Analyse critique des approches conceptuelles de la communauté des experts à l'égard du rétablissement des relations entre la Russie et l'UE


Cet article est rédigé pour une édition spéciale de la revue « Europe moderne »
consacrée au 25 ième anniversaire de l’Association des études européennes de Russie (AEVIS)

 La Russie n’a pas à s’habituer à une attitude hostile de la part des grands, moyens et petits pays européens. Elle en a vu d’autres. A la naissance de l’Etat russe, à l’époque de Pierre Le Grand et même avant son règne, la Grande Bretagne et la France, soit chacune à son tour, soit les deux ensemble, ont essayé de se protéger de la Russie en créant un « cordon sanitaire » composé de la Suède, de la Pologne et de la Turquie. Même après une brillante victoire contre Napoléon l’Empire Russe a dû envoyer d’urgence sa cavalerie à Paris pour empêcher ses « alliés » de se mettre d’accord, derrière son dos, sur l’aménagement du continent européen d’après-guerre.

A l’issue de la guerre de Crimée, ces mêmes pays ont contraint la Russie à accepter une paix humiliante. En profitant des événements de la révolution de 1917 (dont aujourd’hui nous célébrons modestement le centenaire), ils ont essayé de l’étrangler, de concert avec les USA, le Japon et d’autres. Après une victoire écrasante de l’URSS sur l’Allemagne fasciste et le Japon militariste, la Russie a été condamnée à la guerre froide ; cette fois ce sont les Etats Unis d’Amérique qui ont joué le rôle principal.

Mais personne ne pouvait imaginer, il y a seulement quelques années, que les relations entre la Russie et l’Union Européenne pussent se détériorer de la sorte, entre cette jeune Russie démocratique, qui s’est débarrassée d’elle-même du carcan du totalitarisme et l’Union Européenne qui dominait toute l’Europe, et ceci après la fin de la guerre froide et la réconciliation historique des ex-antagonistes. Personne, surtout dans l’establishment russe et dans la communauté des experts.

Moscou et toute la population de notre immense pays se sont tellement investis pour la cause de la réconciliation ! Nous avons consenti des sacrifices énormes, sans précédent. Les relations entre la Russie et l’UE conditionnent non seulement le devenir des peuples européens, mais déterminent la configuration de l’organisation politique du monde entier. Nous avons une liste quasi infinie de tâches communes à réaliser, tâches complexes, réelles, ce qui nécessite tout autre chose.

La compréhension de la situation a obligé des hommes politiques et la communauté des experts (tout au moins la partie sensée de ces entités) à chercher, durant toute l’année 2016 et la moitié de l’année 2017, une sortie de l’impasse, à réfléchir et à proposer différentes solutions de modus vivendi entre la Russie et l’UE. Ce travail de grande ampleur, bien que pas vraiment apparent ni fructueux, a abouti à une série de notes analytiques, d’exposés, de publications qui ont été discutés en détail à plusieurs niveaux et sur des plateformes de discussion différentes et variées.

Vu l’absence, des deux côtés, d’une demande sociale pour améliorer les relations, ces travaux n’ont pas suscité de résonance médiatique particulière. On a préféré les taire ou bien peut-être les garder sous le coude en attendant des jours meilleurs . Les médias internationaux les mentionnaient brièvement, en passant, sans entrer dans les détails. Dans les faits, ces travaux ne sont connus que par des spécialistes et même peut-être uniquement par ceux qui étaient directement concernés lors des consultations.

En réalité ces notes analytiques, exposés et publications ont une valeur scientifique et pratique inestimable. On espère toujours que très bientôt les réflexions, les recettes et les recommandations, exposées dans ces travaux, seront exhumées car elles contiennent une analyse circonstanciée des causes objectives et subjectives qui ont conduit la Russie et l’UE chacune de « son côté de la barricade» ; car elles démontrent le véritable rôle de la Russie et de l’UE dans la politique mondiale, ainsi que le potentiel colossal, qu’il soit positif ou négatif, de relations entre elles deux.

