Retour de l'ère du nationalisme conservateur en UE et aux USA ,


ou Renforcement des contradictions intra-nationales et interétatiques en tant que diagnostic du développement actuel

Le monde est au seuil de changements, dont certains ont déjà eu lieu ou sont déjà identifiés. Mais l’essentiel des évènements est encore à venir, et ils sont malheureusement peu encourageants. Ce ne sont pas de simples modifications, mais des changements qui sont indicateurs de l’intensification de divergences, de conflits, de tensions, d’atrocité, de radicalisme et de polarisation, quand il devient de plus en plus difficile de choisir une solution qui soit vraiment juste, bonne, intelligente.

Trop de choses en témoignent: le Brexit; les résultats des présidentielles aux Etats Unis, perçus par les élites de la planète comme un facteur aggravant les risques et l’incertitude; la guerre de l’information déclarée en Amérique contre la nouvelle administration et la fronde évidente contre ce que cette administration entreprend ou a l’intention de faire, les deux allant à l’encontre de tous les principes d’une bonne gouvernance.

Dans le même ordre d’idées, il y a l’accoutumance à la guerre des sanctions et à la confrontation entre la Russie et les USA, la Russie et l’OTAN, la Russie et l’UE *1 ; le nombre croissant de pays et de régions impliqués dans la crise politique, économique, systémique ou même existentielle, la crise qui est devenue permanente, sévissant aux USA, en UE, en Russie, en Chine, au Japon, au Brésil, en République Sud-Africaine, en Turquie, en Corée du Sud, au Grand Moyen Orient et en Grande Asie Centrale. Cette liste de pays, bien évidemment, n’est pas exhaustive et n’inclut pas les pays et les régions où la survie de la population a été mise en péril.

La cause principale de tout ceci est peut-être l’incapacité et l’absence d’envie des acteurs régionaux et extrarégionaux de trouver une réelle solution aux litiges et conflits internationaux, y compris les plus dangereux, ou bien l’absence d’envie de reconnaitre la légitimité d’un règlement obtenu. Ou peut-être l’augmentation du nombre de ces conflits et de leur intensité, ou encore un affaiblissement généralisé de la maîtrise des processus politiques et socio-économiques à l’échelle locale, nationale et internationale.

Une évolution si affligeante des évènements a rappelé à la communauté des experts une formule tristement connue relative aux dirigeants qui n’arrivent plus à gouverner à l’ancienne et aux administrés qui ne veulent plus vivre à l’ancienne, cette formule qui est actuellement applicable non pas à un seul pays ou à un groupe de pays, mais au monde entier. Ce rappel a poussé les experts à parler de situation menaçante *2 . La formule quant à elle a été proposée en 1913 par le leader du prolétariat mondial. Dans son ouvrage «Maiovka* du prolétariat révolutionnaire» Lénine écrivait: «Pour que la révolution éclate, il ne suffit pas que la base ne veuille plus vivre comme auparavant. Mais il importe encore que le «sommet» ne puisse plus administrer ni gouverner comme auparavant.» [Note du traducteur: *Maiovka - réunion clandestine du Premier Mai (avant la Révolution d'Octobre) ]

On a recommencé à trouver des similitudes entre ce qui se passe dans le monde actuel avec la situation qui existait à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Dans les faits, à l’époque comme aujourd’hui, on constate une accumulation de matières explosives, la crise qui sévissait partout, les conflits interétatiques qui se superposaient. Et l’absence d’évolution dans le règlement de ces conflits, ou au moins dans l’atténuation de leur intensité, qui créait un effet cumulatif *3 .

La conclusion selon laquelle tout s’est aggravé, la base «ne veut plus» et le «sommet» «n’est plus en état», semble complètement juste. Mais ce n’est que la constatation d’une maladie ou d’un malaise. Pour proposer un traitement ou une prévention, il faut établir un diagnostic. Nous allons essayer de le faire, en concentrant notre attention uniquement sur les moments clé.

 

Contre la simplification et la schématisation stéréotypée dans l’évaluation de la situation

Les analystes se sont lancés dans les antithèses: mondialisme – anti-mondialisme; ouverture – fermeture; fin du libéralisme – retour à l’époque du conservatisme; postmodernisme – néo-modernisme; Poutine et Trump – et tous les autres. Voici un échantillon des plus classiques au sujet de la France: Stefan Dehnert dans son article «Madame le Président?» écrit: «Macron et Le Pen représentent l’incarnation d’un nouveau conflit entre les adeptes de l’ouverture (mondialisation, immigration, tolérance à l’égard des minorités nationales, nouveaux modes de vie, confiance aux capacités d’intégration du modèle de la société française) et les partisans de la fermeture (restriction drastique de l’immigration, priorité des intérêts nationaux, restriction du libre-échange, retour au «bon vieux temps»), conflit qu’on peut observer dans plusieurs Etats occidentaux.

Madame Le Pen l’a transformé en confrontation entre «les patriotes» et «les cosmopolites», une analogie pas si anodine des «adeptes de la mondialisation». Cette notion comporte une connotation volontairement dégradante. Madame Le Pen aspire à quitter l’UE et la zone euro, à faire passer le nombre actuel de migrants de 140 mille personnes par an à seulement 10 mille, à faire comprendre aux musulmans vivant dans le pays qu’en réalité ils n’en font pas partie. Sa politique incarne le repli de la France sur elle-même.» *4 .

C’est une schématisation grossière , une simplification , comme l’est aussi l’affirmation que le parti de Geert Wilders , et les populistes en général, auraient soi-disant perdu les élections législatives aux Pays Bas le 15 mars 2017 *5 . Pourtant ils n’ont pour ainsi dire pas fait de campagne électorale (pour des raisons de sécurité, entre autres), mais ont quand même gagné 1/3 de sièges en plus au parlement; ils ont généreusement fait bénéficier de leur soutien ceux qui se prononçaient «inconditionnellement» contre eux, mais en réalité empruntaient une partie de leurs slogans, relatifs aux aspects les plus cruciaux, à savoir le rétablissement de l’ordre et la limitation de l’omnipuissance de la bureaucratie bruxelloise *6 ; le parti de Geert Wilders et les populistes ont eu une influence considérable, presque hypertrophiée, sur le déroulement des élections.

Comme l’a fait remarquer, entre autres, le «New-York Times», «une grande popularité et des discours souvent provocateurs des populistes ont fait déplacer une grande partie des débats politiques sur un terrain propice aux extrémistes de droite» *7 , en démontrant une fois de plus, et avec persuasion, que l’establishment politique n’a même pas l’ébauche d’une stratégie quelconque, aucune vision de «la société hollandaise future où jusqu’à 40% de la population seront issus de l’immigration» *8 . Le «New-York Times » a aussi fait remarquer que même si les partisans et les adeptes de Geert Wilders n’ont pas réussi à devenir le parti politique principal du pays, ce qu’on craignait fortement au sein de l’UE, leur agenda est néanmoins resté d’actualité, comme les problèmes qu’ils ont soulevés[9] .

En réalité, tous les leaders politiques éprouvent le même sentiment : la situation existante ne les arrange pas, que ce soit la situation dans le monde en général ou dans leurs pays en particulier, ou bien c’est la place que leurs pays occupent dans le monde d’aujourd’hui qui ne les arrange pa s. Ils réagissent tous, car ils ne peuvent pas faire autrement, aux attentes de leurs électeurs et essaient d’incarner le mécontentement de leur électorat. Ils tentent tous d’apporter leur réponse aux nouveaux et anciens défis de notre temps. Mais, s’exclame la majorité de la communauté des experts, c’est ici que se cache un profond dissentiment entre ces leaders: ils donnent des réponses diamétralement opposées, ils se basent sur une compréhension profondément différente de la réalité.

 

Contre la distorsion dans l’évaluation de la politique et des politiciens

C’est pourtant loin d’être le cas. Ce n’est plus une simplification, mais une distorsion qui se cache derrière un simulacre de vérité. Oui, les leaders politiques ont un langage dissemblant. Ils s’imposent de façon différente. Ils sont incomparables sur le plan émotionnel: les uns sont grotesques, outranciers, ils frappent à tour de bras. Les autres préfèrent le style classique, «collet monté». Non seulement ils ont l’air de n’avoir jamais ôté leur cravate, mais ils se comportent comme s’ils ne l’avaient jamais fait. Mais ce n’est que de l’apparence.

Les uns soutiennent des valeurs libérales, les autres soulignent l’importance et la portée toujours actuelle des valeurs traditionnelles, classiques, éternelles. Les uns se prononcent pour l’exclusivité dans la prise des décisions de première importance et dans le maintien de l’ordre qui rendrait cette prise de décision possible. Les autres insistent sur une sécurité égale, sur une mise en œuvre cohérente de l’égalité souveraine, sur le refus des mesures et des actions unilatérales, sur l’inclusivité dans la gouvernance des processus mondiaux. Les uns sont pour la promotion du libre-échange.

Ils défendent des idées, des valeurs, des conceptions diamétralement opposées. Les autres gagnent leur popularité avec des slogans du style «L’Amérique avant tout!», que ce soit l’Amérique, la France, la Russie ou un autre pays. Les uns déclarent être prêts à ouvrir la porte à l’immigration et prônent la liberté de déplacement, les autres exigent de les limiter d’une façon ou d’une autre. De telles divergences, qui semblent irréconciliables, touchent tous les points de l’agenda international.

Mais ce serait ridicule de considérer ces exigences comme absolues et de les présenter comme positions philosophiques incompatibles. Quoi que disent tels ou tels hommes politiques, quelle que soit leur façon de jongler avec des faits et des notions, ils sont tous des réalistes politiques , même si la BBC, en tombant dans l’absurde, a réussi, en suivant plusieurs autres médias *10 , à déclarer que Donald Trump et Vladimir Poutine sont de la même cuvée *11 . Tous les politiciens tiennent compte d’un réel rapport de forces dans le monde, sur un continent, sur un théâtre de guerre, dans une région. Tous comprennent parfaitement que sans l’appui de ses voisins et de ses alliés, sans une coopération internationale multilatérale (à savoir sans l’OTAN, la Chine, la Russie, les partenaires européens etc.) on n’arrivera à rien.

Il est tout simplement absurde d’affirmer que Donald Trump s’oppose catégoriquement au libre-échange , sur lequel est basée l’économie américaine, ou que Vladimir Poutine se tient à l’écart du monde entier derrière des murs protectionnistes, tandis que Moscou, par le biais de l’Union économique eurasienne, a déjà commencé à signer des accords de libre-échange avec des pays tiers et que de tels accords se compteront bientôt par dizaines *12 . C’est aussi absurde que d’affirmer, en se fiant uniquement aux paroles berçantes de Xi Jinping lors du forum de Davos en 2017 *13 , que le monde entier aurait changé et que c’est précisément la Chine qui maintenant prône le libre-échange, alors que tout le monde sait à quel point l’économie chinoise est fermée et avec quelle habilité Pékin manie les mesures protectionnistes.

Voilà comment cette situation peut être comprise dans la lumière de la première rencontre entre Donald Trump et Angela Merkel qui a eu lieu à la Maison Blanche le 17 mars 2017: «Les Allemands soupçonnent le nouveau gouvernement des USA d’avoir une propension au protectionnisme et à l’isolationisme, ils ont peur d’éventuelles nouvelles pénalités fiscales américaines sur la marchandise importée d’Allemagne. Donald Trump déclare qu’il n’est pas isolationniste et se prononce pour le libre-échange, mais il exige un juste équilibre dans les relations commerciales, qui à l’heure actuelle représentent pour l’Amérique un manque à gagner intolérable. L’administration américaine a pris à ce sujet une position ferme *14 .

L’analyse, ou la présentation, des moyens de contrôle possibles de l’immigration , se caractérise par le même dilettantisme, la même duplicité, l’auto-aveuglement et la tromperie intentionnelle. Le fait que Donald Trump mette en œuvre des mesures sélectives, limitant l’entrée aux Etats-Unis et l’accès à la « green card», le fait qu’il révise l’héritage libéral de Barak Obama, qu’il formule clairement ses exigences à l’égard des pays voisins et autres, ces faits-là ne signifient aucunement que le président américain soit contre l’immigration en tant que telle. Il s’oppose à l’immigration uniquement dans la mesure où elle demeure incontrôlable, illégale et contraire aux intérêts du pays. Mais l’orientation de Washington sur la croissance et le développement grâce au pompage de par le monde de personnalités dynamiques et créatrices, de jeunes talents ou de jeunes tout court, cette orientation ne subira aucun changement sous la gouvernance de Donald Trump.

La Russie a, elle aussi, mis en œuvre des mesures restrictives contre l’afflux de main-d’œuvre étrangère, et ce n’est pas parce qu’elle «se barricade» ou parce qu’elle projette de ne plus importer cette main-d’œuvre, loin de là. Mais Moscou a besoin de répit pour faire baisser la pression exercée sur le marché du travail dans les conditions actuelles de crise économique et de stagnation. La Russie a besoin de temps pour comprendre de quelle main-d’œuvre elle a réellement besoin, et par la suite agir en conséquence.

Au sein de l’UE, la lutte politique autour du problème gravissime de la gestion de la crise migratoire ne vise absolument pas à fermer hermétiquement les frontières, mais à les laisser transparentes uniquement pour ceux dont les pays européens ont besoin. Cette lutte politique vise à définir celui qui va décider quelles personnes, en quel nombre et sous quelles conditions pourront être accueillies. Serait-ce décidé par les autorités nationales, les voisins, les institutions supranationales ou la décision serait-elle prise sous la pression des guerres sanglantes, civiles et ethno-confessionnelles, des conflits, de la misère et de la pauvreté?

 

Métamorphose des systèmes politiques et rétrécissement du spectre politique

Tous les clichés et stéréotypes , inventés par la communauté politique et la communauté des experts, toute cette opposition entre conservateurs ou libéraux, entre extrême droite ou gauche, entre patriotes ou cosmopolites, entre partisans ou opposants, sont par définition déficients, dépassés (on se demande s’ils avaient jamais reflété la réalité). Ils ne sont plus porteurs de charge utile, ne font qu’embrouiller les choses. On en a besoin essentiellement comme d’un moyen de lutte politique contre des indésirables ou d’un moyen de bourrage de crâne plus efficace.

Ceux qui se prononcent pour des méthodes violentes pour atteindre les objectifs fixés (exproprier et partager, changer de régime politique), ou pour une discrimination selon tel ou tel critère, sont considérés comme extrémistes. Ce ne sont que des groupuscules – des gauchistes et des ultras. Ils n’existent pas au sein des grands partis sérieux ni au sein des mouvements de même acabit.

Les systèmes politiques de tous les pays importants de la planète à multipartisme réel ou fictif, ont changé de nature il y a longtemps, ils ont admis en leur sein une opposition antisystème. Cette opposition à son tour a cessé d’être extrême, et non seulement en France, où le Front national s’est presque transformé en force politique importante du pays (il a été «blanchi», comme aiment se moquer les politologues locaux). Cette opposition a aussi cessé d’être extrême aux Pays Bas, en Allemagne, en Grèce et ainsi de suite . Ce serait une aberration de l’esprit pure et simple de qualifier ces partis d’extrême s uniquement parce qu’ils prônent la préservation de l’identité nationale (comme en Suisse) ou la récupération, au niveau national, des pouvoirs souverains, qui avaient été si précipitamment délégués. Ces partis disposent d’un tiers de sièges au Parlement Européen, qui lui est l’incarnation-même de l’intégration. Ce serait un échafaudage purement politique, et on sait bien qui l’a conçu et pourquoi, et pour quels intérêts il est exploité.

