur la voie de l’intégration différenciée. Sa différence par rapport aux scénarios précédents consiste dans le fait qu’il ne suppose pas que les outsiders rattrapent le groupe d’avant-garde. C’est une différence très importante et déterminante. Dans les faits, si la conception de l’intégration est acceptée, les Etats-membres de l’UE seront divisés en deux groupes. Les uns constitueront l’avant-garde qui avancera à toute allure, les autres auront une charge d’obligations plus légère, mais en revanche ne pourront pas jouir de tous les droits et avantages de ceux de l’avant-garde.

D’une certaine façon ce scénario sous-entend une légitimation de la division de l’UE entre centre et périphérie (ou dans d’autres termes entre Nord et Sud, Ouest et Est). Bien entendu, les pays de l’Europe de l’Est et du Sud-Est ont réagi aux suggestions de la Commission européenne de façon extrêmement défensive. Le scénario a été très mal accueilli. En réponse, ces pays ont déclaré que s’ils ont adhéré à l’UE, s’ils ont dû se battre pour cette adhésion et faire tant de sacrifices, ce n’est pas pour devenir Etats-membres de catégorie de second ordre, être évincés et voir leurs intérêts et attentes dédaignés [Mercator 2017].

Par ailleurs, que certains Etats-membres le veuillent ou non, la division au sein de l’EU, en fonction du niveau d’intégration et du volume de droits et d’obligations, s’est déjà produite. Elle a été concrétisée, juridiquement et de fait, par la création de la zone euro. Au sein de l’UE cette dernière est devenue une entité distincte, autonome, performante. Par conséquent, toutes les initiatives des dirigeants français et allemands (cités ici dans l’ordre de préférence en fonction de l’intensité de leur activité, et non de leur importance) et les idées qu’ils avancent sur la création d’un parlement spécifique pour la zone euro, sur l’adoption d’un budget spécifique, sur la désignation d’un ministre européen des finances etc. ne sont qu’un tribut payé à la realpolitik. Comment réglementer l’équilibre entre la zone euro qui prend de l’avance sur le reste de l’Europe et sur ceux qui se retrouvent, ou se retrouveront en dehors de l’Europe – c’est une question à part. Il se peut qu’on n’aurait même pas besoin de réglementation.

Ce genre d’idées et d’initiatives met en exergue l’inclination du noyau de l’UE à opter pour une intégration différenciée [Bershidsky 2017]. L’intérêt pour ce scénario se manifeste de plus en plus explicitement. Il est soutenu aussi bien par les élites que par la population des pays qui font partie du noyau de l’UE, par des citoyens ordinaires. Selon l’opinion dominante, les participants au projet commun d’intégration sont devenus trop nombreux. L’UE a perdu sa gouvernabilité, son élargissement par à-coup l’a affaiblie au lieu de le rendre plus fort, a ralenti sa progression. L’égoïsme, la prétention à un rôle particulier, la fronde incessante de certains nouveaux Etats-membres ennuient tout le monde. Le fait de dédaigner les traditions fondamentales de l’Union Européenne, qui ont mis 50 ans pour s’établir, de la part de ces pays est particulièrement inacceptable. La division, formelle ou informelle, de l’UE en deux courants aurait pu, dans une certaine mesure, désamorcer ce problème.

Le scénario de l’intégration compensatoire constitue encore une autre approche. Sa spécificité réside dans le fait que les prérogatives des Etats-membres en matière de contrôle des activités de l’UE s’élargiront parallèlement au renforcement de l’intégration et le transfert des pouvoirs de plus en plus nombreux au niveau supranational. Les Etats-membres acquerront des possibilités supplémentaires de faire valoir leurs droits, intérêts et préférences. L’intégration passera non seulement par le renforcement des institutions et autres organismes supranationaux, mais elle se fera aussi sous forme d’un grand ralliement des Etats nationaux et des structures supranationales, d’une implication plus active des organes nationaux dans le processus de préparation, d’adoption et de mise en œuvre des décisions prises conjointement. Cela veut dire que le renforcement de l’UE et le renforcement des Etats nationaux qui en font partie se dérouleront de concert. Le renforcement de l’intégration, qui les assujettira à l’intérêt commun, serait soi-disant compensé par les possibilités élargies qui leur seront offertes, de formuler, de nuancer et de défendre cet intérêt commun en question.

Les éléments du scénario compensatoire ont été largement utilisés lors de l’harmonisation de la Charte des droits fondamentaux, devenue partie intégrante du Traité de réforme de l’UE, ainsi que lors de la Convention sur l’établissement d’une constitution pour l’Europe. Dans les deux cas, on a fait participer aux forums – qui ont joué un rôle si important dans la modernisation de l’UE – des représentants des organes aussi bien exécutifs que législatifs, ainsi que des organismes consultatifs. Les débats étaient ouverts à tous, le grand public et la société civile avaient la possibilité d’intervenir dans l’analyse des documents.

Ces éléments ont été pris en compte dans le texte du Traité de Lisbonne, qui régit l’existence de l’UE et de ses Etats-membres à ce jour. Selon ce Traité, la surveillance préalable de l’application du principe de subsidiarité lors de l’élaboration et l’adoption des nouveaux actes juridiques de l’UE est confiée aussi aux parlements nationaux. Ce Traité prévoit les procédures et les mécanismes de la démocratie directe.