Dans ces travaux, entre autres, sont argumentés et évalués des scénarios divers et variés de l’escalade de la crise actuelle, de son blocage ou de la sortie de la crise. Le Conseil russe des affaires internationales (RSMD)[1], le Conseil de la politique extérieure et de défense (SVOP)[2], le Club international de discussion « Valdaï »[3], des grandes fondations allemandes Bertelsmann[4], Ebert[5], Adenauer[6] et d’autres, certains centres de recherche européens[7] ont grandement contribué à l’élaboration de ces scénarios.

Certaines de leurs idées peuvent être utilisées lors de la construction des futures relations d’un nouveau type entre la Russie et l’UE. Elles peuvent aussi servir pour « dégager » le chemin de l’évolution plus ou moins « normale » de ces relations, pour empêcher la reproduction des anciennes erreurs et l’émergence de nouvelles tensions. C’est pour cette raison que l’analyse critique et comparative des idées en question nous semble opportune et fort actuelle. Le présent article y est consacré.

 

Moment de vérité

Les relations entre la Russie et l’UE sont dans un état saugrenu, absolument incompréhensible et précaire, et la majorité de la communauté des experts l’accepterait . Ces relations semblent figées dans l’attente de quelque chose : d’un nouvel événement, d’une nouvelle proposition, initiative ou approche ou tout simplement d’une mesure énergique qui pourrait faire bouger la situation dans un sens ou dans un autre, mais que personne n’ose entreprendre. Il est évident qu’en définitive leur état actuel de dégradation ne convient plus à personne, même à ceux qui tireraient profit des liens gelés et de la confrontation ou à ceux qui adoptent la ligne dure et sans compromis.

La réaction prévisible de la population de l’Ukraine et des pouvoirs russes aux évènements tragiques de Kiev et à la résurgence de l’extrémisme nationaliste, ainsi qu’à la tentative des USA et de l’UE de forcer la main à la Russie, d’imposer leurs conditions, de mener la politique jésuite d’endiguement, cette réaction-là a eu des conséquences prévisibles. Bien que l’Occident (soi-disant « collectif »), en imposant des sanctions antirusses et en les durcissant par la suite d’une façon irrationnelle, s’attendît à un effet contraire. En tout cas, presque tous les experts occidentaux continuent à soutenir unanimement un non-sens évident : les sanctions visent ceux qui gouvernent le pays et pas son peuple ; et puis l’UE était dans l’obligation de réagir et de « faire entendre son mécontentement à Moscou ».

La consolidation du régime existant a eu lieu sous leur influence. Bien que pas illimitée, cette consolidation est assez durable et en tout point évidente. Comme le disent — à juste titre- les experts russes, là il n’y a pas matière à controverse, les faits sont éloquents. L’opposition de tous bords à l’esprit constructif a soutenu, en accord avec l’opinion des électeurs, les actions du Kremlin. Même si quelques reproches se faisaient entendre, c’était des reproches portant sur la mollesse des actions et sur leur efficqcité insuffisante, et non le contraire.

Un virage de la Russie à l’Est s’est produit, d’abord forcé, en demi-teinte, indécis, puis de plus en plus cohérent et délibéré. Moscou s’est résolue à un rapprochement multiforme avec la Chine et à un établissement de relations de franc partenariat, ce qui devint un cauchemar pour Washington et Bruxelles. Finalement, c’est une diversification des relations extérieures politiques et économiques de la Russie qui est advenue, la diversification qui se faisait attendre depuis si longtemps. Les auteurs du cinquième (déjà !) rapport du club de discussion « Valdaï » à ce sujet, intitulé «Réorientation vers l’Est-5 : agenda de coopération », le décrivent avec pertinence, en se basant sur l’avis d’un groupe représentatif d’experts russes[8].