Dans la politique internationale, que ce soit à l’échelle nationale ou à une échelle beaucoup plus large, il se passe exactement le contraire de ce qui est décrit par les représentants les plus brillants de la communauté des experts et des professionnels. Ce n’est pas de la polarisation du spectre politique qu’il s’agit, mais de son rétrécissement. Il ne s’agit pas non plus de la déstabilisation ni de la baisse de gouvernabilité, mais d’une sortie à l’avant-plan d’un agenda à caractère très délimité commun pour tous; pas d’une fragmentation des mouvements politiques et de la réalité politique, mais de leur consolidation . Tous les partis et mouvements se déplacent vers le centre à la recherche d’une légitimité puisque cette dernière ne s’acquiert qu’au centre. Puisque c’est là que se trouve la majorité – «l’eau stagnante» de la société aussi bien que les adeptes les plus fervents d’un thème ou d’un manifeste (quelle que soit sa «couleur» — vert, bleu, brun ou autres). Ce n’est plus une tare (ça l’était avant, maintenant ça n’a pas de sens) de faire des yeux doux à tout slogan ou point de vue. Les tabous se désagrègent. Tout le monde chasse sur le terrain de l’autre en essayant d’élargir les bases de soutien social dont chacun bénéficie.

Le mouvement aléatoire des forces politiques, dû au fait que les électeurs sont las, qu’ils en ont marre, qu’ils s’attendent à autre chose, et il faut alors rapidement changer d’orientation et de configuration, ce mouvement a pour conséquence une certaine ressemblance entre les partis. Néanmoins, les prétentions d’être différent, ou au moins de s’appeler différemment, n’ont pas disparu. En France les socialistes, même sans avoir changé de couleur, ont commencé à mettre en application un programme économique de droite. En Grèce, c’est la Coalition de la gauche radicale (SYRIZA) qui s’est attelée à cette tâche «ingrate». En Allemagne, ce sont les chrétiens démocrates, faisant partie d’une Grande coalition, qui se sont prononcés pour l’instauration d’un salaire minimum, ce que faisaient avant uniquement des social-démocrates. Les exemples sont nombreux. Cela fait longtemps qu’une mosaïque disparate s’est transformée en un tableau bien fini.

Tout en étant ressemblants et ayant un agenda pratiquement identique, les partis et les mouvements politiques de différents pays se distinguent les uns des autres par des nuancements . Autrement dit, chaque force politique propose son cocktail de solutions aux problèmes qui sont identifiés par la société et qui suscitent la résonance politique la plus importante. Certains le font d’une façon plus insistante et cohérente, en obligeant les autres à les suivre. D’autres sont plutôt guidés par des raisons conjecturelles. La récompense, que la société et l’électorat leur accorderont, sera chaque fois fonction de la spécificité nationale et régionale et sera en corrélation avec la phase du cycle politique et économique propre à chaque pays et à chaque région. Et ce sont ces phases en question qui diffèrent d’un pays ou d’une région à l’autre.

 

Envie d’un dialogue direct honnête ou de quelque chose qui y ressemble

Si les distinctions s’estompent, si le plagiat politique prolifère et si tout le monde se laisse glisser quand la balançoire repart dans l’autre sens, selon ce que lui indique son flair politique, alors ce n’est pas le contenu des programmes politiques qui l’emporte, d’autant plus qu’il peut être retravaillé ou carrément remplacé par autre chose dès l’accession au pouvoir. C’est un besoin immédiat de la société qui l’emporte: soit le bien-être existant ou au contraire la recherche d’un autre bien-être; une lassitude qui s’installe, provoquée par les figurants politiques bien connus ou éculés – ou, au contraire, l’a ttente d’un «sang neuf»; l’envie d’être, de se laisser bercer par les assurances de stabilité, de pertinence et de victoires remportées – ou au contraire l’envie d’entendre «la vraie vérité». Parfois quand on n’en peut plus , on a besoin d’entendre des choses saisissantes, on a besoin d’être emporté par l’enthousiasme et le ravissement, de ressentir la satisfaction d’avoir entendu la vérité, d’avoir compris la langue qu’on te parle sans arrondir les angles.

C’est cet état d’esprit qui a prévalu aux Etats Unis . La majorité a voté, avant tout, contre ce qui était vieux, ancien, ou tout simplement a voté «contre» . Mais en même temps elle a voté pour une figure épatante, hors standard et hors tradition, et aussi pour celui qui a proposé de faire pencher la balance de son côté.

L’ensemble des propositions substantielles du nouveau président américain, 45 ième sur la liste, a été puisé dans un riche arsenal de mesures qui étaient tantôt appliquées, tantôt annulées par ses prédécesseurs. Il s’agit de la baisse des impôts sur les corporations, d’économies dans la fonction publique, de subventions pour le complexe militaro-industriel, de la réduction du déficit budgétaire et du déficit du commerce extérieur, d’un traitement plus rigoureux à appliquer aussi bien aux opposants qu’aux alliés.

On ne peut que s’interroger sur la probabilité d’un pareil état d’esprit en France . Il n’est pas mesurable. Cet état d’esprit pourrait suffire pour reformater l’espace politique dans sa totalité, comme il pourrait ne pas y suffire. Il semblerait que l’évolution de la situation ne va pas dépendre uniquement de Marine Le Pen (ses qualités de combattante et un soutien social colossal dont elle bénéficie ne sont pas remis en question ). Ce qui va probablement conditionner l’issue des élections, c’est l’efficacité du jeu qui sera mené contre elle, la capacité du camp adverse très disparate à se consolider autour d’un seul objectif (qu’il soit primitif ou noble, c’est selon), à savoir l’objectif de ne pas laisser le leader du Front national, et tout ce qu’elle représente, accéder au pouvoir.

La situation en Allemagne comme en Russie est absolument à l’opposé: des idées fraiches n’existent pas (et n’ont jamais existé), la majorité à tous les niveaux préfère éviter de «faire des vagues», c’est-à-dire de déstabiliser la situation, en considérant que ça ne va pas améliorer les choses. Néanmoins, les anciennes prévisions d’une victoire sans embûches du CDU/CSU en l’absence d’un réel adversaire ont dû être revues *15 après un retour «triomphal» dans la politique allemande de Martin Schultz, ancien président du Parlement Européen, d’autant plus que plusieurs facteurs, détaillés ci-dessus, jouent contre la Chancelière actuelle Angela Merkel *16 .

Il n’y a pas très longtemps, les social-démocrates étaient désespérément à la traîne dans les sondages de l’opinion publique. Après l’élection de Martin Schultz au poste de président du Parti social-démocrate (SPD) et sa désignation en tant que candidat au poste de chancelier, le parti a rattrapé son retard. Selon les données de l’Institut Emnid , publiées par Bild am Sonntag le 19 mars 2017, les chrétiens démocrates peuvent compter sur 33% des voix et les social-démocrates sur 32%. Si les élections directes du Chancelier avaient eu lieu début printemps, Angela Merkel aurait récolté 48% des voix et Martin Schultz s eulement 38% *17 . Les élections dans la Sarre ( Saarland en allemand), qui lui ont servi de premier test, ont démontré que Martin Schultz a encore du pain sur la planche pour attirer plus d’électeurs à ses côtés *18 , et que les rêves d’une coalition rouge-rouge-verte peuvent ne pas se réaliser *19 .

 

Composants de la révolution psychologique du comportement politique

L’état d’esprit, quand on n’a plus envie d’être pris pour un simplet, abruti, niais, idiot, quand on n’a plus envie qu’on vous jette de la poudre aux yeux ni qu’on vous prenne pour moins que rien, quand on veut qu’on vous dise la vérité quelle qu’elle soit, qu’on vous demande votre avis, cet état d’esprit n’a pas surgi de nulle part; à son origine se trouve un gouffre infranchissable entre, d’un côté, le mode de vie des gens et ce qu’ils voient autour d’eux, et de l’autre côté, ce qu’on leur raconte et ce qu’on essaie de leur faire gober. Cet état d’esprit a été inspiré par une frustration profonde due au fait que les promesses des politiciens ne sont jamais tenues, qu’il n’y a aucun moyen d’influencer la politique réelle malgré toutes les institutions démocratiques, que le mécontentement de ce qui se passe ne trouve pas d’issue, tandis que le mal-être environnant devient de plus en plus évident.

Erik Reinert , économiste norvégien, professeur de l’Université technologique de Tallinn, met en évidence un des aspects de «révélation» que les pouvoirs préféraient ignorer jusqu’à récemment: «L’hypocrisie occidentale, faisant croire qu’il suffit d’accepter le libre-échange pour que tout le monde devienne riche, subit un échec. Vous savez très bien que c’était un mensonge. Donald Trump et le Brexit ont, dans un certain sens, mis fin à cette hypocrisie.

Aujourd’hui on voit bien que cette stratégie ne marche pas, même dans le centre du capitalisme, à savoir aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne» *20 . Il existe une dizaine de pareilles discordances qui sautent aux yeux, et même peut-être plus.

Une demande d’efficacité est devenue un deuxième composant de la révolution psychologique du comportement électoral; cette demande a traversé le monde occidental en commençant par la Grèce, la Pologne et la Hongrie pour arriver en Grande Bretagne et aux Etats Unis. Elle faisait suite à des processus semblables ayant lieu dans tous les coins du monde tels que le Japon, Taiwan, la Corée du Sud et le Grand Moyen Orient. Partout les gens sont las des politiciens, qui servent n’importe quels intérêts (leurs intérêts personnels, les intérêts de leurs familles, de l’élite politique ou du grand business) sauf les intérêts de ceux qui les ont conduits au pouvoir en leur accordant leurs votes. Les gens sont las des politiciens qui ont l’air de tout changer et de s’activer afin de mettre en œuvre les attentes politiques de la majorité de la population, mais qui, lorsqu’on y regarde de plus près, laissent tout en l’état. Les gens sont las des politiciens qui remettent sur le tapis, encore et toujours, les mêmes problèmes que la société aimerait voir résolus, les problèmes qui les font hurler et qu’ils n’ont plus l’intention de supporter.

Les gens sont las des politiciens qui ne sont capables que de sortir des phrases bien ampoulées, des belles figures de langage, de lire avec emphase les textes écrits pour eux par d’autres, mais qui n’ont pas l’étoffe pour assumer les fonctions qui leur ont été confiées par la volonté du destin; las des politiciens qui présentent bien sur les photos de famille entourés de leurs semblables, mais qui ne valent rien en tant que chef d’Etat; las des politiciens qui sont entièrement dépendants des marionnettistes, internes ou externes, quoi que ces politiciens fassent, qu’ils essaient ou non de se rebeller contre ceux qui tirent les ficelles, en jouant le jeu ou en se résignant. L es gens sont las de ceux qui sont incapables d’agir.

On peut reprocher beaucoup de choses à Donald Trump , et ces reproches frisent parfois l’ineptie. On l’accuse de manque de professionnalisme, d’expérience, des qualités indispensables pour des personnages officiels de haut niveau; on lui reproche une impulsivité non retenue et son imprévisibilité *21 . On le trouve psychiquement et psychologiquement instable. On lui reproche un je-m’en-foutisme, des idées confuses sur la façon de mener une politique cohérente intérieure et extérieure, sa rusticité . On l’accuse de percevoir la réalité à travers des théories absurdes de complot, de négliger les valeurs que l’Occident est appelé à défendre, de s’être vendu aux Russes, de sauter dans les cerceaux sur commande. Bref, on en a inventé des choses sur s on compte!

Mais aux yeux du business américain non-spéculatif qui fonctionne dans un secteur économique réel, aux yeux de ce business qui a misé sur Donald Trump, ce dernier a une qualité indéniable , une qualité déterminante , qui est toujours haut placée dans tous les sondages, une qualité primordiale qui vous rend sceptique par rapport à tout ce tapage autour du président américain actuel. Cette qualité lui servira de garantie dans la lutte qu’il est obligé de mener contre ce groupe disparate d’adversaires, qui espèrent encore le faire tomber, ou au moins lui donner une correction pour qu’il se tienne bien, ce groupe dont font partie le capital financier méfiant à son égard, l’establishment politique qui craint pour lui-même, les médias les plus importants qui sont allés trop loin dans leurs préférences, la minorité qui n’a toujours pas accepté sa victoire. Un électeur ordinaire apprécie cette qualité en question par-dessus tout, il est favorablement impressionné par Donald Trump, il lui a accordé sa confiance et ne le regrette pas.

Donald Trump tient ses promesses faites lors de la campagne électorale, rudement, méthodiquement, sans défaillance. Il fait ce qu’on attend de lui, ce pour quoi il a été mandaté par les citoyens et par le monde des affaires, ce qu’il voulait et avait l’intention d’entreprendre, ce que les autres politiciens, qui vivent selon des règles de temps révolus, des règles reniées par une nouvelle société née sous nos yeux, se seraient empressés d’échanger contre des compromis politiques et contre des concessions réciproques, contre l’amadouement, contre l’embellissement de leurs images.

Ce que ces autres politiciens auraient vendu et revendu, puisqu’ils ne jurent que par un dogme absolu de la vie et des traditions politiques d’antan: les promesses électorales sont faites pour gagner les élections, «acheter» des voix, attirer les électeurs du «bon» côté, mais surtout pas pour être tenues. Car jouer aux élections et à la démocratie, suivre la volonté du peuple est une chose, tandis que la vie réelle et la politique réelle c’en est une autre.

Donald Trump a promis, une fois arrivé au pouvoir, de s’occuper tout d’abord du reformatage de l’économie nationale . Sa première allocution prononcée devant le Congrès, qui exposait son crédo politique en tant que Président en fonction, le programme gouvernemental, élaboré et peaufiné par son Cabinet, ainsi que le budget de 4 trillions de dollars (!), prévu pour l’année prochaine, reflètent pleinement l’esprit de ses promesses. Donald Trump a promis de se retirer immédiatement du Traité trans-pacifique , car cet accord limiterait la nouvelle administration dans sa façon de mener une politique commerciale qualitativement différente. Le retrait de la signature, que les Etats Unis avaient apposée sous ce traité, a fait l’objet d’un des premiers décrets que le président a émis une fois élu.

Donald Trump a promis de renforcer l’armée américaine , de moderniser la triade nucléaire et d’assurer le leadership des USA dans le domaine militaire (et par la même occasion passer des commandes importantes à l’industrie militaire). Pour commencer, le budget militaire a été augmenté de 54 milliards de $.On prévoit qu’un budget allant jusqu’à 400 milliards de dollars sera consacré à la modernisation des armements nucléaires américains dans les années 2017-2026 (une augmentation de 15% par rapport aux anciennes prévisions pour les années 2014-2023) *22 .

S’agissant d’accorder des allègements d’impôts au business , le budget pour l’année fiscale à venir inclut une réforme fiscale intégrale pluridimensionnelle, élaborée par le cabinet présidentiel. Pour réduire le nombre gonflé de fonctionnaires, chaque ministère, chaque structure étatique a reçu un ordre standard de préparer des propositions qui permettraient de supprimer les fonctions superflues et réitératives.

Pour mettre fin à l’hypertrophie et au dictat de l’agenda écologique et climatique , on a sacrifié en premier lieu les services écologiques du pouvoir exécutif, c’est-à-dire de l’Agence fédérale de protection de l’environnement. Scott Pruitt a été nommé à la tête de l’Agence, et Rick Perry est devenu secrétaire à l’énergie de l’administration américaine. Selon l’avis de la communauté des experts, les deux personnes nommées « ne cachent pas leur attitude sceptique à l’égard de la théorie du réchauffement planétaire » *23 .