L’intégration compensatoire a encore une particularité : le retour au niveau national de certains pouvoirs redondants, transférés auparavant à l’UE. Cela signifie que l’intégration cessera d’être une route à sens unique. Le transfert des pouvoirs souverains au niveau supranational sera admis, comme le processus inverse. L’initiative du Président de la Commission européenne à ce sujet a été mentionnée ci-dessus. Parmi ses autres propositions du même acabit on retrouve la création des organes nationaux de surveillance de la qualité des marchandises, fournies sur les marchés locaux, afin de garantir l’application des normes communes. Avec une certaine réserve, on peut y rajouter l’idée, émise par le Président et déjà mise en œuvre, de la création d’une agence européenne du travail afin de prévenir la discrimination des travailleurs détachés engagés par les pays avec un système de protection sociale et de salaires plus évolué que dans leurs pays d’origine.

Il est cependant évident que toutes les différences, analysées ci-dessus, entre les scénarios de renforcement de l’intégration ont un caractère relatif: on pourra toujours les effacer. En fonction des circonstances et du domaine concret d’activité, l’UE et ses Etats-membres s’orienteront de préférence vers l’un ou l’autre scénario. D’une manière générale, c’est une conjugaison continûment modulable, d’éléments propres à tous les scénarios, qui sera utilisée par l’UE et ses Etats-membres. De cette façon, on pourra toujours constater que quand il faudra envisager une solution qui conviendrait à tout le monde ou à un groupe d’Etats concernés, ils auront à leur disposition des possibilités presque illimitées pour faire preuve d’une flexibilité dans la poursuite de la construction de l’Europe et de la modernisation du projet Européen.

Pour corroborer cette assertion, prenons deux exemples de l’actualité récente. Le premier: le 13 septembre 2017 à Strasbourg Jean-Claude Juncker, en présentant un programme de renforcement et de consolidation de l’UE à moyen terme, s’est au fond déclaré favorable à ce que l’UE revienne vers la solution d’avancement frontal. Il a proposé de lancer un programme spécial permettant de leur fournir un soutien financier et le concours d’experts aux pays qui adhèreront à la zone euro, un programme similaire à celui qui s’applique aux Etats qui ont reçu un statut de candidat à l’adhésion à l’Union Européenne. Si ce programme rencontrait le succès, la nécessité d’aménager la zone euro en tant qu’entité distincte perdrait de son actualité. Le temps où le Royaume-Uni représentait un phare pour la Nouvelle Europe, tempérait l’UE, servait de ballast stabilisant, insistait sur des solutions alternatives, ce temps-là est révolu. A cet égard, le Brexit a radicalement changé la situation.

Deuxième exemple: à la fin de 2017, pour la première fois dans son histoire, l’UE a décidé d’amorcer une Coopération structurée permanente (CSP, ou PeSCo en anglais: Permanent Structured Cooperation ) dans le domaine de la défense. Comme c’était le cas de la Coopération renforcée, le Traité qui instaure cette procédure, ne requière pas la participation générale, même le souhait de la majorité des Etats-membres n’est pas nécessaire pour la lancer. Il suffit qu’ils ne s’y opposent pas. D’emblée les experts ont qualifié la PeSCo de pas innovant sur la voie du renforcement de l’intégration qui préfigure le parachèvement de l’UE grâce à la création d’une alliance défensive. En délibérant sur l’initiative avancée par Vilnius, Berlin et Paris ont divergé sur la nécessité d’associer à la coopération un cercle restreint d’Etats-membre ou bien chercher à obtenir leur participation la plus large. Il semblait au départ que PeSCo ne serait rejoint que par un groupe très restreint d’Etats-membres. Mais au fur et à mesure de l’avancement des négociations, le nombre de ceux qui sou haitaien t s’y joindre allait croissant. Finalement presque personne n’a voulu rester en marge. Le 13 novembre 2017, 23 des 28 Etats-membres signaient une notification conjointe sur PeSCo, et le 11 décembre le Conseil de l’UE adoptait une décision établissant la coopération structurée permanente entre 25 Etats-membres. Il n’y a que la Grande-Bretagne, le Danemark et Malt qui ont préféré rester à l’écart [Permanent 2018].

 

Outils juridiques du renforcement de l’intégration

L’UE et ses Etats-membres ont une flexibilité importante en ce qui concerne l’utilisation des mécanismes et des outils juridiques de l’extension institutionnelle de l’Union et de l’élargissement de ses compétences dont elle a besoin pour relever à un niveau qualitativement beaucoup plus élevé l’intégralité du projet d’intégration mis en œuvre. Ni la législation primaire, ni secondaire de l’UE ne comportent aucune restriction qui s’y opposerait. Ce n’est pas pour rien que depuis longtemps l’UE et ses Etats-membres persistent dans leurs efforts visant la diversification des instruments légales de l’Union afin de pouvoir réaliser l’un ou l’autre des scénarios de renforcement de l’intégration décrits ci-dessus, et ce dans le cadre et sur la base du droit en profitant de l’expérience déjà acquise de son application.

Durant les années 1990-2000, l’outil principal de la modernisation de l’Union était la conclusion de nouveaux accords de plus en plus nombreux apportant des amendements et des modifications aux actes constitutifs de l’UE. Les Traités de Paris et de Rome ainsi que l’Acte unique européen ont établi les bases de l’intégration. Grâce à eux ont été déterminés les paramètres de base et les directions prioritaires. Les autres Traités ne faisaient que rajouter des étages, de les rénover et décorer. Ils perfectionnaient le système institutionnel, modifiaient le processus d’établissement des normes et de prise de décisions, redistribuaient les compétences, redonnaient à l’intégration européenne des nouvelles dimensions, la transformant pas à pas d’une intégration purement sectorielle et puis économique en une intégration universelle.