Des changements positifs se sont opérés dans l’évolution économique du pays. Quoique le gouvernement aurait pu faire davantage, considèrent certains économistes, ceux qui adhèrent à la position de Sergueï Glazyev, conseiller du Président de la Fédération de Russie, ainsi que des experts libéraux de droite gravitant autour du groupe de travail du Conseil économique auprès du Président de la Russie, groupe dirigé par Alexey Koudrine, chef du Centre de recherches stratégiques. Moscou a réduit sa dépendance à l’exportation de matières premières et de produits à faible niveau de transformation et de TVA. La Russie a commencé à créer des chaînes complètes de production, sans compter sur des apprts extérieurs. Elle a ouvert son marché aux pays dont la compétitivité était freinée par les barrières administratives et l’emprise des intermédiaires qui servaient exclusivement les intérêts des fournisseurs occidentaux.

En même temps on se rend compte que la restriction des relations politiques, mais surtout économiques, créent des conditions défavorables pour l’évolution interne du pays. Cette restriction oblige alors à déployer des efforts nettement plus importants pour atteindre les objectifs fixés, à prendre des décisions motivées politiquement et non économiquement, elle empêche l’optimisation des efforts à entreprendre.

Qui plus est, dans la société et dans l’économie russes ces restrictions aggravent les manifestations de crise provoquées par d’autres causes, empêchent une sortie rapide de la crise cyclique et structurelle qui sévit dans le pays, détruisent les liens de production qui ont prouvé leur rentabilité, entravent l’accès au marché financier international, augmentent les risques pour les investissements, font monter le coût des crédits et autres emprunts, ce qui atteint en premier lieu les petites et moyennes entreprises. Ces restrictions réduisent les possibilités d’élaborer une stratégie appropriée et durable de la gestion, bloquent l’accès aux technologies de pointe, dont ont besoin aussi bien les entreprises publiques que privées, détournent une partie significative des forces et des moyens créatifs.

Pour l’UE les conséquences de la confrontation avec la Russie sont-elles aussie ambiguës. Les chercheurs russes ne ratent pas l’occasion d’affirmer que cette confrontation est une conséquence logique de la politique de l’évincement de la Russie de l’Europe et de l’intégration dans son sein, ou dans une sphère de priorité, des Etats neutres indépendants non-alignés, qui ont émergé des décombres du système socialiste mondial et de l’URSS. L’UE s’est empressée d’appliquer cette politique tout de suite après l’effondrement du mur de Berlin.

Dans le préambule des soi-disant « accords européens » avec les pays de l’ex camp socialiste, l’UE a clairement défini la perspective de leur adhésion à l’Europe. Et déjà en 1993 lors du sommet de Copenhague   l’UE a approuvé les critères d’accession à l’Union.

Après la « réunification historique » avec l’Europe de l’Est, qui a provoqué une énième crise profonde dans les relations avec Moscou, l’UE s’est empressée de faire les yeux doux aux pays de voisinage commun. Ensuite en 2008, sur les traces encore fumantes de la guerre en Géorgie, elle a lancé un programme de Partenariat oriental, ayant pour objectif de détacher tous ces pays de la Russie. Même les hostilités, qui perdurent en Ukraine depuis des années,  n’ont pas amené Bruxelles à revoir profondément cette politique : elle n’a subi que quelques modifications superficielles afin de la rendre plus efficace.

Le fait que les personnalités officielles de l’UE « enjolivent » toutes les actions respectives de l’Europe (comme, par exemple, le travail sur l’accord avec l’Arménie, abouti en février 2017) par des déclarations et des affirmations proclamant que Bruxelles n’oblige personne à faire le choix entre l’Est et l’Ouest du continent européen[9], ce fait-là ne change rien à l’essentiel. Pardi ! Le rattachement de l’Ukraine et de ses richesses, quelle qu’en soit la forme, reste un rêve perpétuel des politiciens, idéologues et conquérants occidentaux.

La faiblesse temporaire de Moscou et sa docilité, manifestée dans le passé, ont été perçues comme une opportunité.