En ce qui concerne la promesse de mettre de l’ordre dans le domaine de l’immigration illégale, mexicaine avant tout, l’administration s’est précipitée pour la mettre en œuvre, malgré une réaction ambiguë des Américains.

Pour mettre en route la lutte contre l’Etat islamique [ce qui est interdit en Fédération de Russie, note du rédacteur] et augmenter la pression sur les pays qui menacent les intérêts et la sécurité des USA, le département militaire et celui de la politique extérieure se sont précipités pour concrétiser cet ordre.

L’unique domaine où la nouvelle administration a fait machine arrière , concerne les anciennes intentions du 45 ième Président des USA de revoir la politique à l’égard des alliés, y compris l’OTAN, l’UE et le Japon, ainsi qu’à l’égard des pays qui faisaient l’objet de préoccupations particulières de Washington, à savoir la Russie, la Chine et l’Iran. Ce sont des questions qui sortent de l’ordinaire, elles méritent une analyse particulière. On va donc y revenir plus tard.

On peut lancer une discussion au sujet des premières mesures entreprises par Donald Trump (c’est ce que font d’ailleurs la communauté politique et celles des médias et des experts aux USA comme dans tous les autres pays), on peut critiquer ces mesures, ne pas les approuver, les réfuter, démystifier, les réduire en poudre. Ou bien on peut proposer leur analyse, objective et sans parti pris. C’est selon. Mais une chose est indiscutable: le nouveau président suit méthodiquement son agenda qui l’a conduit à la Maison Blanche, malgré la résistance et son caractère obstiné et même effréné, malgré l’explosion des émotions politiques, provoquée immanquablement par les mesures annoncées. Nier cette évidence serait ridicule.

 

Problème de recherche d’hommes politiques efficaces et de première importance en France et en Allemagne

Il est difficile d’affirmer avec assurance si Marine Le Pen est perçue en France comme quelqu’un de capable de mettre en œuvre le programme proposé, y compris ses promesses électorales, comme quelqu’un qui serait prêt à avancer obstinément, avec assurance et sans compromis conformément à son programme. Elle a beaucoup moins de possibilités et beaucoup plus d’entraves que les autres. D’un côté, elle ne bénéficie pas du soutien garanti de la part du grand capital, à l’exception d’une petite partie qui la soutient par précaution et conformément à la règle générale de ne pas mettre tous les œufs dans le même panier. Alors Marine Le Pen sera obligée de le conquérir, ce grand capital, «d’acheter» son soutien. Elle sera obligée d’aller à la rencontre des souhaits de ceux qui déterminent la compétitivité, la stabilité et l’avenir de l’économie française.

Cela change tout. Le travail nécessaire se fait, sans aucun doute, mais on en parle très peu. Cependant l’effet de ce travail se fait ressentir. Les déclarations relatives à son programme deviennent de plus en plus tempérées , l’envie de ne pas contourner l’obstacle quelles que soient les circonstances, diminue.

Certaines prises de position radicalement nationalistes, y compris celles concernant une rupture radicale avec Bruxelles et la renationalisation des pouvoirs souverains qui lui avaient été délégués, deviennent plus relativisées.

C’est ce qui provoque des gaffes, comme celle de la parution dans «Rzeczpospolita» d’un article tapageur de Jędrzej Bielecki qui a inventé que le leader du Front National aurait déclaré publiquement «Si je gagne [les élections], je vais coopérer avec Kaczyński en faveur du démontage de l’Union Européenne» *24 . Les démentis ont étés innombrables, et pas seulement de la part de Jarosław Kaczyński, président du parti polonais au pouvoir « Droit et justice» (en polonais : Prawo i Sprawiedliwość) *25 .

Mais on ne peut plus reculer. Lors des deux premiers débats télévisés avec la participation des quatre autres candidats importants aux élections présidentielles la leader du FN est restée fidèle à elle-même. Elle a exposé sa position d’une façon claire et nette sur toutes les questions qui étaient abordées pendant l’émission.

Cependant Marine Le Pen peut compter uniquement sur son corps électoral fidèle , et même seulement sur son noyau, en sachant qu’il ne va pas s’éroder, qu’il ne va pas céder aux provocations ni aux exhortations du camp adverse et de tous ceux qui assimilent l’arrivée au pouvoir du Front National à une catastrophe nationale, à un effondrement de tous les fondements, à la mort de la France, en sachant que son corps électoral n’aura pas peur des conséquences.

Personne d’autre en France n’a un corps électoral aussi stable. Un nombre considérable de ceux qui votent tantôt pour les républicains, tantôt pour les socialistes, migrent facilement dans leurs préférences électorales. Ils sont mus par des considérations conjoncturelles, se laissent attraper par les prophéties sciemment mensongères, votent fréquemment non pas «pour», mais «contre». Le phénomène d’Emmanuel Macron, celui pour qui le mouvement «En Marche!» a été lancé, en est une preuve évidente. Il est apparu sur l’Olympe politique de la France pratiquement de nulle part. Il a gagné de la popularité principalement grâce à sa jeunesse, à son énergie, à son charme, à une campagne élogieuse dans les médias, grâce au fait qu’il présente nettement mieux que tous les autres hommes revendiquant la «couronne» de président de la France, mais aussi parce qu’il n’a pas eu le temps de commettre autant de fautes réelles ou de fautes d’image que les autres candidats. Il a caché longtemps les détails de son programme électoral *26 , puis il l’a créé vite fait bien fait avec une matière centriste qui trainait sous la main. Le privilège de s’appuyer sur une base solide n’appartient qu’à Marine Le Pen.

Cependant, pour pouvoir parler au nom du peuple et en général gagner les élections, et pas tout simplement exhiber sa force et son assurance croissantes, on a besoin d’un appui social beaucoup plus large . On a besoin du soutien de la part de diverses couches de population, de préférence de toutes les couches, on a besoin du soutien de ceux qui votent par convictions idéologiques comme de ceux qui se décident au dernier moment. Selon les sondages, six semaines avant le premier tour des élections 40% des électeurs français ne savaient pas encore pour qui ils allaient voter. Des jeunes, certains supporteurs du candidat des républicains François Fillon, certains fonctionnaires, y compris «les enseignants – la base électorale historique des socialistes» et d’autres étaient prêts à passer dans le camp de Marine Le Pen *27 .

Par conséquent, Marine Le Pen et le Front National seront obligés d’aller vers ces couches de la population, de les «appâter», de leur promettre ce qu’on ne voudrait pas promettre, ce qui va rendre son programme électoral de plus en plus omnivore et éclectique . Quoiqu’une pareille tactique puisse s’avérer contreproductive. C’est un aspect des choses.

En voici un autre. Tout le monde a en mémoire l’exemple de la Grèce . Ici dans le sillage du mécontentement de la population et des exigences de récupérer le contrôle de son propre pays usurpé par des créanciers internationaux, sont arrivés au pouvoir des «jeunes révolutionnaires», des «anti-systémistes», ceux qu’on appelle (faussement et sciemment, comme nous l’avons démontré ci-dessus) «extrémistes», dans ce cas précis – extrême gauche. Ils avaient tout pour eux: le mandat du peuple, la confiance en soi, un enthousiasme inextinguible . Et alors? Berlin et Bruxelles les ont déglingués, intentionnellement, impitoyablement et publiquement. Pour faire passer l’envie aux autres.

Il s’est avéré qu’ils n’avaient aucune marge d’action, que les outils souverains de gouvernance économique n’étaient plus fonctionnels, que les clés du système financier des Etats de l’UE sont gardées à Frankfurt et dans les coffres des créanciers internationaux qui peuvent «couper le courant» à n’importe quel pays, le priver d’oxygène financier. La France n’est pas la Grèce, bien évidemment. Mais ceux qui sont rejetés par ses voisins et partenaires puissants ont des moyens très limités pour pouvoir suivre un chemin indépendant.

En revanche, en ce qui concerne Martin Schultz, l’opinion de la communauté des experts s’est majoritairement façonnée: il n’y a rien de neuf dans son bagage idéologique.

Pour faire semblant, il ferait certainement quelques propositions accrocheuses, en particulier sur la grande justice sociale – c’est incontournable. Mais il ne pourra pas apporter de changements substantiels, il ne fera que recomposer la configuration des cercles de pouvoir. Par conséquent, les électeurs ne se font pas l’illusion qu’il va fermement et résolument mettre en œuvre son programme électoral.

Martin Schultz et la gauche allemande vont jouer sur un autre terrain . Le nouveau leader des social-démocrates est effectivement nouveau. Il a acquis sa réputation et sa renommée principalement en dehors de la politique allemande, au poste de président du Parlement Européen. Ce n’est pas quelqu’un qu’on a assez vu, comme Angela Merkel. Sa réputation, semble-t-il, n’est pas ternie. Son nom n’est pas associé aux graves bévues politiques. Alors de ce point de vue-là il pourrait paraître comme une vraie alternative, mais juste «paraître», et non pas «être», ce sont deux choses substantiellement différentes. Par conséquent, pour les socio-démocrates, comme pour les partis assimilables de moindre importance, il est primordial que les électeurs ne se rendent pas compte de cette différence. Alors la gauche allemande réussirait une mise en scène politique classique qui consiste à «mettre du vin nouveau dans de vieilles outres».

 

Insurrection contre les élites

Pour finir, le troisième ingrédient de la révolution psychologique dans le comportement des électeurs, qui balaie la planète, est lié à l’insurrection contre les élites. Une pareille insurrection précédente est liée aux évènements de 1968 , quand les émeutes étudiantes ont contaminé par leur énergie de larges couches de la population, d’abord en France, ensuite dans plusieurs autres pays sur tous les continents. Ces émeutes ont été à l’époque qualifiées d’explosion sociale provoquée par le refus de la nouvelle génération d’accepter les règles du jeu, l’ ordre et la structure mondiaux établis par les générations précédentes.

L’année 1968 a profondément changé notre mode de vie, elle a laissé son empreinte sur tous les aspects du fonctionnement de la société, a eu des incidences très marquées sur les interconnexions dans le triangle individu – société – Etat. L’explication actuelle de ces évènements n’a pas changé. Mais tout le monde a un peu oublié que le changement de génération n’est pas un évènement ponctuel, on convient qu’il a lieu tous les 25-30 ans et déclenche une transformation des goûts et des préférences des consommateurs, mais bien au-delà *28 . Ce changement de génération met tout en branle , même ce qui tout récemment semblait stable et même immuable.

Un potentiel explosif s’est accumulé pendant de longues années, nombre de politiques et de chercheurs l’ont fait remarquer. Les uns, traditionnellement, accusaient le chômage et son effet destructeur sur le tissu sociétal, le ralentissement de l’évolution de l’économie et du niveau de vie, la récession de l’activité. Cette situation ne s’est jamais produite, sauf pendant la Grande Dépression. Selon les statistiques, actuellement aux Etats-Unis le nombre d’entreprises créées est inférieur à celui des entreprises fermées.

Les autres mettaient en avant le phénomène de génération perdue et des attentes pessimistes . La satisfaction existentielle était en chute libre. La foi en des jours meilleurs et dans l’avenir assuré pour les enfants était ébranlée. Et pourtant tout ceci est indispensable pour l’optimisme social et le développement progressiste de la société. Cette constatation est devenue courante même pour les hauts responsables. Par exemple, Vygaudas Ušackas, représentant permanent de l’UE en Russie, dans sa vaste interview au journal russe «Nézavissimaïa gazéta» («Journal indépendant») fait observer presque incidemment : «Pour la première fois après la guerre, il existe un risque réel que les jeunes d’aujourd’hui vivent avec beaucoup moins d’aisance que leurs parents» *29 .

Les derniers mettaient l’accent sur une aggravation «inadmissible» des inégalités , et ce dans tous les pays, sur tous les continents, dans le monde entier. Barak Obama, l’ancien président américain, a commencé à parler de la nécessité de prendre des mesures d’urgence pour arrêter cette aggravation .

L’Organisation des Nations unies a commencé à s’occuper à fond de ce problème. Sans résultat visible, à vrai dire. Cependant, l’aggravation des inégalités a un effet multiplicateur sur le sentiment de l’injustice sociale flagrante. Toutes les sociétés ne sont pas forcément capables de faire face au stress provoqué par ces inégalités.

La plupart des économistes, des psychologues et des sociologues sont très alarmés par les tendances croissantes d’escapism e dans la société, par le refuge dans l’espace virtuel, par le refus de mener une vie active, de chercher du travail, de fonder une famille, d’élever des enfants, de combattre pour des idéaux significatifs, ou par le refus de mener une quelconque existence consciente.

Plusieurs ont commencé à décrire un sentiment croissant de peur et de frustration dans la société, provoqué par des changements à un rythme effréné dans toutes les sphères de la vie en même temps, qui concernent les relations interpersonnelles, les moyens de communication, ce flux d’informations contradictoires qui ravage l’être humain, le déclin des valeurs traditionnelles, la peur de devenir un «looser», d’échouer face à la concurrence sociale et ainsi de suite.

Mais tout le monde a laissé passer ce changement brutal dans les mentalités de la société, cette société qui s’est déchargée de toute responsabilité pour les malheurs, réels et fictifs qu’elle vit, et a fait porter cette responsabilité par les élites politiques.

Tous auraient averti d’une telle évolution, avec un degré de certitude plus ou moins élevé. Dans ce contexte, on pourrait même rappeler une lettre ouverte du Conseiller technique du premier ministre d’Italie, qu’il a adressée à ses collègues au Conseil de l’Europe. Cette lettre les mettait en garde: durant la période de réformes structurelles dans leurs pays, ils seraient emportés et envoyés au diable, ils partiraient dans le néant politique. C’est ce qui leur est arrivé, d’ailleurs *30 .

Le fait d’ avoir raté l’avènement de ce changement rappelle une histoire moscovite: chaque année tous s’étonnent quand l’hiver arrive et que la neige commence à tomber d’une façon inattendue… On a vraiment eu peur quand l’effet Trump-Brexit est survenu. Les sentiments qu’il a provoqués sont très bien exprimés par Vygaudas Ušackas cité ci-dessus: «La décision de la Grande-Bretagne de quitter l’UE est le bouleversement le plus important dans l’histoire de l’Union. Le désir d’un membre de la famille de la quitter aura toujours des conséquences colossales pour les autres, et non seulement économiques ou politiques; pour les peuples et les hommes politiques, c’est un coup psychologique porté à la confiance» *31 .

En tout cas, les résultats du vote, la volonté exprimée par la majorité silencieuse, le défi lancé par ceux qui auparavant obéissaient docilement — c’est une gifle pour les élites au pouvoir, une gifle extrêmement humiliante, à tel point qu’aux USA les vociférations des outragés retentissent encore. Une gifle douloureuse, porteuse de conséquences très sérieuses, avec laquelle il faudra vivre et évoluer, de préférence d’une façon intelligible, afin de ne pas en recevoir d’autres. En essayant de comprendre dans quelle mesure on peut parler de «soutien apolitique» des changements révolutionnaires apporté par la majorité silencieuse (ou qui se taisait jusqu’à présent), comme l’ont supposé les sociologues *32 .