La création de l’Union Européenne a été scellée par le Traité de Maastricht qui a doté la Communauté Européenne, fonctionnant dans le mode de droit communautaire, de deux composantes supplémentaires: la coopération dans le domaine de la politique extérieure et de la politique de sécurité, ainsi que par la collaboration entre les autorités de police et de justice, ayant chacune un caractère fondamentalement différent en ce qui concerne l’établissement des normes et la procédure de contrôle de l’exécution des décisions adoptées. Les Traités d’Amsterdam et de Nice ont fait le premier pas sur la voie de la communautarisation des politiques et ont favorisé un élargissement partiel de l’UE, ont réaménagé la mise en œuvre de la politique extérieure commune et de la politique de sécurité. Enfin, le Traité de Lisbonne a aboli la division de l’UE en «trois piliers», a remplacé une multitude de régimes juridiques par un seul un peu plus homogénéisé, a déterminé un cadre stratégique de l’évolution de l’UE pour la décennie à venir, a rendu l’UE telle que nous la connaissons aujourd’hui.

Le Traité de Lisbonne a mis en vigueur la Constitution imparfaite de l’UE sous une forme tronquée. La route vers ce Traité s’est révélée ardue et semée d’embuches, assortie de désagréments à ce point considérables que la classe politique européenne a pour longtemps perdu l’envie de la retravailler. Apporter des amendements et des compléments aux Traités fondamentaux est le moyen le plus légitime, cohérent et approprié de moderniser l’Union Européenne, conférant au droit de l’UE le maximum de netteté possible. L’usage de ce moyen façonne une ossature particulièrement forte pour les transformations ultérieures et permet de leur conférer une globalité nécessaire; il concerne tous les aspects du fonctionnement de l’UE.

Mais ce moyen comprend des restrictions significatives: pour adopter un nouveau traité fondateur, il est indispensable de parvenir à un consensus sur un vaste éventail de questions; il serait irrationnel de convoquer une conférence intergouvernementale, encore moins réunir une Convention, et engager une procédure aussi lourde pour trouver des solutions à un nombre insignifiant de problèmes. Impliquer dans cette recherche tous les 28 (27) Etats-membres est une tâche de plus en plus insurmontable. Surtout maintenant, quand les problèmes nationaux sont à ce point divergents. Souvent les Etats-membres défendent leurs intérêts fermement, de façon combattive et intransigeante (comme c’était le cas du refus de répartition automatique des réfugiés, imposée par Bruxelles, lui-même soutenu par Berlin), n’acceptent aucun compromis. Les persuader de faire des concessions en proposant des compensations à venir ou des investissements financiers apporte plus de problèmes que d’avantages.

D’autant plus que tout pays pris séparément pourrait par la suite faire retarder, ou même bloquer l’entrée en vigueur d’un texte si péniblement négocié, et ce pour des raisons essentiellement internes. Pour qu’un texte négocié devienne une réglementation en vigueur, qui plus est occupant la plus haute place dans la hiérarchie des sources de droit de l’UE, il doit nécessairement être ratifié par tous les Etats-membres. Comme tout le monde s’en souvient, le référendum en France, suivi de celui aux Pays-Bas, a joué un rôle décisif dans le sort du projet de la Constitution de l’UE. Le projet a échoué essentiellement à cause du mécontentement à l’égard des gouvernements et des partis au pouvoir dans un pays comme dans l’autre, et non pour quelques défauts, inhérents au document en question, jugés inacceptables par la population.

Par conséquent, l’UE ne prévoit pas dans l’immédiat de convoquer une conférence intergouvernementale qui aurait pour mandat de préparer et de négocier les modifications et les amendements aux documents fondateurs de l’UE, à savoir au Traité sur l’Union Européenne (TUE) ni au Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE). Cette «locomotive», la plus puissante du reformatage systémique de l’UE, est mise sur une voie de garage. Elle reviendra en tête du convoi au moment opportun. Bien entendu, le travail aux fins de l’élaboration de versions diverses et variées d’un nouveau traité, comme sur les modules qui le composent, continue au niveau des experts.

En attendant, l’UE et ses Etats-membres se concentrent sur l’application active de deux autres outils superpuissants de modernisation de l’Union et de sa conversion en un état qualitativement nouveau. Conscients de la complexité et de l’ambigüité du processus d’actualisation des Traités fondamentaux, les Etats-membres de l’UE ont inclus dans le Traité de Lisbonne toute une série de «normes dormantes» qui une fois opérationnelles produiront un effet identique ou semblable à celui décrit juste ci-dessus. En argot professionnel, ses normes s’appellent «passerelles». L’unanimité des institutions politiques de l’UE sur tel ou tel point de programme suffira pour les réactiver.

Les normes dormantes envisagent la possibilité d’un transfert de nouveaux pouvoirs souverains nationaux au niveau supranational. Lors des étapes précédentes les Etats-membres n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur leur délégation à l’UE. Néanmoins, ils ont convenu de simplifier drastiquement la procédure de délégation des pouvoirs. Probablement c’est via ce procédé que la tâche d’harmonisation fiscale sera confiée aux institutions de l’UE. En tout cas, Paris et Berlin, et par conséquent Bruxelles, insistent là-dessus. Certains petits et moyens pays mènent des combats d’arrière-garde [No consensus 2019].

Ils appréhendent la perte de leurs avantages économiques que leur apporte une fiscalité plus favorable, simple et libérale par rapport à la moyenne européenne, avantages dont peuvent bénéficier les personnes physiques et morales, qui relèvent ou qui peuvent passer sous leur juridiction. Pour expliquer de quoi en fait il s’agit à proprement parler, il suffit de rappeler qu’en Irlande et à Chypre, par exemple, l’impôt sur les sociétés est quatre fois (!) plus bas qu’en Allemagne. Les entreprises étrangères l’apprécient énormément.

Jusqu’à récemment des petits et moyens pays considéraient qu’en cas d’harmonisation fiscale ils seraient «écrasés» par leurs voisins plus importants, que sur le terrain de la concurrence ils perdraient certains de leurs avantages, qui compensent la petite taille de leur économie, seraient privés de leur marge de manœuvre socio-économique, ne pourraient plus faire face au diktat externe.