Des mises en garde, on pouvait en ramasser à la pelle , venant de partout – de la Grèce, de l’Italie, de l’Espagne etc. Il suffit de se souvenir des protestations éclatées en Espagne, qu’on connaît sous le nom de « Mouvement 15M » (mouvement des indignés né le 15 mai 2011).Des millions d’Espagnols ont envahi l es places des villes hispanique *33 pour exprimer leur indignation, pour exiger que les mensonges cessent, pour mettre fin à la distorsion de la démocratie, pour la rendre effective, accessible à tout le monde, apportant des résultats tangibles en termes d’aisance, de qualité de vie, d’égalité, de dignité humaine.

Voici comment les commentateurs décrivent les évènements de ces-jours-ci: «cette indignation collective reflétait un état d’esprit puissant et en même temps populiste. C’était un geste de frustration et de rage par rapport aux élites, une protestation vigoureuse conforme au principe «c’est toi et moi contre eux» *34 . Dès lors la pression sur les élites n’a jamais cessé ni faibli.

Qui plus est, elle a acquis une forme institutionnelle, car de nouvelles initiatives politiques ont vu le jour. Elles ont remué le système biparti qui assurait la stabilité du pays durant des décennies, elles ont reformaté le paysage politique de l’Espagne d’aujourd’hui, tout en laissant en suspens l’interrogation sur ce qui va suivre.

 

Lignes rouges des manœuvres politiques

Le mouvement contre les élites, calme, silencieux, respectueux des lois, a déjà porté ses fruits non seulement dans les pays qui l’ont vécu, mais absolument partout, des fruits – apparemment – à caractère essentiellement préliminaire et procédural, en ce sens que le champ de manœuvre politique a considérablement rétréci pour ceux qui comptent rester au pouvoir ou arracher le pouvoir des mains de ceux qui les ont précédés. Pour l’instant, il n’y a que quatre scénarios possibles pour une campagne électorale, les autres sont voués à l’échec, ou suicidaires .

Le premier scénario est le plus audacieux et radical. Il consiste à attraper la vague de non-conformisme , à s’identifier aux exigences révolutionnaires émises contre les élites, se proclamer porte-parole du peuple et ne pas éluder des situations embarrassantes, taper sur les points qui sont les plus douloureux pour ces élites, réagir à toutes les préoccupations et à toutes les peurs de la population qu’elles soient réelles, imaginaires, xénophobes ou autres. C’est le style de Marine Le Pen. Elle s’y tient depuis qu’elle est au gouvernail du Front national, tout en étant consciente, si on le juge d’après son comportement, des restrictions dont on a parlé ci-dessus.

Le deuxième scénario c’est tout simplement un jeu, mais qui étant bien interprété peut donner de jolies chances de succès. Il consiste à se distancer des élites tout en étant «la chair de la chair» de l’establishment , et à œuvrer pour leur sauvetage, leur assainissement et leur renforcement par le biais de la proclamation, avec leur accord, d’une politique de mise en œuvre des réformes qui n’ont que trop tardé. Il consiste à réagir aux besoins et aux phobies de la population, quitte à s’y prendre autrement, d’une façon partielle et alambiquée; à déployer les voiles de son bateau politique, reconstruit en fonction de la nouvelle vague, pour s’ouvrir au vent des changements espérés par la société, par les paroles ou par les actes, comme ça viendra. Certains éléments de ce jeu sont perceptibles dans la stratégie choisie par Donald Trump, mais plus encore dans des exercices rhétoriques auxquels a l’intention de recourir Martin Schultz, en commençant par ses promesses populistes de revenir à des délais plus longs de paiement des allocations de chômage etc.

Le troisième est apparemment le plus ingénieux et en même temps plus avantageux par rapport à tous les autres. Il consiste à se déclarer neutre, indépendant, immaculé, prenant soin du bien-être de tout le monde sans exception et ayant des talents et des capacités nécessaires pour le faire, étant au-dessus de la mêlée et simultanément au centre du spectre politique. Ça signifie endosser un costume de serviteur non pas de deux, mais de tous les maîtres, un serviteur sur lequel peuvent compter les électeurs de toutes les orientations politiques. Ce candidat aux élections a l’air de soi-disant représenter les intérêts de tout le monde, d’entendre tout le monde, de réagir aux attentes de tout le monde. En ce faisant, il réduit quasiment à néant la raison d’être de tous ses adversaires politiques.

En France, c’est Emmanuel Macron qui essaie de se positionner comme pareil «héros»; à l’exception de quelques bourdes, qui lui ont coûté quelque cinq points dans les sondages, ce jeune politique, qui fait se développer à toute allure ses muscles politiques, y arrive. Le fait qu’il monte dans les sondages le prouve *35 .

Le quatrième scénario est le plus répandu et éprouvé, ne demandant aucune approche novatrice ni capacités particulières. Il consiste à s’emparer des slogans des autres, des slogans les plus populaires et les plus à propos, à se les approprier et à les inclure dans son programme électoral, à les dire être de son cru ou même être son cheval de bataille.

L’électeur d’aujourd’hui préfère-t-il voir plus de fermeté à l’égard des étrangers et des nouveaux venus? Ajoutons alors du patriotisme et du nationalisme. S’inquiète-t-il de la sécurité? Mettons l’accent sur le renforcement des organismes chargés de la sécurité, sur l’augmentation du budget consacré à ces objectifs et sur l’augmentation du personnel dans ces structures, etc.

Tous les partis politiques classiques ont recours à une telle tactique. Les conservateurs en Grande- Bretagne ont apporté des preuves satisfaisantes de son efficacité en gagnant lors des dernières élections une majorité absolue à la Chambre des communes (en anglais : House of Commons ) , résultat auquel personne ne s’attendait. Cette tactique est utilisée en France, tantôt par la droite, tantôt par la gauche, qui se cédaient le pouvoir. Aux Pays-Bas, elle a été utilisée par le parti au pouvoir lors des élections du 15 mars 2017, dont le succès tout relatif (car il a perdu un quart de ses sièges au Parlement) a été tout de suite proclamé comme une victoire historique sur le populisme, sur le nationalisme et sur d’autres «-ismes».

Chacun des quatre scénarios est très différent des autres, même fondamentalement différent. Et pourtant, le fait qu’il n’y en ait que quatre et que tous les quatre enfoncent le même clou, même s’ils le font de façon différente, ce fait-là, en pratique, trace une voie unique qui commence à être empruntée par la majorité écrasante des systèmes politiques nationaux, si ce n’est pas par la totalité. Certaines tendances interdépendantes qui se renforcent mutuellement, deviennent communes à tous.

 

Dégradation de la politique et du paysage politique

On constate que les anciennes valeurs sont en train de s’altérer . Elles perdent la pureté et la netteté qui leur étaient propres. Une nouvelle hiérarchisation des valeurs commence à s’affirmer. Ni la société, ni les gens n’en ont conscience. Une nouvelle normalité, qui est perçue comme une ancienne, s’installe dans leur esprit. Les tabous existants se lèvent et sont remplacés par de nouveaux. Et pourtant, ni au niveau individuel, ni au niveau sociétal ces tabous ne sont enregistrés comme étant ceux qui modifient l’ordre des choses, le mode de vie et les règles de comportement, alors que c’est exactement ce qui se passe.

Il est trop tard de parler de la croissance ou de l’offensive du populisme , car il s’est déjà transformé en réalité politique. Tous les partis et forces politiques sont à son service. Le fait que certains d’entre eux tentent de persuader la société qu’au contraire, ils combattent le populisme, ne change rien à ce qui se passe en réalité.

La rupture entre les événements réels et leur couverture médiatique, entre les évènements réels et leur perception par l’individu et la société, cette rupture-là a atteint des abîmes sans précédent. Les préceptes selon lesquels s’effectue le processus politique, ne permettent pas de combler ce gouffre.

La politique subit un déplacement spectral généralisé . Les forces politiques et les idéologies antisystèmes n’ont pas changé sur le plan du contenu, elles n’ont pas subi de métamorphose. Mais sous la pression des circonstances, d’une «polyphagie» croissante, de l’involution des partis politiques classiques, elles ont été acceptées dans le système politique général. Avant on les évitait, dédaignait, on essayait de s’en protéger, comme du Front National ou de l’Alternative pour l’Allemagne (en allemand : Alternative für Deutschland, ou AfD). Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Par conséquent, l’idéologie radicale , avec son lot d’attraits telles que la discrimination fondée sur divers motifs, la différenciation d’accès aux biens sociaux, la proclamation d’exclusivité de certaines nations ou l’institutionnalisation de leur statut dominant dans les limites du territoire national ou d’une région géographique ou politique plus vaste, cette idéologie radicale devient une partie de la mentalité coutumière , elle est intégrée dans la législation. Elle n’est plus perçue comme une idéologie qui annihile les standards universels de l’humanisme, de l’égalité, de la solidarité, de la probité politique et humaine.

Néanmoins, étant donné que différentes couches de la société et différents groupes d’intérêt ressentent les réalités politique et économique, les réalités de la communication et des valeurs, ainsi que toutes les autres réalités, de façon divergente, se produit alors l’effet schizophrénique de dédoublement (ou même sa division par trois ou par vingt-quatre, comme dans ce thriller psychologique à succès « Split ») de la conscience dans le fonctionnement de la société . Cet effet se manifeste à tous les niveaux d’organisation ou d’auto-organisation de la nation, de la société, de l’Etat, des régions, de toute la planète, des structures officielles et informelles ; il conduit à une polarisation des attitudes à l’égard de la politique et de la vie en général, propres à certains groupes de la société. Cet effet provoque une fragmentation de la société, qui force ces éléments à accepter des arrangements et alliances politiques peu scrupuleux et contre nature. Ce qui s’est passé suite aux dernières élections parlementaires en Macédoine *36 .

Dédoublement de la conscience au niveau de l’individu et du business

L’individu cherche à tout prix, mais en vain, à réconcilier les principes et les préférences morales existentielles inconciliables, y compris celles qui sont diamétralement opposés, comme la soif de succès à tout prix et le rejet de cette manière de marcher sur la tête des autres pour arriver à ses fins, comme la nécessité d’avoir du travail et l’absence d’envie de faire quelque chose qui ne plait pas et qui n’apporte aucune satisfaction, comme la valeur traditionnelle de la famille, des enfants, de la vie en famille et le refus de sacrifier pour elle son confort personnel et ses désirs, comme l’aversion envers la glorification et la promotion omniprésente de l’amour entre personnes de même sexe et la crainte de passer pour un rétrograde qui ne mérite pas le respect, comme une reconnaissance abstraite de l’importance de l’égalité entre les gens, de la solidarité et de la tolérance, et l’hostilité, profondément ancrée, à l’égard des étrangers et de tous ceux qui menacent vos salaires et votre mode de vie, comme l’habitude de voter pour les partis politiques classiques et une conviction croissante que ça n’a plus de sens, que vos élus vous trahissent, comme le font les élites politiques, les institutions publiques, la bureaucratie nationale et supranationale etc.

Les propriétaires , individuels et corporatifs, sont tiraillés entre, d’un côté, l’envie de dissimuler aux autorités et à la société la plus grande partie de leurs économies et de les soustraire à l’imposition, et de l’autre côté, la prise de conscience que cela devient de plus en plus risqué, incompatible avec la récente législation internationale et peut remettre en cause la réputation et la carrière, que c’est susceptible d’amendes prohibitives, ou même de poursuites judiciaires.

Les salairés recommencent à croire, comme il y a des décennies, que l’économie parallèle et le business semi-légal n’ont rien de répréhensible, puisque «ainsi va la vie». Ils acceptent certaines formes de rémunération non déclarées tout en sachant que c’est contraire à leur intérêt et leur causera probablement des problèmes dans l’avenir.

Le business, les banques, les entrepreneurs de toute espèce se sentent extrêmement vulnérables dans cette situation quand, pour rester compétitif, on ne peut absolument pas divulguer les secrets ni de planification stratégique, ni de flux financiers. Personne n’a encore supprimé l’objectif de maximisation de la rentabilité et des bénéfices ni celui d’un rendement le plus élevé possible, cela aurait tué l’économie de marché.

Mais pourtant l’ancienne culture des secrets commerciaux et bancaires est frappée d’anathème, elle appartient au passé. On ne peut plus échapper aux exigences de transparence, de déclaration de tout et de n’importe quoi, on ne peut plus échapper au respect des prescriptions et des recommandations innombrables, dont la stricte application est contrôlée inlassablement par des instances de surveillance de plus en plus puissantes.

On est en plus tenu d’accomplir des miracles dans la moralité de la gestion des affaires, dans la responsabilité pour l’ensemble de tout à l’égard de la société, ce qui augmente considérablement les frais généraux, rétrécit les sphères d’investissement, ce qui vous laisse pieds et poings liés si vous voulez rester respectueux de la loi.

 

Dédoublement de la conscience au niveau de la politique et de la société

Tout le monde s’attend à ce que les partis politiques classiques regagnent le respect et la confiance des électeurs, qu’ils se purifient, deviennent charismatiques, trouvent des réponses à tous les problèmes les plus brûlants de l’actualité, à ce qu’ils redeviennent actifs, dynamiques, persuasifs. Mais personne n’indique comment y parvenir, d’autant plus qu’il est interdit de rompre avec les anciens programmes politiques, crédos et traditions, avec l’image d’antan: car cela risque de coûter cher. Et en même temps on est forcé de se distancer des anciens programmes etc., d’emprunter les idées des autres en faisant croire que ce sont les vôtres, on est forcés de louvoyer, de recourir au mimétisme pour ressembler à celui qui – hier encore – vous dégoûtait, qui vous était étranger, celui que vous vilipendiez et rudoyiez.

La population désire ardemment avoir moins d’Etat, elle voudrait que le pouvoir ne mette pas son nez là où il ne faut pas, ne se mêle pas des affaires des autres, laisse faire, ne bride pas, lève les barrières et les interdictions, évite une réglementation excessive et une tutelle étroite, laisse le champ libre.

En même temps, la population voudrait que «son» Etat paie tout, entretienne et prenne soin de tous, la protège de tout: du dumping et de la mondialisation, de la concurrence et de la délocalisation, de toute hausse ou baisse, des décisions que cette population avait imposées et pour lesquelles elle avait voté.

D’un côté, la population exige qu’on la préserve des cultures et des religions «autres» que la sienne, de l’omniprésence des immigrés, de tout ce qui menace l’habituel, la sécurité personnelle (des fonctionnaires dignes de confiance prévoient que c’est une menace à long terme *37 ), de tout ce qui menace son identité nationale et sa priorité sur le marché du travail, dans les secteurs de production et de service.

D e l’autre côté, cette même population fait retomber sur les nouveaux venus toute la sale besogne, tout le travail ingrat, peu valorisant et mal payé; exploite la main-d’œuvre à bas coût – les gardiennes, les garde-malades, les gouvernantes, le personnel domestique et autres, tous ces emplois qu’acceptent les ressortissants, si sympathiques extérieurement, de l’ex-URSS et de l’Europe de l’Est, ainsi que de quelques pays choisis de l’Asie et de l’Afrique. La population ne voit rien de particulier dans le fait que son pays natal pille les ressources intellectuelles des autres Etats qui ont eux-mêmes besoin de ces ressources. Drôle de façon d’avoir un enfant en restant vierge, ou comme on le dit autrement, de manger du poisson frit sans avoir sali la poêle .

Le système politique des pays analysés n’est plus une démocratie classique depuis longtemps , comme ils le croient par inertie. Ce système a considérablement changé, parfois même redoutablement. Mais les pays en question continuent à le contester avec rage, à renier les faits, à rejeter toutes les recherches à ce sujet, sérieuses et objectives, à nier l’évidence.

Ces pays ont accepté dans leur milieu tous ceux qu’ils dédaignaient auparavant, qu’ils dénigraient, qu’ils rejetaient, qu’ils essayaient d’ignorer. Si on ne soutient pas les théories de complot, on pourrait croire que si ces pays ont agi de telle sorte, ce n’est probablement pas parce qu’ils étaient en quête d’une vie meilleure. *38

En revanche, ils n’ont pas la moindre idée sur leur façon d’exister tout en ayant en son sein des forces radicales légitimées par eux-mêmes, des formations politiques qui se prononcent «contre» et jamais «pour» quoi que ce soit, des néophytes qui lancent un défi aux partis politiques classiques ou à leurs dirigeants traditionnels .

En ce qui concerne la rébellion déclenchée par les électeurs, suite à laquelle Donald Trump a emménagé à la Maison Blanche, les analystes s’occupent à comparer trois scénarios les plus probables , à évaluer lequel des trois sera réalisé et pourquoi.

Selon le premier scénario, c’est l’agencement-même du pouvoir en Amérique, les institutions démocratiques traditionnelles, le système de freins et contrepoids qui vont «dégonfler» cette révolte et qui vont le faire rentrer dans le moule traditionnel du leadership politique. Les hauts échelons du parti républicain, les alliés des USA au sein de l’OTAN et les élites politiques des pays qui dépendent du «big brother» l’espèrent vivement.

Conformément au deuxième scénario, les républicains qui n’ont pas accepté Donald Trump et qui ont préféré la fronde, se raviseront, et pour ne pas perdre les élections imminentes de mi-mandat du Congrès, seront obligés de se regrouper autour du président. Selon le troisième scénario, il sera écarté d’une façon ou d’une autre.

 

Prévisions pessimistes pour la France

Mais ce n’est qu’un avant-goût par rapport à ce qui attend la France, supposent les spécialistes, quel que soit le rapport de s forces politiques. Cinq candidats aux présidentielles ont été invités à participer au premier et au deuxième débat politique officiel télévisé, les cinq poids lourds de la politique dont la cote de popularité auprès des électeurs ne descend pas en dessous d’un niveau à deux chiffres *39 . Mais ni François Fillon , ni Benoît Amon , ni Jean-Luc Mélenchon n’ont pratiquement aucune chance de passer au deuxième tour .

François Fillon, un représentant très puissant de la droite, faisant autorité, qui d’après l’avis unanime des commentateurs a le programme économique le plus réfléchi et le plus cohérent *40 , est hanté par les poursuites judiciaires pour détournement de fonds publics. On ne gagne pas avec un tel capital politique.

Jean-Luc Mélenchon incarne le mouvement anticapitaliste au sein de la gauche. Nombreux sont ceux qui considèrent que lors des débats télévisés il s’est montré sous son meilleur jour *41 et présentait tout à fait convenablement *42 . Il garde pas mal d’atouts dans sa manche. Mais ni les affinités personnelles qu’on a pour lui, ni l’attractivité des idées réformistes qu’il défend *43 ne peuvent rien changer dans la hiérarchie des préférences politiques des Français, qui plafonnent sa cote de popularité dans les sondages à un niveau de 11-13% *44 .

Quoique, compte tenu de la fiabilité limitée des résultats du sondage, et aussi au regard de la haine pour les élites, que nous évoquions ci-dessus, et que Mélenchon alimente habilement, certains considèrent que sa cote de popularité est une fois et demie supérieure.

Benoît Amon a gagné les primaires socialistes puisque, dans une certaine mesure, ses adversaires plus puissants se sont retirés ou bien ont été écartés *46 . On considère qu’il n’est pas une personnalité hors du commun ni représentative de tous les socialistes, mais uniquement de leur aile gauche. Sa cote de popularité ne diffère pas de celle de Jean-Luc Mélenchon, d’autant plus qu’il s’avère que tous les deux chassent sur le même terrain électoral.

Cela signifie qu’il ne reste que Marine Le Pen et Manuel Macron , si rien ne vient les discréditer au dernier moment. Mais ni elle, ni lui n’ont d’appui au parlement , sans lequel il est impossible de gouverner en France, et les élections législatives , qui ne sont pas pour tout de suite, ne vont pas changer la situation radicalement. Donc, quoi qu’il en soit, les experts évaluent cette situation d’une façon tout à fait réaliste quand ils augurent que le Coq Gallois doit s’attendre à une kyrielle d’ennuis et à une instabilité politique .

Leurs prévisions sont loin d’être optimistes. Selon l’avis de Sergueï Fedorov, attaché de recherche principal de l’Institut de l’Europe de l’Académie des sciences de Russie, cité par le Journal Indépendant («Nézavissimaïa gazéta»), le système politique de la V République devrait s’attendre à une période de ce qu’on appelle «la cohabitation politique», quand le Président n’a pas de majorité parlementaire des partis-amis» *47 .

 

Exemples concrets de dédoublement de la conscience politique

Le Brexit et le vote pour Donald Trump sont devenus la manifestation la plus flagrante du dédoublement de la conscience politique et de la rébellion contre les élites politiques, et ils ont déjà créé une réalité politique différente. En Grande-Bretagne, compte tenu d’une participation relativement basse au référendum, la décision de quitter l’Europe a été prise par une minorité de la population; à un certain moment cette décision a été grandement influencée par des informations tendancieuses dont on abreuvait la population. Certaines éditions les plus populaires et les médias électroniques ont pesé pour la sortie de l’Europe. Les données dont ils abreuvaient les électeurs, relatives aux coûts financiers de l’appartenance à l’Europe, aux migrants, à la pression sur le marché du travail, au dictat de Bruxelles, auraient mérité une réflexion nettement plus critique *48 .

Le problème réside dans le fait que la majorité de ceux qui appartiennent à l’élite politique et commerciale, ont voté pour rester en Europe, à savoir les dirigeants des conservateurs, les travaillistes, les «grands pontes» financiers. Les entrepreneurs les plus éminents ont lancé à maintes reprises des alertes aux impacts dommageables de la rupture avec l’UE. Plusieurs rapports ont été consacrés à ce sujet par les membres de la communauté des experts qui travaillaient à ce problème.

Les résultats du référendum se sont soldés par un échec cuisant pour eux tous, en particulier pour les élites . Ces résultats ont démontré, comme c’était le cas aux Etats-Unis, que les leaders ne connaissent pas le pays qu’ils dirigent, qu’ils ne le comprennent pas, qu’ils ne perçoivent pas son état d’esprit, ne réagissent pas à ses besoins. Par conséquent, ils ont eu ce qu’ils méritaient. Une autre embûche réside dans le fait qu’ils se sont précipités pour mettre en œuvre la décision qui va à l’encontre de leurs intérêts et probablement de leurs convictions.

Rares étaient ceux qui prévoyaient l’arrivée du Brexit , tout simplement parce qu’on considérait qu’il va à l’encontre des intérêts non seulement d’une partie de la population, du business ou de ceux qui détenaient le pouvoir, mais aussi à l’encontre des intérêts de tout le pays et de la totalité de sa population; et personne n’avait d’égard au dédoublement de la conscience, puisque tout le monde gagnait à avoir un accès sans entrave au marché continental colossal .

Pour le business international, la Grande-Bretagne constituait une porte d’entrée confortable à ce marché, ce qui motivait sérieusement l’activité financière et entrepreneuriale. Les Anglais constituaient une caste privilégiée au sein de l’EU, et de tous les Etats-membres, en tant que locuteurs natifs de la langue qui dans les faits était utilisée comme langue véhiculaire pour la tenue des dossiers et pour la communication entre les Etats.

D’autant plus que personne ne pouvait rien imposer à la Grande-Bretagne, selon les règles en vigueur au sein de l’EU, et compte tenu de son influence colossale, surtout sur la Nouvelle Europe. Londres disposait depuis toujours de mécanismes de non-participation ou de participation partielle à ce qu’il considérait comme superfétatoire. A la différence des pays de la zone euro, il pouvait depuis toujours mener une politique fiscale, monétaire et budgétaire absolument indépendante. Sans faire partie de la zone Schengen, il avait le droit de fermer ses frontières. La Grande-Bretagne pouvait mener une politique extérieure et une politique de défense suffisamment indépendante, sans tenir compte de l’avis de la majorité.

La façon subtile de Donald Trump d’ exploiter la rébellion des citoyens ordinaires contre les élites qui les avaient délaissés, a été décrite en détails dans des milliers de publications. Mettons en évidence un seul aspect, qui en raison de sa portée dépasse largement le cadre américain et confirme la tendance générale.

De l’avis d’Evguéni Mintchenko, directeur de l’Institut international d’expertise politique, Donald Trump a gagné les élections «grâce à l’utilisation des médias qui étaient dressés contre lui. Il était impossible de déceler la différence entre les spots publicitaires pro- et anti-Trump, parce qu’ils étaient porteurs d’un seul et même message, sauf que les uns étaient affectés d’un signe «moins», les autres d’un signe «plus»… son message était diffusé par les médias traditionnels qui croyaient dire du mal de lui [Donald Trump], tandis que pour ses électeurs c’était un plus» *49 .

Nous sommes fermement convaincus que lors du cycle précédent du show politique en France , les positions de Marine Le Pen ont été rudement renforcées par les périodiques principaux de centre-droite et de centre-gauche , ainsi que par les médias électroniques, qui faisaient campagne contre elle *50 , qui visaient à la discréditer, qui s’employaient à consolider le pays sur des bases de rejet du Front national, qui croyaient sincèrement que leur mission consistait à mettre en garde contre le danger grandissant émanant du FN.

Jour après jour ils sortaient de leurs gonds en vociférant que le Front national est en marche, qu’il devient de plus en plus populaire, qu’il a un programme bien pensé, soutenu par le peuple, qu’il devient le porte-voix de tous les mécontents, qu’il n’y a pas que des extrêmes-droites parmi ses adhérents, que les syndicats le soutiennent, que les ouvriers, qui avant votaient pour les communistes, le rejoignent aujourd’hui.

Comme le font aussi les socialistes, qui considèrent que les chefs de parti ont dégénér é, se sont vendus à l’ennemi, mènent une politique excessivement conservatrice, qui contrevient directement aux idéaux socialistes. Comme le font ceux de droite, qui dans leur âme ont toujours été étatistes, et ainsi de suite. Les leaders du Front national travaillent beaucoup, ils sont charismatiques, tandis que les partis classiques s’enlisent, ils sont en ruine, ils n’ont rien à opposer au Front National. Il faut tirer la sonnette d’alarme et mobiliser les gens pour combattre le danger «brun clair» [brun étant la couleur associée à des tendances fascistes]. De cette façon, les médias exagéraient la portée, pour la vie politique française, de Marine Le Pen, de son entourage et du Front national *51 .

Cette contre-propagande a eu un effet inverse et a simplement rendu le parti de Marine Le Pen plus populaire et attirant. Cette propagande focalisait sur lui l’attention des électeurs et des internautes, en faisant de lui un «news maker» important, en persuadant que presque tout serait à la portée du Front national. Vous rappelez-vous des personnages principaux du Livre de la jungle de Rudyard Kipling: Mowgli, enfant élevé par des loups, et le tigre Shere Khan, son pire ennemi ? Après avoir réussi à allumer un feu et avant de faire fuir Shere Khan, Mowgli lui lance une phrase : « Tu me l’as répété si souvent, que je l’ai cru et que j’ai compris que je suis un Homme! » *52 Les électeurs français ont aussi cru et compris, que le Front national c’est du sérieux, que ce n’est pas une coquille vide, mais un choix réel, une alternative qui plus est.

Il semblerait que la tactique de discrédit à l’égard de Marine Le Pen et du Front n ational se soit transformée en son contraire . Toutes les éditions et tous les médias électroniques s’appliquent maintenant à minimiser l’importance du soutien dont ils jouissent auprès de la population *53 . On commande des sondages de l’opinion publique et on fait publier leurs résultats prouvant soi-disant que le Front national n’est pas la force politique principale du pays, qu’il commence à décevoir, à perdre ses positions, que l’écart entre lui et ses concurrents se resserre. Cette approche devrait permettre de transformer les desiderata en réalité politique, de convertir un certain type de dédoublement de réalité en un autre; et l’intensité de cette transformation apporterait de nombreux éclairages sur la manière de manipuler la conscience et sur le réel impact de la manipulation sur le fonctionnement de la société contemporaine postmoderniste, ou même peut-être déjà néo-moderniste *54 .

 

L’OTAN sur la balance de la solidarité euro-atlantique

Durant un quart de siècle, Washington et ses partenaires européens du bloc militaro-politique ont essayé de ne pas laver leur linge sale en public, même au moment où les tensions avaient atteint des extrêmes et les leaders de France et d’Allemagne (Jacques Chirac et Gerhard Schröder) ont eu l’audace de s’opposer à l’intervention américaine en Iraq.

Une règle tacite de devoir se convaincre soi-même, et convaincre les autres, de la réalité de la cohésion occidentale inconditionnelle, du messianisme, des valeurs communes primait sur tout le reste. Quoi qu’il arrive, quelle que soit la réalité, il était primordial de conserver sur les visages le masque du «politiquement correct».

L’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche a changé la donne. Il s’est avéré que l’Alliance de l’Atlantique Nord, sous sa forme actuelle, ne répond plus aux attentes des USA , est incompatible avec la conception du réalisme politique, compromet les exigences de l’efficacité. Les premières remarques critiques du 45 ème président des USA adressées à l’OTAN ont été formulées dans l’emportement du moment, dans le feu de la polémique préélectorale, par ignorance des règles convenues de communication publique entre les alliés, quand on pense une chose, on en dit une autre et on en fait encore une autre. Donald Trump a nommé un chat un chat, en provoquant une tempête dans un verre d’eau. Cela ne se reproduira plus. Suivant le postulat «l’Amérique est au-dessus de tout», les dirigeants des USA vont «remettre dans le rang» leurs alliés, les broyer pour arriver à leurs fins, mais ils le feront sans trop faire de bruit, ce qui serait préjudiciable à la cause principale.

Quel secret de Polichinelle Donald Trump a-t-il découvert? Les experts américains, muets jusque-là, se sont précipités pour donner aux Européens toutes les explications nécessaires.

Plusieurs de ces explications, d’ailleurs, coïncident parfaitement avec les idées que Moscou essayait en vain de faire passer auprès de ses partenaires occidentaux, en poursuivant, bien évidemment, des objectifs tout à fait différents: encourager l’OTAN à évoluer plutôt en organisation politique, à avoir plus d’ouverture pour une collaboration normale mutuellement avantageuse et basée sur l’égalité. En ce moment, les explications données par les experts américains ont pour objectif de résoudre des problèmes diamétralement opposés: soutenir , dans une mesure beaucoup plus importante, les efforts militaires et les priorités des USA en matière de politique étrangère. Citons ces explications succinctement, sans entrer dans les détails *55 .

Primo. La raison d’être de l’Alliance consistait à assurer la sécurité de l’Europe occidentale et sa défense contre une éventuelle attaque d’un ennemi dangereux et perfide qu’était l’Union Soviétique durant toutes les années de la Guerre froide. La machine militaire créée par les Occidentaux n’avait aucune autre mission. Après l’effondrement de l’URSS cette mission a cessé d’exister . Donc, l’Alliance, en ce qui concerne la dimension essentielle de son activité, est devenue sans objet. On pourrait, bien sûr, déguiser la Russie en ennemi aussi significatif que l’était l’ex-URSS, et légitimer de cette façon l’existence de l’OTAN, mais cela ne changera pas la réalité géopolitique actuelle *56 .