Mais comme l’indiquent des économistes allemands et français, comme d’ailleurs des experts d’autres pays, sans la fiscalité harmonisée l’espace économique commun de l’UE s’en retrouve morcelé, le bâtiment de l’Union économique et monétaire reste inachevé. Il sera extrêmement difficile, voire impossible d’appliquer une politique économique concertée.

Les premiers pas radicaux en vue de changer la situation et de consolider l’UE ont été faits: tous les Etats-membres ont dit adieu au secret bancaire. Une directive appropriée a introduit un échange automatique réciproque d’information sur le ruling fiscal (une mise au point/un accord individualisé entre un gouvernement et une entreprise privée sur le caractère et l’ampleur de l’imposition). Des barrières ont été élevées pour freiner l’évasion fiscale et une optimisation douteuse de l’assiette fiscale. Il semblerait que les pas suivants, qui consistent en une harmonisation fiscale progressive, soient probablement faits par l’UE.

De la même manière, à savoir par l’adoption unanime de nouvelles règles, les Etats-membres sont en mesure d’obtenir une simplification radicale de la procédure de prise de décisions politiques et législatives par les institutions de l’UE, sans pour autant apporter de modifications ou amendements dans les traités constitutifs en vigueur. Dans les domaines d’activité de l’UE où ceci n’a pas encore été fait, les Etats-membres peuvent de cette façon renoncer à l’obligation de l’unanimité en passant par la prise de décisions à la majorité qualifiée. Une telle pratique aura une importance déterminante pour un fonctionnement plus dynamique et efficace de l’UE. Surtout dans les conditions actuelles quand l’UE compte 28 membres (27 après Brexit et 33 dans le cas de l’absorption des Balkans occidentaux dans leur totalité).

Les dirigeants de l’UE ont déjà annoncé leur intention de suivre la voie de la simplification des procédures lors du parachèvement de l’UE par une Union politique et de la mise en œuvre des premiers préparatifs qui sont nécessaires pour atteindre cet objectif. Le 13 septembre 2017 à Strasbourg, en présentant sa vision du programme des réformes et de transformation de l’UE pour la décennie à venir, le Président de la Commission Européenne a déclaré notamment que pour améliorer l’efficacité de l’élaboration et de l’application de la politique commune et de la politique de la sécurité, il est temps que l’UE et ses Etats-membres passent à une prise de décisions à la majorité qualifiée. Le Traité de Lisbonne prévoit expressément une telle possibilité [State 2017].

Comme nous le voyons, l’UE a toute latitude d’éviter la paralysie et de poursuivre la construction institutionnelle et l’élargissement des compétences de l’Union, et par conséquent de renforcer l’intégration, ayant recours à de petites mesures sélectives mais substantielles, même lorsque les perspectives d’une lancée systémique ou l’avancement sur diverses questions semblent problématiques. Mais l’Union est tout à fait en mesure de mobiliser ce potentiel, aussi bien qu’ en apportant des modifications et des amendements aux Traités constitutifs, à condition d’obtenir l’unanimité absolue de tous les Etats-membres, ce qui n’arrive pas souvent.

Néanmoins, quand l’unanimité n’existe pas et n’est même pas envisageable entre les Etats-membres, l’UE se réserve toujours des possibilités d’avancer sur le chemin du renforcement de l’intégration. Pour parer à une telle éventualité, le Traité sur l’Union Européenne (TUE) et le Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) proposent des moyens parfaitement légitimes et suffisamment efficaces d’atteindre les mêmes objectifs, moyens en corrélation avec les idées de l’intégration à plusieurs vitesses et à l’intégration à géométrie variable, notamment la coopération structurée permanente dans le domaine de la défense et la coopération renforcée dans tous les autres domaines.

Dans le passé, l’UE a déjà – occasionnellement – fait appel aux différents schémas juridiques permettant de contourner le vote bloquant des Etats-membres qui ne voulaient pas marcher au pas avec la majorité poussant l’Union à exécuter de nouveaux projets ambitieux, mais qui ne jugeaient pas nécessaire de s’y opposer. Prenons l’exemple des pays influents de la Vieille Europe comme le Royaume-Uni, le Danemark et la Suède qui, conscients de l’importance de l’introduction de la monnaie commune et de la création de la zone euro, se sont néanmoins décidés d’évoluer librement en dehors de ce cadre, et de ne pas se soumettre à ses règle. Ils ont préféré garder les mains libres et ne pas abandonner leur monnaie nationale. (D’ailleurs les dirigeants de la Commission européenne ont laissé clairement entendre à ce propos, que ce n’est que l’influence néfaste de ces pays, et de la Grande Bretagne au premier chef, qui empêchait jusqu’à présent de mobiliser les efforts pour accélérer l’adhésion à la zone euro de la Bulgarie, qui n’est pas pr ê te, de la Pologne, de la Roumanie et de la Croatie, qui ne sont pas si pressées que ça pour la rejoindre.)

Dès le départ le Royaume-Uni a manifesté la volonté de ne pas s’encombrer des engagements résultant de la construction de l’Europe sociale unie. A la différence de tous les autres pays de l’UE, c’est encore le Royaume-Uni, qui n’a pas reconnu la Charte des droits fondamentaux comme étant obligatoire pour lui, mais aussi la République Tchèque, qui par la suite a retiré les réserves qu’elle avait formulées. En dehors de l’espace commun de liberté, de sécurité et de justice se trouvent, à des degrés différents, le Danemark, le Royaume-Uni et l’Irlande. La seule chose que tous ces cas ont en commun c’est uniquement le fait que chaque fois c’étaient soit des abstinents eux-mêmes qui décidaient de leur façon d’exister, soit c’étaient les Etats-membres qui d’un commun accord déterminaient le type de dérogation, et chaque situation a fait l’objet d’une réglementation spéciale dans le droit de l’UE.

La coopération structurée permanente et la coopération renforcée parlent de choses un peu différentes. Ces outils juridiques pour chaque cas concret confèrent à une minorité relativement significative (au minimum neuf), ou à un groupe plus représentatif des Etats-membres de l’UE, le droit d’initier un nouveau projet d’intégration dans le cadre de l’UE, en s’appuyant sur les structures et les mécanismes de l’UE, et ce malgré l’absence de volonté de la part de tous les autres. Aussi ces outils définissent-ils explicitement la procédure appropriée. Il n’existe que deux restrictions: la décision doit être prise par le Conseil de l’UE à la majorité qualifiée; cette décision ne confère pas de nouveaux pouvoirs à l’UE [Scenario 2018]. La raison d’être de ces outils consiste dans le fait que les pays sceptiques, capables d’empêcher le renforcement plénier et universel de l’intégration, c’est-à-dire la généralisation de l’avancement contre laquelle ils se prononcent, ces pays-là perdent la possibilité d’influencer l’esprit des Etats partageant les mêmes idées à propos de leurs projets en gestation, ils perdent aussi la possibilité de les bloquer.

Les dispositifs de la Coopération permanente structurée sont restés longtemps «une arme de réserve» de l’UE, les Etats-membres s’abstenaient de les utiliser. La première exception a été faite en décembre 2017. Il n’y a pour l’instant dans le cadre de PeSCo que 17 projets différents de la première vague à mettre en œuvre et à peu près le même montant – de la deuxième. Les exemples de coopération renforcée sont beaucoup plus nombreux, et ce dans des domaines divers et variés [Бабынина 2014]. 21 pays ont accepté de participer à la création du Parquet européen. Au début, il serait probablement chargé de lutter contre les infractions portant atteinte aux moyens budgétaires de l’UE. 17 pays ont adopté un régime juridique permettant aux époux de nationalités différentes de choisir la législation applicable en cas de divorce ou de séparation. 17 autres pays se sont mis d’accord pour définir des règles claires dans le domaine du droit de propriété pour ces mêmes couples en cas de divorce ou d’héritage. 10 Etats-membres continuent à travailler sur les modalités d’entrée en vigueur d’un régime unique de taxation des transactions financières. L’intention des 14 pays d’investir, avec le concours de la Commission européenne, dans l’aménagement d’une infrastructure numérique transnationale de niveau mondial sur base de la création de leurs propres superordinateurs, constituera un précédent prometteur [Scenario 2018].

Comme indiqué ci-dessus, une des solutions envisageables de rajustement radical de l’UE pourrait être l’affectation d’un budget, la mise en place d’un parlement et la désignation d’un ministre des finances propre à la zone euro, ainsi que la transformation de cette zone en un noyau du projet européen, penchant dans ce cas vers l’intégration différenciée. Dans les cercles politiques de l’UE, les débats autour de cette solution sont de plus en plus intenses. Le tandem franco-allemand en parle de manière sûre et explicite [Ophüls, Sigmund, Hildebrand 2018; Cuddy 2018]. Les signes que le travail est effectivement mené dans cette direction deviennent de plus en plus nombreux. Nébuleuse au départ, cette solution se transforme en solution plutôt réelle. Il semblerait que Paris et Berlin aient effectivement l’intention de miser sur l’isolement de la zone euro, sauf si les circonstances changeaient d’ici-là. Bien que au début leurs intentions pourraient sembler relativement modestes et timides.

Mais s’ils s’attaquent réellement, et non seulement en paroles, à la mise en œuvre de ce projet, ce n’est pas l’aménagement de la zone euro en tant que telle qui créera un suspense, mais la façon de le faire. Le tandem franco-allemand essayera-t-il d’imposer la promulgation d’une législation communautaire ou se satisfera-t-il d’une coopération avancée? Autorisera-t-il aux outsiders l’accès au contrôle de l’évolution de la situation et l’accès à la participation à la prise de décisions? Cherchera-t-il à mettre en place des nouvelles règles pour la zone euro en tant que projet commun de l’UE ou en tant qu’affaire privée de chaque participant? En quoi les scandinaves et la grande partie de la Nouvelle Europe verront-ils leur intérêt? Revendiqueront-ils que la zone euro acquière un caractère foncièrement ouvert, qui permettra ultérieurement d’estomper les différences? Ou lutteront-ils dès le départ contre la division de l’UE en deux groupes d’Etats? La sortie du Royaume-Uni de l’UE, qui à mesure de la progression des négociations sur le Brexit se transforme en son exclusion de l’UE, rend possible chacun des scénarios envisagés. L’outil juridique est préparé depuis longtemps pour l’un comme pour l’autre.

L’outil, destiné à rehausser l’UE de nouveaux étages grâce aux accords internationaux conclus par les Etats-membres en dehors du cadre de l’UE, extérieurement ressemble beaucoup à la coopération renforcée. Sa différence principale tient au fait qu’il permet aux pays de l’UE intéressés de contourner les restrictions spécifiques à la coopération renforcée. Les Etats ont recours à cet outil quand ils n’ont pas d’autres moyens de surmonter les réticences des pays qui ne sont pas d’accord ou prêts à les suivre, tandis que les premiers ont besoin de transformer leur projet en un projet commun pour l’UE dans son entièreté.