Deusio. Les USA offraient à l’Europe Occidentale les garanties de sécurité et assumaient les charges les plus lourdes et la responsabilité principale pour trois raisons: l’Europe occidentale avait une frontière avec les pays membres du Pacte de Varsovie, et donc était vulnérable en raison de la supériorité militaire indéniable de ces pays. Quelles que soient les circonstances, les alliés ne pouvaient pas faire face au camp socialiste, ils avaient besoin des Etats-Unis. Il n’y avait que les USA comme contrepoids au bloc de l’Est. Enfin, les Etats-Unis étaient profondément désireux d’aplanir la suprématie de l’URSS et des pays membres du Pacte de Varsovie, et par conséquence leur influence sur le reste de l’Europe, ainsi que d’attacher l’Europe à l’Amérique. La menace représentée par «le poing militaire» de Moscou n’existe plus , et l’Union Européenne, qui entre-temps s’est transformée en alliance défensive, est tout à fait apte à se défendre par ses propres moyens.

Tertio. L’existence d’un bloc militaire aurait un sens pour les USA si ce bloc soutenait inconditionnellement toutes leurs opérations militaires et y apportait une contribution importante, ce qui n’est pas le cas. Cela fait plus de 15 ans que les Etats-Unis se battent dans le Grand Moyen Orient, et les opérations militaires en Afghanistan, puis en Iraq et maintenant en Syrie, impliquant des dépenses colossales. Ces opérations militaires avaient grandement besoin d’être soutenues. Etaient-elles menées correctement ou non, étaient-elles nécessaires ou non, à ce stade-là, cela n’avait pas d’importance; c’est une toute autre question.

Les membres de l’Alliance n’étaient pas forcément toujours rassemblés autour des USA pour atteindre des objectifs communs . Il arrivait parfois que l’Alliance les dérangeât. D’autant plus que les Etats qui en faisaient partie essayaient de se dérober, de se mettre au vert, de donner le moins possible . Dire qu’ils n’ont pas levé le petit doigt pour aider Washington, serait exagéré. Les Anglais étaient toujours à son côté, mais pas trop près quand même.

Ainsi donc les membres de l’Alliance constituent un problème pour les USA, et non une solution; ils ont pris l’allure d’écornifleurs, de parasites qui s’imaginent pouvoir vivre éternellement aux dépens des vaillants contribuables américains, pouvoir se remplir la panse, en laissant à Washington le soin de nettoyer les écuries mondiales d’Augias. Et aux membres de l’Alliance de faire la fine bouche et grand cas de leur petite personne!

Désormais les alliés de l’OTAN, en échange de sa protection et de son soutien, se feront un devoir d’évoluer dans le sillage de la politique des USA, de partager pleinement la responsabilité avec eux, d’apporter une contribution tangible dans les efforts et les dépenses militaires communs. L’ascendance des USA sur les Européens, la dépendance de ces derniers des Américains, les relations, qui n’étaient qualifiées d’alliées que nominalement et jamais étayées par des faits, deviendront réelles et seront réorientées vers la réalisation des objectifs définis ci-dessus. Ce n’est qu’alors que l’Alliance retrouvera, pour l’Amérique, le sens qu’elle avait perdu suite à une redistribution radicale de la puissance militaire et politique au profit des USA.

Le message est clair, il est formulé franchement et d’une façon intelligible, mais probablement un peu brutale et même humiliante. En revanche, il a été vite assimilé, mais cette assimilation ne s’est toutefois pas déroulée sans rancunes ni déclarations inappropriées de la part des alliés. Maintenant quand tous les points sont mis sur les « i », on peut tout réarranger, adoucir, présenter dans un autre emballage idéologique, celui d’une cohésion éternelle et de valeurs communes, on peut déclarer chaque fois qu’on le demande que la politique des USA à l’égard de l’OTAN est inchangée et le restera. Les Etats Unis réussiront-ils à imposer à l’OTAN leurs quatre volontés? Ce n’est pas exclu. Arriveront-ils à augmenter significativement leur contribution? C’est déjà en train de se passer. Mais ceci mettra-t-il fin au dédoublement de la conscience? Nullement. Il prendra une apparence un peu différente, puisque la militarisation de la région, la conversion de l’Europe unifiée en superpuissance, avec les forces de l a Bundeswehr comme noyau, le renforcement des préparatifs militaires sont lourds de conséquences et fondamentalement contraires aux réels intérêts des Européens, ainsi qu’aux intérêts des populations qui jusqu’à récemment percevaient l’Europe comme une force essentiellement douce, une force citoyenne, mais également contraires aux intérêts des Américains-même. Pourquoi? C’est un tout autre sujet.

 

L’UE à la lumière des relations euro-atlantiques

Les remarques de Donald Trump à propos du Brexit et d’un décès prématuré possible du projet européen d’intégration, gravement atteint, ont provoqué une réaction violente de l’autre côté de l’Atlantique. Une pluie d’invectives a déferlé sur la tête du 45 ème président des USA. Les milieux favorables à la nouvelle administration américaine, impuissants et extrêmement perplexes, ne font qu’hausser les épaules et répliquer dans le style « Chers collègues, mais vous-même ne parlez que de l’Europe malade ! » Le réalisme politique nécessite de prendre en compte la situation sur place et concevoir une stratégie en conséquence, il ne demande pas de peindre des tableaux idylliques et de croire à d’hypothétiques succès.

Des multiples commentaires internationaux, au sujet de possibles anicroches dans les relations entre Donald Trump et les leaders de l’UE, ont passé à côté du lien que les élites politiques et commerciales allemandes n’ont pas raté, et elles n’étaient pas les seules. C’est un lien entre les propos désobligeants adressés à l’Union Européenne et la tendance actuelle à un durcissement de la position américaine concernant un large éventail de questions de libre-échange . Et pourtant, l’Allemagne s’en est épouvanté e pour de vrai.

Dorénavant, ni la rhétorique apaisante, ni les promesses de renforcer-développer-approfondir, ni les contacts au sommet, qui durent des heures, rien ne pourra inverser la situation *57 .

Derrière l’appréhension manifeste, ressentie indubitablement par Berlin, se cachent des différends bien réels et très profonds, le même dédoublement de la conscience, mais cette fois entre les alliés les plus proches et les concurrents peu scrupuleux. Cette appréhension est plus que justifiée. La réaction de l’establishment allemand, très émue et non voilée, la critique acerbe de Donald Trump confirme que cette appréhension n’est pas fallacieuse, qu’elle a des racines profondes. Comme on le dit, le chat sait à qui est la saucisse qu’il a mangée, ou encore qui se sent morveux, se mouche.

Des économistes américains chevronnés abordent ce sujet depuis longtemps, depuis la crise de la dette souveraine, que l’Union Européenne, à leur avis, s’est organisée elle-même, ils en parlent depuis le moment où a été fait le choix d‘une méthode brutale, frontale, tout simplement violente, de mettre en œuvre une politique d’austérité, ce choix qui a été imposé à tout le monde par Berlin et Francfort. Parmi ces économistes se trouvent Joseph Stiglitz et Paul Krugman *58 . Joseph Stiglitz a consacré à l’analyse du disfonctionnement de l’Union Européenne, et en particulier de la zone euro, un livre entier *59 , qu’il continue à compléter par de nombreux articles et interviews *60 .

Comme le prouvent les deux économistes, la structure de la zone euro a été mal conçue, d’une façon inéquitable , au détriment des intérêts des pays à devises faibles, et par conséquent au préjudice d’un développement de toute une région. Lors de sa création les Etats-membres ont préféré un schéma selon lequel le taux de conversion de leurs devises à l’époque a été défini comme une constante, tandis qu’en réalité il aurait dû rester variable en fonction du rythme et de la particularité d’évolution de chaque économie nationale.

Avant la crise mondiale, ce n’était pas substantiel. L’Allemagne s’occupait d’elle-même, de ses réformes, de l’assimilation de ses Länder de l’Est. Après la crise globale, outre une division tactique entre le Nord et le Sud, entre l’Ouest et l’Est, entre le Centre et la Périphérie, l’Union Européenne s’est objectivement décomposée en deux régions : une regroupant les pays résistant à la crise , et de ce point de vue autosuffisants, l’autre incluant les pays très faiblement cotés sur le marché financier international . Si la zone euro n’avait pas existé, les devises fortes des pays-membres stables économiquement, de l’Allemagne en particulier, auraient grimpé et seraient devenues encore plus fortes. Les devises faibles des pays européens peu crédible s auraient baissé considérablement.

Une autorégulation du marché aurait eu lieu selon le scénario suivant : les monnaies faibles se déprécient, les monnaies fortes font l’inverse. La marchandise produite dans les pays du premier groupe et les services qu’ils offrent deviennent moins chers, ces pays deviennent donc plus concurrentiels, ils reprennent les parts de leur propre marché interne et commencent à se sentir plus à l’aise sur le marché des voisins plus riches qu’eux. Les produits et les services de ces derniers deviennent plus chers, leurs excédents exorbitants dans le commerce extérieur diminuent. Le marché régional acquiert un caractère normal, équilibré. Tout le monde y gagne. Les pays s’entre-aident et se complètent, en accélérant la croissance économique et en lui conférant un acabit nécessaire.

Dans des conditions de coopération inégale, créées par la zone euro, tout s’est passé d’une façon totalement différente. Elle a commencé par aplanir la différence dans la parité convenue des devises qui se retrouvent de plus en plus éloignées des paramètres fixés antérieurement, par niveler cette différence par le bas, par rendre plus fortes les devises hypothétiques des pays moins concurrentiels et par alléger celles des pays prospères.

Au final, la marchandise fabriquée en Allemagne a inondé les marchés des autres pays membres de l’UE, et ce que les entreprises des pays moins chanceux auraient pu fournir, est resté pourrir en magasin.

L’économie du noyau de l’UE a bénéficié d’un nouvel essor pour un développement avancé, tandis que les économies des autres Etats-membres ont connu des temps difficiles. Au lieu d’égaliser les niveaux de développement des différentes parties de l’UE, le schéma, adopté par l’Europe dès le début et légitimé par le droit européen purement contemplatif et très mal agencé, a contribué au renforcement des inégalités . Qui dit inégalités, dit aussi déséquilibre, dictat des uns par rapport aux autres, dépendance, inertie et incapacité des institutions nationales, suivis de l’antipathie à l’égard des voisins qui prospèrent à leurs dépens et de la bureaucratie bruxelloise qui fait tout pour couvrir l’injustice.

La croissance, foncièrement artificielle, de la compétitivité des producteurs nationaux du Centre de l’Union Européenne a acquis une dimension extérieure en plus d’une dimension interne. Cette fois-ci elle était nuisible non seulement aux intérêts des autres pays de l’UE, mais du monde entier. Des voitures allemandes bon marché, des machines-outils, des équipements et d’autres produits qui, dans des conditions normales auraient dû coûter beaucoup plus cher, ont inondé les marchés de la Chine, de l’Asie du Sud-Est, de l’Amérique latine, de la Russie, ce qui a étranglé l’industrie locale sur place, a modifié les flux financiers, a redirigé les investissements tout en privant les gouvernements autochtones de leur marge de manœuvre.

Si tous les autres se sont résignés, soit pour cause de solidarité intra-européenne, soit par découragement, les Américains, par contre, ont déclaré haut et fort, après le changement de locataire de la Maison Blanche, les choses ne se passeront plus de cette façon . 65 milliards de dollars annuels de déficit commercial avec l’Allemagne, et encore davantage avec la Chine, n’arrangent plus les affaires de Washington. Ces déficits sont irrationnels, ils s’expliquent non pas par une compétitivité plus forte de la marchandise allemande ou chinoise, mais par la manipulation monétaire . Dans le cas de l’Allemagne cette manipulation est liée à la baisse du coût de production grâce à la fraude endémique organisée par le biais de la structure de la zone euro franchement discriminatoire pour les autres pays.

Prôner le libre-échange dans une situation pareille équivaut à favoriser le banditisme et la rapacité. Le libre-échange est utile et justifié entre les pays qui respectent les règles de concurrence honnête et loyale. Washington a l’intention de se faire respecter par les autres, et seulement ensuite de faire du libre-échange la pierre angulaire de sa stratégie politique et économique extérieure, ce qui signifie ne pas encourager le dédoublement de la conscience, camouflé par de jolis slogans, mais mettre en route un assainissement de la situation existante dans le commerce international, et surtout et avant tout dans les relations avec les Etats qui se revendiquent être , ou se font passer pour, leurs alliés.

Il n’y a pas de risque, si l’on partage l’avis d’experts américains chevronnés, que les Etats-Unis renoncent à cette stratégie. Ils assoupliront probablement leurs discours après avoir acquis une expérience politique et diplomatique, et pousseront l’Allemagne et la Chine, compte tenu de leurs poids dans le commerce mondial et les affaires internationales, à chercher un compromis, par d’autres moyens, beaucoup plus efficaces que la diplomatie tonitruante.

Il est difficile de prévoir quel sera l’impact sur le fonctionnement de l’Europe et la zone euro. En attendant, les dirigeants de l’UE ont l’intention de réajuster l’Union pour la faire évoluer dans un sens diamétralement, sinon conceptuellement, opposé, pour ne pas suivre le chemin de rapprochement des niveaux de développement économique, de solidarité authentique et d’élimination de l’inégalité et de l’injustice, mais de leur légitimation et institutionnalisation.

 

Nouveau paradigme du développement de l’Union Européenne

Le 1 mars 2017 Jean-Claude Juncker , président de la Commission Européenne, a officiellement présenté le « Livre blanc » préparé sous sa direction, afin de lancer un débat sur les voies possibles et les plus raisonnables et viables de la transformation de l’Union Européenne . Cela fait déjà quelques années qu’on en parle dans la communauté des experts, y compris à son plus haut niveau. Le Brexit a fortement intensifié la discussion. Mais ce livre blanc confère un tout autre statut aux débats sur l’avenir de l’UE. Les institutions de l’UE ne pourront plus se soustraire à une prise de décisions qui auront des conséquences de grande portée.

Le livre blanc scrute à la loupe les cinq scénarios , parmi lesquels il faudra choisir. Le premier de la série s’appelle «Vivons comme avant» *61 . Le deuxième – «Marché unique seulement», le troisième – «Qui voudra plus, fera plus», le quatrième – «Faisons moins, mais avec plus d’efficacité», le cinquième – «Faisons ensemble beaucoup plus». Le calendrier proposé de la discussion est à peu près le suivant: pendant le printemps et l’été, la discussion se poursuivra à tous les niveaux, d’une façon concrète et intense.

E n septembre, Jean-Claude Juncker, à l’occasion de son discours traditionnel devant le Parlement européen, dressera le bilan de la discussion et formulera les propositions concrètes de la Commission. En décembre, lors de la réunion du Conseil de l’Europe (sommet de l’UE), on prévoit une approbation de la feuille de route de la poursuite de la construction de l’Union Européenne.