L’exemple classique en la matière est l’accord de Schengen sur la simplification du contrôle des passeports et des visas à la frontière, signé au départ par seulement cinq Etats européens – la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg, la France et l’Allemagne. Pendant un temps ses perspectives restaient nébuleuses. Peu nombreux étaient ceux qui auraient pu supposer que l’accord de Schengen deviendrait un jour un des projets les plus importants de l’UE. L’accord a été signé le 14 juin 1985, mais n’est entré en vigueur que le 26 mars 1995. Pour ce faire, il a fallu conclure une Convention sur l’entrée en vigueur et l’application de l’accord de Schengen, qui a été signée par les mêmes cinq pays en 1990. Néanmoins, déjà le 1er mai 1999 l’Accord a été remplacé par l’Acquis de Schengen intégré dans le droit européen, qui constitue une des avancées législatives de l’UE dont la modernisation est en bonne voie [Security 2018; Managing 2018].

Les évènements ont évolué beaucoup plus rapidement dans le cadre du Traité de Prüm, signé le 27 mai 2005 par les mêmes 5 pays ainsi que pas l’Autriche et l’Espagne (9 autres pays ont annoncé leur intention d’y adhérer). Ce Traité avait pour objectif d’intensifier significativement la coopération entre les forces de police dans la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme international. Les dispositifs clés du Traité concernaient la création d’un réseau d’informations policières permettant l’accès réciproque aux bases de données. Le 17 juin 2007 le Conseil des ministres des affaires intérieures de l’UE a pris la décision d’étendre l’application du Traité à tous les 27 (à l’époque) Etats-membres.

Les deux exemples démontrent que, du point de vue de la conception des objectifs, l’outil juridique des accords signés en dehors du cadre de l’UE a effectivement beaucoup de points communs avec la coopération renforcée. Le fait que la Commission européenne inclut la mise en place de la juridiction unifiée du brevet ( en anglais: Unified Patent Court – UPC ) dans la liste des exemples de la coopération renforcée, affermit encore plus cette assertion [Scenario 2018]. Dans les faits, cette juridiction est issue d’un accord sur l’UPC signé à Bruxelles le 19 février 2013 par 25 Etats-membres [Agreement 2013]. Au départ, l’Espagne, la Pologne et la Croatie ont décidé de ne pas y participer. Mais l’accord reste ouvert à tous les pays de l’UE. Par la suite, la Pologne y a adhéré quand même. La particularité de cet Accord consiste dans le fait qu’il confère à l’UPC le statut de tribunal commun pour les Etats-membres, le soumet au droit européen et le subordonne aux décisions de la Cour de justice de l’Union Européenne sur le modèle des tribunaux nationaux*16.

Les Etats-membres ont aussi une expérience importante de conclusion d’accords internationaux externes portant sur différents aspects de fonctionnement de l’UE dans une situation d’urgence survenue de fait. En utilisant les outils juridiques en question, ils ont créé un mécanisme de stabilisation de l’UE [Treaty 2018]. En ce faisant, ils ont réussi à sortir du cercle vicieux de contradictions internes et ont mis l’UE à l’abri.

La clarté de la réglementation relative à ce système de moyens juridiques et de procédures de modernisation de l’UE, la netteté juridique inhérente à leur utilisation, leur compréhensibilité, prévisibilité, leur caractère ouvert et public etc. sont des traits distinctifs de ce système analysé, de renforcement de la structure institutionnelle de l’UE et d’élargissement de ses compétences. Le second système, ou un système de rechange, de moyens et de procédures pour lequel ces traits ne sont pas typiques, englobe les possibilités d’interprétation extensive de certaines dispositions des Traités constitutifs, des droits et des pouvoirs de l’UE et de ses institutions. Elles sont très demandées et s’utilisent dans la pratique quotidienne du fonctionnement de l’UE de plus en plus souvent et volontiers. Tout bien considéré, ces possibilités sont quasi illimitées.

Les Traités constitutifs eux-mêmes stipulent que l’UE jouit aussi bien des compétences qui y sont explicitement énoncées que des compétences qui n’y sont pas mentionnées expressément mais qui sont nécessaires pour atteindre les objectifs et accomplir les tâches définis par les Traités. Par conséquent, si les institutions politiques s’attachent à élaborer des actes législatifs pour lesquels les bases légales n’existent pas, on peut, si on le souhaite, les justifier et les légitimer en recourant aux dispositions floues, ambigües et accommodantes sur les compétences implicites de l’UE. De cette manière, le Conseil Européen a confié une quantité considérable de mandats aux structures inférieures de l’UE, tandis que le Conseil de l’UE et le Parlement européen ont préparé et approuvé un nombre réellement important de réglementations et de directives.

Pour les politiciens russes et la communauté juridique des pays tiers tout ceci n’est ni compréhensible ni évident, mais les institutions politiques de l’UE se conforment dans leur fonctionnement non seulement à la norme du droit primaire de l’UE et à son contenu spécifique, mais aussi aux objectifs que cette norme définit. D’ailleurs on leur reconnait plus de légitimité qu’à la norme elle-même. C’est un procédé que l’on appelle la méthode téléologique d’interprétation. Selon une tradition juridique bien établie au sein de l’UE, toute structure politique, administrative, tout organe chargé de faire respecter la loi comme toute autre autorité de l’Union Européenne se doit d’appliquer cette méthode.

Quand la mention des pouvoirs particuliers est omise dans le texte des Traités constitutifs, mais les pouvoirs eux-mêmes sont reconnus par les Etats-membres comme découlant des objectifs qui sont mentionnés dans les Traités, tout est plus ou moins clair, explicable et en principe légitime: il s’agit des pouvoirs implicites purs et simples. La conception des pouvoirs implicites dans le droit international en vigueur n’est contestée par personne.

Cependant, dans certains cas récents les Etats-membres ont sciemment accepté d’octroyer aux institutions de l’UE le droit d’accomplir des actes qui, selon l’avis d’une partie des politiciens et de la communauté juridique, sont explicitement interdits par les Traités constitutifs. Tel était le cas lorsque la Banque centrale européenne a ostentatoirement annoncé le lancement du programme de rachat de la dette grecque afin de maintenir à flot son système financier et son système de paiement. Cette opération de sauvetage a failli échouer puisque le pouvoir de la BCE d’effectuer cette opération a été immédiatement contesté par la voie juridictionnelle. Au Luxembourg comme à leur niveau national, 37 mille experts, entrepreneurs et politiciens allemands ont essayé de prouver que la BCE n’a pas le droit de financer les gouvernements des Etats-membres de l’UE [Khan 2016]. La politique d’assouplissement qualitative, selon la même partie des politiciens et de la communauté juridique, a aussi été menée par la BCE «extra vires», c’est-à-dire illégalement.

Pourtant ce n’est rien comparé au travail considérable en matière d’interprétation extensive des compétences de l’UE et de ses institutions, effectué par la Cour de justice de l’Union Européenne durant les décennies d’existence de l’Union. L’ampleur de ce travail est fabuleuse.

La Cour de Luxembourg a déclaré l’Union Européenne comme étant un système juridique autonome. Elle l’a exemptée de l’application du droit aussi bien national qu’international en ce qui concerne les relations à l’intérieur de l’UE; elle a entériné ses traits fondamentaux et ses particularités comme étant des principes immuables [Европейское 2018].

La Cour a réussi à obtenir que le droit de l’UE devienne partie intégrante du droit interne des Etats-membres et jouisse d’une suprématie par rapport à leurs systèmes juridiques nationaux, et ce en tout temps et toute circonstance. Elle a soutenu et a mis en pratique la conception de l’effet direct et de l’applicabilité directe du droit de l’UE dans le droit interne de ses Etats-membres. Elle a assuré la sécurisation juridique du droit de l’UE, qui est soutenue par la puissance cumulée des systèmes judiciaires de tous les Etats-membres. En d’autres termes, la Cour a fait tout son possible pour que le droit de l’UE maintienne par un cerclage de lames d’acier d’abord l’espace économique commun des Etats-membres, ensuite l’espace socio-économique et enfin l’espace de sécurité intérieure [Европейское 2018].

Durant toutes ces années, la Cour de Luxembourg plaçait les intérêts de l’UE et les objectifs d’intégration avant les intérêts mercantiles de certains pays; elle obligeait les Etats-membres à se conformer à une réglementation commune, comblait l’une après l’autre les lacunes permettant d’échapper à l’application du droit de l’UE en tant que droit suprême des Etats nationaux faisant partie de l’Union.

La Cour a attribué à l’UE une personnalité juridique internationale totalement différente par rapport à celle qui était initialement prévue par les Traités constitutifs. Elle a statué que tout le monde doit considérer que dans le domaine économique extérieur l’UE jouisse de l’extension de ses compétences internes, nécessaires à l’édification du marché commun [Европейское 2018].

Aux tous premiers instants de la mise en œuvre du projet européen, la Cour a reconnu pas à pas au Parlement européen tous les droits procéduraux et autres lui conférant le statut d’une institution de l’UE à part entière, a aligné sa position par rapport au Conseil de l’UE et à la Commission européenne, a imposé de tenir le Parlement en respect. C’est seulement après que le Parlement européen a pris son envol, que les Etats-membres l’ont transformé d’un organe consultatif en un authentique législateur.

L’activisme juridique déployé par la Cour de Luxembourg est nécessaire et utile à l’UE; la construction européenne ne peut pas s’en passer, surtout à l’époque des turbulences politiques, quand les institutions politiques de l’UE n’arrivent parfois pas à s’acquitter dûment de leurs obligations de faire avancer le projet d’intégration. C’est pour cette raison que la Cour de Luxembourg reste un outil latent de rechange, propre à renforcer l’UE et à élargir ses pouvoirs; au vu de la multidimensionalité de la compétence que les Etats-membres ont conféré et continuent à conférer, la Cour représente une boîte à outils dédiée à promouvoir l’intégration, à assurer sa maintenance et son renforcement.

Dans certains cas un rôle similaire est assumé par les instances juridiques nationales suprêmes. Ainsi, ce n’est que grâce à l’interprétation extensive du droit, suggérée par le Tribunal constitutionnel fédéral de l’Allemagne, qu’on a réussi à débloquer la situation dans laquelle ont essayé de mettre l’UE les partisans de la «légalité absolue» des activités de l’Union et de ses institutions, en l’occurrence de la BCE.

 

Prévisions optimistes

La période de désarroi et d’hésitations dans l’histoire de l’UE va continuer. C’est dans la tradition de l’UE. Les conséquences des crises nombreuses et extrêmement graves, qui l’ont beaucoup cahotée, se feront ressentir dans les pays européens encore pendant un long moment. Mais les crises proprement dites, l’UE les a pour l’essentiel surmontées. Il est à nouveau apparu en voiture. L’UE a retrouvé ses ressources, qui encore hier lui faisait terriblement défaut, et qui sont indispensables pour coaliser ses membres, pour les aider à s’adapter aux desiderata et à l’état évolués de la société, à s’occuper de leur avenir commun.

Comme nous avons essayé de le démontrer, tous les scénarios possibles et réalistes de cet avenir sont associés à la modernisation de l’UE, à son évolution grâce à de nouvelles dimensions de coopération lui conférant plus d’efficacité et de compétitivité sur la scène internationale. En d’autres termes, ces scénarios sont étroitement liés à un renforcement ultérieur ambitieux de l’intégration.

Pour ce faire, l’UE dispose de tous les outils juridiques nécessaires. Sans attendre le départ du Royaume-Uni, qui proposait une voie alternative du développement et qui entravait tous les processus, Bruxelles d’ores et déjà recourt de plus en plus activement à l’usage de ces outils. La transformation de l’Union Européenne a effectivement commencé; elle s’accélèrera intensément après la conclusion du Brexit.