Mais en réalité, comme l’ont fait remarquer immédiatement les spécialistes en matière d’UE, le choix est faussé. Les élites européennes ne peuvent plus laisser tout tel quel (les raisons de cette attitude sont analysées ci-dessus). On manque de volonté politique pour travailler ensemble sur l’approfondissement de l’intégration. Le noyau de l’UE ne laissera pas la machine d’intégration faire marche arrière, ni ne permettra la restriction des responsabilités confiées à l’UE. Par conséquent, les Etats-membres n’auront à leur disposition qu’une seule possibilité. Les résultats du mini-sommet de l’UE du mois de mars 2017 l’indiquent clairement *62 .

Un nouveau terme est entré dans l’usage: intégration différenciée. D’après son contenu, il ne diffère en rien du terme « intégration à vitesses multiples et géométrie variable», auquel recourait fréquemment l’UE. Dans certains cas, remarquons-le, les Etats-membres les plus avancés traçaient le chemin, les autres les suivaient dans le sillage. Dans d’autres cas, personne n’escomptait que tous rejoignent les nouveaux domaines d’intégration, ou un nouveau projet d’approfondissement de l’intégration, pas davantage que ces domaines ou projet acquièrent un caractère universel.

La zone euro, qui est vouée à jouer un rôle de noyau de l’intégration différenciée, inclut actuellement 19 Etats-membres sur 28 (27). Certains Etats-membres ne font toujours pas partie de l’espace Schengen. En revanche, certains pays comme la Norvège, l’Islande et la Suisse, qui avaient refusé de s’associer à d’autres projets d’intégration, ont rejoint le Protocole de Schengen. Quelques pays-membres de l’UE manquent toujours à l’espace européen de liberté, de sécurité et de justice (ESLJ). Il existe aussi une expérience d’intégration par le biais d’une conclusion d’accords supplémentaires spécialisés entre les pays-membres, des accords qui ne modifient ni n’impactent les traités fondateurs de l’UE.

Mais il existe une différence très significative. Cette différence est fondamentale. Autrefois, Bruxelles suivait avec assurance le chemin de l’intégration totale. Il lâchait un pays ou un groupe de pays uniquement quand il ne pouvait pas agir autrement, mais c’était plutôt une exception à la règle. Maintenant c’est l’inverse, et la différenciation deviendra une règle, et non une exception, ce qui change tout, absolument tout: le crédo existentiel, les objectifs, les principes, le mode de fonctionnement, quoique sur papier ils demeureront inchangés. Mais l’UE de l’avenir sera fondamentalement différente de l’UE d’aujourd’hui.

S’il n’y a pas vraiment de choix, ou bien si le choix en gros est déjà fait, l’attention des Etats-membres sera probablement concentrée sur deux questions: comment organiser la transition et quelles sphères seront concernées par l’intégration différenciée. Il sera extrêmement important d’y voir clair, puisque la réponse à ces questions déterminera comment l’UE évoluera dans un proche avenir.

Mais l’on peut d’ores et déjà supposer que le noyau dur de l’UE essayera d’institutionnaliser la zone euro le plus rapidement possible. Le groupe d’Etats, qui y aspirent, commencera carrément à mettre en place un potentiel militaire commun.

Ces Etats en question n’oseront pas réviser dès le départ les traités fondateurs, c’est trop compliqué et problématique. Ils ne feront pas sortir la réglementation juridique en dehors du cadre de l’UE, ils n’excluront pas la réglementation juridique du champ européen , sauf dans les cas les plus extrêmes. Par contre, ils essayeront d’utiliser les flexibilités, dont dispose l’UE, d’une façon plus concrète et systématique, puisque les traités fondamentaux prévoient déjà des mécanismes de mise en route d’une collaboration (dans le domaine militaire) renforcée et structurée. Jadis on recourait à ce mécanisme avec désinvolture, désormais ce sera aussi différent.

Curieusement, l’intégration différenciée n’enlève pas non plus le problème de dédoublement de la conscience ni de sa division par trois ni par vingt-quatre, ce problème qui affecte l’UE, mais semble ne plus déranger les élites politiques européennes. Désormais elles seraient prêtes à miser là-dessus et à lui donner un caractère systémique. C’est une toute autre intégration.

 

Pivotement des relations internationales de l’avenir vers le passé

Le changement fulgurant du paysage politique à tous les niveaux – local, national, supranational, transrégional et international, et pratiquement dans tous les domaines de la vie, incite à reconsidérer certaines notions fondamentales relatives à la conception du monde et aux règles et modèles qui définissent les tendances principales. La postmodernité est depuis toujours associée au rejet du nationalisme en faveur d’idéaux supérieurs, à sa répression et à son détrônement, elle est associée à l’adoption du système de valeurs dans lequel le nationalisme n’a pas sa place.

Dans les conditions actuelles il devient de plus en plus évident que ce n’était que des paroles, des conceptions, des constructions théoriques, une illusion, un égarement, une duperie et un leurre.

Le nationalisme n’a jamais disparu nulle part. Devenu « politiquement incorrect », il a eu recours au mimétisme. Dans la vie réelle il s’est transformé, disons, en nationalisme libéral qui mise sur le règlement des mêmes problèmes standards et l’atteinte des mêmes objectifs, mais avec des moyens différents: par le biais d’une construction supranationale et d’une mondialisation.

Après la crise financière et économique globale, un tournant s’est opéré en faveur d’une mise en œuvre active de tous les moyens traditionnels servant à atteindre des objectifs nationalistes. Le nationalisme conservateur, appelons-le comme ça, a redressé la tête. Son retour triomphal dans la politique nationale et internationale est en train de s’achever.

Quelques Etats ont bien profité de l’ère du nationalisme libéral. Mais un nombre considérable de puissances ont estimé que ce nationalisme ne leur rapporte pas suffisamment, en tout cas beaucoup moins qu’aux autres. Certains n’ont pas appris à s’en servir efficacement (comme c’est le cas de la Grande-Bretagne), les autres soit se sont retrouvés en position clairement désavantageuse face à lui (comme la France, l’Italie, la Grèce etc.), soit ont attaqué le nationalisme pour des raisons différentes (comme la Pologne, la Hongrie etc.)

En ce qui concerne le projet européen d’intégration, trois évènements interconnectés pourraient, semble-t-il, servir à résoudre les contradictions internes auxquels il s’est heurté: le Brexit, l’intégration différenciée et la militarisation de l’Europe appuyée sur la Bundeswehr, cette Bundeswehr qui pourrait, ce qui n’est pas à exclure, avoir accès à des armes nucléaires par le biais de nouvelles formes de coopération militaire suprana tionale.

En ce qui concerne la mondialisation, les acteurs mondiaux les plus importants n’ont aucune intention d’y renoncer. Ils ont simplement réalisé qu’il faut fuir cette ancienne division mondiale du travail inspirée des conceptions erronées du monde postindustriel et de la marche triomphante du secteur des services. En conséquence, les acteurs mondiaux ont préféré reformater la mondialisation.

Afin de la rendre nettement plus avantageuse pour eux-mêmes, ils ont commencé à mettre partout en œuvre une politique qui a été, en fin de compte, adoptée aussi par les Etats-Unis. Il s’agit de la politique de grandeur nationale: «L’Amérique est au-dessus de tout », « La France est au-dessus de tout », etc.

A l’époque du nationalisme libéral, on croyait que la force résidait dans la coopération internationale, dans la construction supranationale, dans le postmodernisme et dans la mondialisation sauvage.

A la nouvelle ère du nationalisme conservateur, la coopération internationale, la mondialisation contrôlée etc. se transforment en prolongement d’une force qui se concentre au niveau national.

De multiples conflits internationaux ont servi d’outils de transition. Ils ont convaincu tout le monde qu’il est impossible de se passer de la mise en exergue de la puissance coercitive. Les crises financière et économique mondiales et leurs conséquences constituent une deuxième composante. Le monde évolué a réussi à les surmonter. Une phase de redressement économique s’est amorcée. Mais les coûts sociaux se sont avérés phénoménaux. Maintenant il faut les compenser. La troisième composante, c’est le populisme. Il a rempli son rôle, il a préparé le terrain. Son importance s’amenuisera progressivement. Non pas parce qu’il s’évanouira comme la brume matinale, mais parce que la société et les forces politiques l’ont absorbé, ont fait de lui une partie intégrante de la nouvelle normalité.

Hélas, ni cette normalité en question, ni les autres analysées ci-dessus, ne font plaisir. Nullement. Elles sont plutôt décourageantes. Comme nous l’avons écrit plus haut, elles n’exigent qu’une chose de la part de l’Etat, des systèmes politiques, des économies, des leaders politiques — de l’efficacité.

© Mark ENTINE,
professeur de l’Institut d’Etat des relations internationales de Moscou (MGIMO)
auprès du ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie,
professeur-chercheur de l’Université fédérale balte Emmanuel Kant

Ekaterina ENTINA,
Maître de conférences de l’Université nationale de recherche
«Ecole des hautes études en sciences économiques» (Russie)

*1 L’ampleur des changements rappelle un passage de l’article-programme de Vladimir Poutine au sujet de la création de l’Union Eurasiatique. Il y a seulement quelques années, il expliquait les approches que les dirigeants politiques du pays, les élites russes et la diplomatie russe avaient l’intention d’appliquer: «Nous proposons un modèle d’unification puissante et supranationale, capable de devenir l’un des pôles du monde contemporain et de remplir en même temps le rôle de lien efficace entre l’Europe et la région dynamique de l’Asie et du Pacifique… Deux alliances les plus importantes de notre continent — l’Union Européenne et l’émergente Union eurasiatique, en fondant leur interaction sur les règles de libre-échange et de compatibilité des systèmes de régulation, sont objectivement aptes à étendre l’application de ces principes sur un vaste espace entre les océans Atlantique et Pacifique, y compris par le biais de relations avec des pays tiers et des structures régionales. Cet espace sera harmonieux par sa nature économique, mais polycentrique du point de vue de certains mécanismes concrets et du pouvoir décisionnel. Ensuite, ce serait logique d’engager un dialogue constructif portant sur les principes d’interaction avec les Etats du «Pacific Rim» (région de l’Asie et du Pacifique), de l’Amérique du Nord et d’autres régions»,- Vladimir Poutine, «Un nouveau projet d’intégration pour l’Eurasie: l’avenir qui naît aujourd’hui», quotidien russe Izvestia, N°183 (28444) du 4 octobre 2011, p.5

*2 Oleg Barabanov, Timofeï Bordatchev, Fedor Loukianov, Dmitri Souslov, Andreï Souschentsov, Ivan Timoféev «Révolte mondiale et ordre mondial. Situation révolutionnaire dans le monde et ce qu’il faut en faire», Rapport du Club de discussion Valdaï, Moscou, février 2017, p.20 — Oleg Barabanov, Timofey Bordachev, Fyodor Lukyanov, Andrey Sushentsov, Dmitry Suslov, Ivan Timofeev, “Global Revolt and Global Order. The Revolutionary Situation in Condition of the World and What to Do about It”, Valdai Discussion Club Report, Moscow, February 2017, 20 p.

*3 George Friedman, “The World Before World War II Re-Emerges”, GPF – Geopolitical Futures, Sept. 8, 2016, 7 p

*4 Stefan Dehnert, «Madame le Président? Marine Le Pen sera au deuxième tour des élections présidentielles en France. La question de savoir qui sera son adversaire, reste ouverte» IPG Politique internationale et la société, le 07.03.2017 , http://www.ipg-journal.io/regiony/evropa/statja/show/madam-prezident-233/

*5 Bernd Riegert , «Commentaire: les Pays-Bas ont endigué la vague du populisme», DW, le 16.03.2017 , http://www.dw.com/ru/%D0%BA%D0%BE%D0%BC%D0%BC%D0%B5%D0%BD%D1%82%D0%B0%D1%80%D0%B8%D0%B9-%D0%BD%D0%B8%D0%B4%D0%B5%D1%80%D0%BB%D0%B0%D0%BD%D0%B4%D1%8B-%D0%BE%D1%81%D1%82%D0%B0%D0%BD%D0%BE%D0%B2%D0%B8%D0%BB%D0%B8-%D0%B2%D0%BE%D0%BB%D0%BD%D1%83-%D0%BF%D0%BE%D0%BF%D1%83%D0%BB%D0%B8%D0%B7%D0%BC%D0%B0/a-37977406

*6 Evguéni Chestakov «Semi-victoire? Semi-échec?», Rossiïskaïa gazéta, RG.RU, le 16.03.2017 , https://rg.ru/2017/03/16/v-niderlandah-pobedili-pravilnye-i-nepravilnye-populisty.html

*7 D’après Rossiïskaïa gazéta, RG.RU, le 16.03.2017, https://rg.ru/2017/03/16/v-niderlandah-pobedili-pravilnye-i-nepravilnye-populisty.html

*8 Selon Paul Scheffer, sociologue néerlandais populaire – même source.

*9 TV Novosti [Informations TV]: Wilders a perdu, mais son programme subsiste, — BBC Russie, le 13.03.2017,- http://www.bbc.com/russian/media-39273615

*10 Dans le style «Trump est une source intarissable de mensonges», — Jeffrey Sachs «Les trois Trump», IPG – Politique internationale et société, le 06.03.2017, http://www.ipg-journal.io/regiony/severnaja-amerika/statja/show/tri-trampa-232/

*11 . C’était un des sujets d’un programme nocturne spécial. Jiří X. Doležal le décrit d’une façon mordante, mais – curieusement — très sérieuse: «Le mensonge devient ostensiblement partie intégrante de la politique et de notre civilisation; subitement, les faits, la vérité ont aussi peu d’importance qu’en Russie… Entre Poutine et Trump il existe une différence fondamentale: Poutine ment avec élégance et la distinction d’un ex-agent, sérieusement, dignement et avec retenue, après avoir bien réfléchi et bien intégré le mensonge dans le tissu d’une intrigue spécifique, tandis que Trump débite des mensonges comme un rustre . Chapeau de cow-boy et bottes en caoutchouc, fourche nucléaire à la main droite, il jure comme un cul-terreux, et, débordé de sentiments, débite ce qui lui passe par la tête, sans même prendre conscience des âneries qu’il raconte. C’est ce qui différencie Trump de Poutine. Ce qu’ils ont en commun, c’est qu’en dépit de la réalité, ils sont prêts à mentir au public sur n’importe quoi à condition que ça leur apporte un avantage immédiat. Jiří X. Doležal «Trump et ses «faits alternatifs»: il ment exactement comme Poutine!», Insosmi.ru, le 01.03.2017 (original de la publication : Trumpova alternativní fakta: Skutečně lže jak Putin! ), http://inosmi.ru/politic/20170301/238802377.html

*12 Quoique certains scientifiques bien renseignés se fassent souvent avoir par des bouts de phrases, par des formules exagérément poignantes ou même par une incartade manifeste, au point de baser là-dessus leurs prévisions alarmistes et leurs arguments, alors que le contexte général est relativement différent. Ainsi, Alexey Portanski, professeur de l’ EHESE, Université nationale de recherche «École des hautes études en sciences économiques», met en garde: «Aujourd’hui la nouvelle administration américaine manifeste la volonté de se libérer de ses engagements dans le cadre d’une des plus importantes institutions internationales. Il est difficile d’imaginer les conséquences d’une telle démarche. Une logique élémentaire donnerait à penser que d’autres Etats voudraient assurément suivre l’exemple des USA, car plusieurs d’entre eux trouveraient des arguments pour protéger leurs intérêts nationaux. Alors surviendrait une réaction en chaîne de violation des règles et des normes de l’OMC. Ensuite, c’est le chaos…», — Alexey Portianski, Les institutions économiques encombrent Trump. Washington proclame une politique commerciale «agressive», dans «Nézavissimaïa gazéta» [Journal indépendant], le 13 mars 2017, p.3

*13 Olga Solovieva , « Xi Jinpin reconnu «roi de la mondialisation»: à Davos, le leader chinois a promis de défendre la liberté du commerce international contre le protectionnisme américain», Nézavissimaïa gazéta [Journal indépendant], NG.RU, le 18.01.2017 , http://www.ng.ru/economics/2017-01-18/1_6905_china.html

*14 Evguéni Grigoriev, «Berlin et Washington ont arrondi les angles», Nézavissimaïa gazéta [Journal indépendant], le 20 mars 2017, p.7

*15 Alexandre Tchoursine, «Monsieur Europe contre Maman Merkel», Novaïa gazéta [Nouvelle gazette], N°10 du 1 février https://www.novayagazeta.ru/articles/2017/01/30/71341-mister-evropa-protiv-mamy-merkel

*16 Sergueï Birioukov, «Merkel, Schultz et tous les autres: l’establishment allemand dans le contexte préélectoral», YM+ https://um.plus/2017/02/14/germany/

*17 Cité d’après: Evguéni Grigoriev, «Berlin et Washington ont arrondi les angles», Nézavissimaïa gazéta [Journal indépendant], le 20 mars 2017, p.7 .