En définissant la stratégie de relations de la Russie avec l’UE et ses Etats-membres, il faut absolument en tenir compte. Comme il faut prendre en considération la place réelle, et non fantasmée, que l’UE occupe dans l’équilibre mondial des forces, ce qui fait le sujet de plaisanteries sarcastiques, mais cependant pertinentes, de Andrew Moravcsik. Permettez-nous d’évoquer ici un petit extrait de son récent article, il le mérite bien. Le chercheur de renom écrit ce qui suit:

«Beaucoup considèrent l’Europe comme une force obsolète dans la politique mondiale. La pensée conventionnelle affirme que la politique mondiale actuelle est unipolaire, les États-Unis étant la seule superpuissance. Ou peut-être est-elle multipolaire, avec la Chine, l’Inde et les autres prêts à défier les puissances occidentales. De toute façon, le rôle de l’Europe est secondaire – et continue à s’amoindrir. L’Union Européenne, dit-on, est trop faible pour éviter le dépérissement face à la subversion russe, à la migration de masse, à la révolte de droite, aux projets britanniques de sortie, à une croissance lente et aux dépenses de défense anémiques.

Bien sûr, il est facile de détecter des signes de désarroi. L’Europe moderne est en désordre, ses institutions et ses politiques sont imparfaites. Certaines menaces, auxquelles l’UE est confrontée, sont plus que réelles…

Pourtant, au milieu de toutes ces hyperboles et de l’hystérie, il manque un point fondamental. L’Europe d’aujourd’hui est une véritable superpuissance, et le restera probablement pour les prochaines décennies. D’après les indicateurs les plus objectifs, elle concurrence ou dépasse les États-Unis et la Chine dans sa capacité de mettre en avant une gamme complète de forces armées et économiques, ainsi que de forces douces» [Moravcsik, 2017].

*1 Qui pourrait arriver plus vite qu’on ne pense [Gave 2018].

*2 L’ampleur de ce manque de crédibilité est corroborée par la citation suivante: «Il se peut que depuis plus ou moins mille ans le Royaume-Uni n’ait pas été traité avec autant de dédain qu’aujourd’hui» [Лондон 2018].

*3 Si l’on croit les sources utilisées par les auteurs de l a fondation Friedrich-Ebert, “les travaillistes d’aujourd’hui ont (de nouveau) égalé le niveau de popularité du parti conservateur britannique, le taux de popularité des deux partis est à un niveau de 39% [Кациоулис Н., Кациоулис Х. 2018].

*4 Selon OECD la situation économique de la Grande-Bretagne est décevante, et il y a plusieurs raisons à cela [Краснушкина 2018].

*5 Selon l’édition russe du magazine Forbes, durant l’année de mise en œuvre des réformes, il a baissé, passant de 69% — au sommet de sa popularité — à 43% [Шкляров 2018].

*6 Tous nos amis italiens nous le disent.

*7 Toutes ces crises sont explicitement illustrées par les graphiques de Ivan Timofeev.

*8 En juillet 2017 le pays est revenu sur le marché des emprunts extérieurs en plaçant des obligations à 5 ans d’une valeur de 3 milliards de dollars à 4,4%.

*9 Certes, des centaines, voire des milliers de migrants se noient encore dans les eaux de la Méditerranée, malgré l’affirmation de l’UE selon laquelle leur salut est sa priorité [Nielsen 2018].

*10 Personnellement, nous soutenons un point de vue contraire; mais plusieurs économistes, historiens et politologues occidentaux éminents continuent d’insister sur le fait que l’assainissement de l’économie dégradée et la rationalisation des dépenses non justifiées, ainsi que du train de vie dispendieux, n’auraient pas pu être mis en œuvre d’une autre façon [[Hien, Joerges 2017].

*11 Et non l’inverse, comme l’affirment certains commentateurs russes, en particulier Yulia Latynina, éditorialiste de «Novaïa gazéta» [Латынина 2018].

*12 Notamment, selon les calculs d’Alan Posener, «En Bulgarie, en Italie, en Grèce, à Malte, en Autriche, en Pologne, en Slovaquie, en Tchéquie et en Hongrie les partis eurosceptiques soit forment à eux seuls les gouvernements, soit en font partie».

*13 D’autant plus que des forces très influentes au sein de l’UE s’emploient à lui donner une exemplarité prohibitive. Ceux qui font des analyses sérieuses et non tapageuses, évaluent cette situation de la façon suivante: «… les patrons de l’UE veulent compliquer au maximum la vie de la Grande-Bretagne après le Brexit, afin de faire passer aux autres l’envie de suivre son exemple et de quitter l’Europe unie» [Лондон 2018].

*14 Ce qui est particulièrement opportun vu les tentatives de revitalisation et d’unification, y compris grâce aux efforts des ONG américaines, des mouvements populistes de droite des pays européens pendant la période préélectorale [Селимова 2018].

*15 C’est une idée reçue des analystes allemands, et même de beaucoup d’autres: «les conservateurs sont profondément divisés à ce sujet, mais craignant les élections anticipées et une victoire éventuelle de Corbyn, continuent de soutenir le Premier ministre» [Кациоулис Н., Кациоулис Х. 2018].

*16 L’article 1 de l’accord relatif à une juridiction unifiée du brevet prévoit ce qui suit: «A Unified Patent Court for the settlement of disputes relating to European patents and European patents with unitary effect is hereby established. The Unified Patent Court shall be a court common to the Contracting Member States and thus subject to the same obligations under Union law as any national court of the Contracting Member States» [Agreement 2013].

 

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* Совместный проект с Институтом Европы РАН и журналом «Современная Европа»