*18 Paul Carrel, Hakan Erdem, Merkel’s conservatives win Saarland vote in boost for national campaign ”, Investing.com, March 26, 2017, https://uk.investing.com/news/world-news/germans-in-tiny-saarland-vote-in-big-test-for-merkel-163500

*19 Merkel’s Christian Democrats win in Saarland state election, DW, 26.03.2017 , http://www.dw.com/en/merkels-christian-democrats-win-in-saarland-state-election/a-38125722

*20 Erik S. Reinert , «Les stratégies des pays voisins de l’UE à l’époque de Trump et du Brexit», IPG – Politique internationale et société , http://www.ipg-journal.io/video/show/statja/show/ctrategii-stran-sosedei-es-v-ehpokhu-trampa-i-brexit-230/

*21 Jackson Janes, président de l’Institut américain d’études allemandes contemporaines de l’Université Johns Hopkins à Washington, remarque, entre autre, «qu’on le reproche à Donald Trump, mais aussi à toute son “équipe présidentielle”, … ce qui rend nerveux les alliés.» Jackson Janes, «L’ombre longue de Donald Trump. L’union transatlantique est hors de danger, mais elle doit se remettre en question», IPG – Politique internationale et société, le 02.03.2017, http://www.ipg-journal.io/rubriki/vneshnjaja-politika-i-bezopasnost/statja/show/dlinnaja-ten-trampa-231/

*22 Les données du rapport du bureau du Budget du Congrès américain [ Congressional Budget Office (CBO)], d’après : Vladimir Moukhine, « Washington accuse Moscou d’avoir déployé le système terrestre «Kalibr». Les USA préparent une modernisation à grande échelle de la triade nucléaire », Nézavissimaïa gazéta [Journal indépendant], № 47-48 (6944-6945), les 10 et 11 mars 2017, p. 1, 2.

*23 Konstantin Simonov, Sergueï Roguinko, «Trump évalue les cataclysmes climatiques. Ferait-il plus froid lors des négociations sur la mise en œuvre de l’accord de Paris?», Nézavissimaïa gazéta [Journal indépendant], NG-Energuiïa, le 14 mars 2017, p.11

*24 D’après Valeri Masterov, «Le démontage virtuel de l’Union Européenne. Jarosław Kaczyński contre l’union avec Marine Le Pen», Nézavissimaïa gazéta [Journal indépendant], le 20 mars 2017, p.3

*25 On les analyse en détail dans «Le démontage virtuel de l’Union Européenne. Jarosław Kaczyński contre l’union avec Marine Le Pen», Nézavissimaïa gazéta [Journal indépendant], le 20 mars 2017, p.3

*26 Nadejda Koval «Ce Macron, qui a brouillé les plans du Kremlin: qui est-il, le nouveau leader de la course à la présidentielle en France?», Evropeïskaïa pravda» [«Pravda européenne»], Sécurité internationale et intégration européenne, le 15 février 2017, www. Eurointegration.com.ua

*27 Comme le remarque Natalia Lapina, chercheur en chef de l’Institut de l’information scientifique des sciences humaines de l’Académie des sciences de Russie, « Qui sera le nouveau maître du palais de l’Elysée? Les élections présidentielles en France : les métamorphoses du choix politique», Nézavissimaïa gazéta [Journal indépendant], le 15 mars 2017, p.8

*28 Tous les vingt ans, selon la célèbre « théorie des générations » dont l’élaboration est associée aux noms de William Strauss et de Neil Hove. Ils estiment que la nouvelle génération est composée de gens vivant à une même époque historique, qui font face aux mêmes défis, réagissent d’une façon identique aux stimuli externes et internes, partagent les mêmes convictions, ou au moins des convictions semblables, et ressentent une appartenance à une seule et même communauté. Le changement de génération met en marche le mécanisme de transformations sociales, qui jusqu’à récemment étaient cycliques. Il y a énormément d’ouvrages relatifs à la théorie des générations. Par exemple, — Théorie des générations, Encyclopédie du marketing, Bibliothèque du professionnel de marketing, www.marketing.spb.ru/lib-around/socio/generation.htm

*29 Youri Paniev, Interview de Vygaudas Ušackas: « Il ne faut pas «plus d’Europe», mais une meilleure Europe». Comment l’UE réagira aux nouveaux défis: terrorisme, islam radical, immigration sans précédent, Brexit, crise ukrainienne», Nézavissimaïa gazéta [Journal indépendant], n°58 (6955), le 23 mars 2017, p.7

*30 La substance de ses avertissements et leur contexte général ont été présentés dans : Mark Entine, Ekaterina Entina, « La Russie et l’Union Européenne dans les années 2011-2014 : à la recherche de relations de partenariat », Volumes 1 et 2, Moscou ; Eksmo, 2015, 864 p. + 752 p.

*31 Youri Paniev, Interview de Vygaudas Ušackas : « Il ne faut pas «plus d’Europe», mais une meilleure Europe ». Comment l’UE réagira aux nouveaux défis : terrorisme, islam radical, immigration sans précédent, Brexit, crise ukrainienne», Nézavissimaïa gazéta [Journal indépendant], n°58 (6955), le 23 mars 2017, p.7

*32 En particulier, le Centre analytique Levada – Stepan Gontcharov, « Où s’en vont les protestations. Dans plusieurs pays, la confiance aux hommes politiques retombe, mais les gens ne croient pas non plus à l’efficacité des meetings », Nézavissimaïa gazéta [Journal indépendant], le 15 mars 2017, p.15

*33 Sous la bannière « La vrai e démocratie, c’est pour maintenant » (“Democracia real ya!”).

*34 Simon Tormey « Populisme : dernière espérance de salut ? Comment la crise aidera à raviver la démocratie », IPG – Politique internationale et société, le 21.02.2017, http://www.ipg-journal.io/rubriki/demokraticheskoe-obshchestvo/statja/show/populizm-poslednjaja-nadezhda-na-spasenie-227/

*35 Présidentielle: Emmanuel Macron devance Marine Le Pen, selon un sondage, L’Express, http://www.lexpress.fr/actualite/politique/elections/presidentielle-emmanuel-macron-devance-marine-le-pen-selon-un-sondage_1891909.html

*36 Macedonia’s ethnic Albanians demand country declared bilingual, Daily Sabah, January 7, 2017, https://www.dailysabah.com/balkans/2017/01/07/macedonias-ethnic-albanians-demand-country-declared-bilingual ; Protest Called Against SDSM-Led Macedonia Govt, BalkanInsight, February 27, 2017, http://www.balkaninsight.com/en/article/ruling-party-supporters-to-stage-protest-in-macedonia-02-27-2017

*37 Propos recueillis par Jean Guisnel, «»La menace terroriste actuelle ne cessera pas avant une dizaine d’années». Le patron de la Direction du renseignement militaire français depuis 2013 fête les 25 ans de son service. Et dresse son bilan. Entretien», Le Point, le 23.03.2017, http://www.lepoint.fr/editos-du-point/jean-guisnel/la-menace-terroriste-actuelle-ne-cessera-pas-avant-une-dizaine-d-annees-23-03-2017-2114096_53.php

*38 http://allconspirology.org/

*39 Une bonne et claire vue d’ensemble de tous les candidats est présentée dans : Présidentielle 2017: qui sont les candidats?, L’Express, http://www.lexpress.fr/actualite/politique/elections/presidentielle-2017-qui-sont-les-candidats_1814911.html

*40 Présidentielle : comparez les programmes des candidats, Le Figaro, le 21.03.2017 , http://www.lefigaro.fr/elections/presidentielles/2017/03/20/35003-20170320ARTFIG00287-presidentielle-comparez-les-programmes-des-candidats.php

*41 Débat sur TF1: Macron et Mélenchon jugés les plus convaincants, L’Express , http://www.lexpress.fr/actualite/politique/debat-sur-tf1-macron-et-melenchon-juges-les-plus-convaincants_1891116.html

*42 Diane Malosse, «Et Jean-Luc Mélenchon réveilla le débat. Lors du premier débat présidentiel, le candidat de La France insoumise a dominé les autres de son talent oratoire», Le Point, le 21.03.2017, http://www.lepoint.fr/presidentielle/et-jean-luc-melenchon-reveilla-le-debat-21-03-2017-2113538_3121.php

*43 Par Raphaëlle Besse Desmoulières , « Entre Bastille et République, Mélenchon réussit son pari», Le Monde, le 18.03.2017, http://www.lemonde.fr/politique/article/2017/03/18/entre-bastille-et-republique-melenchon-reussit-son-pari_5096932_823448.html

*44 Certaines sont évoquées dans : Evguéni Poudovkine «Macron et Le Pen mettent à l’épreuve la Cinquième République», Nézavissimaïa gazéta [Journal indépendant], le 22 mars 2017, p.8

*45 Présidentielle 2017: les analyses data montrent une vraie percée de Jean-Luc Mélenchon, Entreprendre.fr., le 08.02.2017, http://entreprendre.fr/melenchon-sondage

*46 Benoît Hamon, vainqueur inattendu de la primaire à gauche, Le Monde, 21.01.2017 , http://www.lemonde.fr/primaire-de-la-gauche/article/2017/01/29/benoit-hamon-vainqueur-inattendu-de-la-primaire-a-gauche_5071051_5008374.html

*46 Benoît Hamon, vainqueur inattendu de la primaire à gauche, Le Monde, le 21.01.2017 , http://www.lemonde.fr/primaire-de-la-gauche/article/2017/01/29/benoit-hamon-vainqueur-inattendu-de-la-primaire-a-gauche_5071051_5008374.html

*47 Evguéni Poudovkine «Macron et Le Pen mettent à l’épreuve la Cinquième République», Nézavissimaïa gazéta [Journal indépendant], le 22 mars 2017, p.8

*48 Ce qui est prouvé d’une façon plus que convaincante dans les rapports et autres écrits analytiques de l’Institut de l’Europe de l’Académie des sciences de Russie et de ses dirigeants, http://www.instituteofeurope.ru/

*49 D’après Valeria Markova, « Ernest Hemingway de 140 symboles: Comment Donald Trump dirige l’Amérique par le biais de Twitter, et si Poutine devait tirer les leçons de cet exemple», quotidien russe «Moskovski komsomolets, le 21 mars 207, p.16

*50 Développé dans: Mark Entine, Ekaterina Entina, « La Russie et l’Union Européenne dans les années 2011-2014 : à la recherche de relations de partenariat », Volumes 1 et 2, Moscou ; Eksmo, 2015, 864 p. + 752 p.

*51 Comme c’était le cas avant et pendant les élections municipales en France: Le Front populaire obtient 28% des voix, — BBC Russie, le 7 décembre2015 http://www.bbc.com/russian/international/2015/12/151207_france_regional_elections

*52 Adapté en dessin animé — ddtkontakt.ru/maugli.doc

*53 Par Benoît Hopquin , «Y aurait-il sous-estimation du vote pour le Front national?», Le Monde, le 27.03.2017, http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/03/27/y-aurait-il-sous-estimation-du-vote-pour-le-front-national_5101350_3232.html

*54 Les réflexions sur la différence entre ces notions, sur le changement de paradigmes et sur l’avènement probable d’une ère de néo-modernisme politique sont présentées de manière systématique dans: Andreï Kortounov, «Du postmodernisme vers le néo-modernisme, ou Les souvenirs de l’avenir», Russie au sein de la politique mondiale, le 30 janvier 2017 http://www.globalaffairs.ru/number/Ot-postmodernizma-k-neomodernizmu-ili-Vospominaniya-o-buduschem-18552

*55 En suivant la même logique de raisonnement que les Américains, comme, par exemple, dans: George Friedman, “NATO and the United States. The president-elect has pointed out a reality many choose to ignore”, Friedman’s Weekly, Jan. 18, 2017, 9 p.

*56 George Friedman, “NATO, the Middle East and Eastern Europe. NATO mission has shifted, but are its members willing to meet the new challenges?” Friedman’s Weekly, Feb. 22, 2017, 7 p.

*57 Igor DounaIevski «Un atrabilaire apprivoisé, ou Domptage d’un intraitable. Trump a ignoré «les standards européens» de Merkel», Rossiyskaya gazéta, Edition fédérale, n°7223 (57), https://rg.ru/2017/03/18/o-chem-posporili-i-chto-obshchego-nashli-tramp-i-merkel.html

*58 Nous avons analysé en détail leur vision du problème dans: Mark Entine, Ekaterina Entina, ouvrage déjà cité. Le suivi de l’évaluation de la situation est approfondi dans: Mark Entine, Ekaterina Entina “A la recherche de relations de partenariat: la Russie et l’UE dans les années 2015-2016”, Moscou, E Zebra, 2017, 814 p.

*59 Joseph E. Stiglitz, The Euro: How a Common Currency Threatens the Future of Europe , Aug. 16, 2016

*60 Le prix Nobel J oseph Stiglitz présage l’effondrement de l’euro, Novyé Izvestia [« Nouvelles Izvestia »], le 24 août 2016 http://newizv.ru/news/economy/24-08-2016/245495-nobelevskij-laureat-stiglic-predrekaet-krah-evro.html?format=html&slug_for_redirect=economics%2F2016-08-24%2F245495-nobelevskij-laureat-stiglic-predrekaet-krah-evro

*61 Ci-après la traduction [russe] est présentée dans la version proposée par la Délégation de l’Union Européenne en Russie, — Youri Paniev, Interview de Vygaudas Ušackas : « Il ne faut pas «plus d’Europe», mais une meilleure Europe ». Comment l’UE réagira aux nouveaux défis: terrorisme, islam radical, immigration sans précédent, Brexit, crise ukrainienne», Nézavissimaïa gazéta [Journal indépendant], n°58 (6955), le 23 mars 2017, p.7

*62 Mini-sommet à Versailles: l’Europe à plusieurs vitesses prend corps, Par AFP, le 6 mars 2017, Libération , http://www.liberation.fr/planete/2017/03/06/mini-sommet-a-versailles-l-europe-a-plusieurs-vitesses-prend-corps_1553589 Quoique les négociations promettent d’être acharnées. Il est peu probable que le groupe de Visegrád et d’autres pays, qui risquent de se retrouver en dehors des principaux formats de l’intégration différenciée, soutiennent des décisions qui leur sont notoirement défavorables.