Bruxelles et les pays qui mènent la danse au sein de l’UE ont besoin d’une victoire sur Moscou, quelle qu’elle soit – morale, politique, économique ou autre ; ils ont besoin de concessions de sa part afin d’affirmer leur totale suprématie sur le continent, afin de devenir l’unique juge et maître dans toutes les affaires, l’unique instance qui définisse les règles du jeu et qui contrôle leur stricte application en utilisant tous les moyens possibles et imaginables. On a pu observer la façon exemplaire de l’UE de réprimer ses propres membres – Chypre d’abord, la Grèce ensuite. Ni Bruxelles, ni Berlin n’acceptent l’idée de devoir partager le pouvoir, n’admettent le fait que l’Europe repose sur deux piliers : l’un étant l’UE et l’autre la Russie et ses alliés. Après la chute du mur de Berlin, l’effondrement de l’URSS et l’affaiblissement significatif de la Russie il était agréable de se faire à l’idée que désormais l’Europe, l’Europe élargie, englobe tout et soit dirigée d’un centre unique. Il ne reste plus aucun autre centre, et la Russie n’est plus un concurrent.

L’UE a eu besoin de proclamer la Russie comme adversaire, l’ennemi n°1 ou même l’ennemi du système qui aurait été mis en place après la guerre froide ; l’Europe en a eu besoin pour, entre autres, mettre fin à des tendances centrifuges en son sein (le Brexit a démontré l’ampleur de ces tendances), ou au moins pour justifier ses erreurs par les manigances de Moscou. Si on écoutait les experts politiques occidentaux, on croirait l’ombre de Moscou se profiler partout. C’est Moscou qui serait derrière le renforcement du mouvement protestataire, la montée du populisme, la croissance de la popularité des partis extrémistes, de droite comme de gauche. Et si les électeurs des Pays Bas, de France et/ou d’Allemagne osaient voter « incorrectement », pas comme il faut[10], ce serait la faute de hackers de Moscou[11].

D’après l’avis de représentants éminents de la communauté russe des experts, le fait d’avoir titularisé la Russie comme ennemi systémique ou ennemi du système a été très utile à l’UE pour consolider ses élites sur une base commune de « mise en formation» des Etats-membres[12], juguler la dissidence et la contestation. Mais ceci n’aide pas à atteindre les objectifs formulés ci-dessus, car ces objectifs sont faux et ne reflètent pas la réalité mondiale. Les écrits des experts russes sont plus que convaincants à ce sujet.

On ne peut établir un ordre stable et une sécurité garantie en Grande Europe qu’avec la Russie, en s’appuyant sur les exigences d’inclusivité, sur la co-création et la prise en compte des intérêts légitimes de tous les peuples. Et pas autrement.

On n’arrivera pas à forcer tous les pays à vivre et à se développer de la même manière. Puisque, premièrement, chaque pays est différent et chacun a sa façon de « cheminer vers la Maison de Dieu ». Deuxièmement, l’UE ne réussit même pas à l’appliquer sur son territoire déchiré par les contradictions entre le Centre et la Périphérie, l’Est et l’Ouest, le Sud et le Nord. Il est ridicule de faire porter la responsabilité de tous les malheurs par des forces extérieures et voir en tout « la main de Moscou ». La stabilité et la sécurité de l’Europe sont menacées de son intérieur. Le succès de ses extrémistes de droite et de gauche et de ses populistes, qui sont de plus en plus soutenus par les électeurs, est engendré par la crise des partis politiques classiques. Ce succès est une réaction logique de la société au caractère anti humain de la politique de sortie de la crise globale et ensuite de la crise de la dette souveraine, cette politique qui a été choisie par les dirigeants de l’Europe et de ses Etats-membres, l’Allemagne la première.

En même temps, la politique de la confrontation menée par l’UE contre la Russie a des côtés purement négatifs. En l’appliquant, Bruxelles se met en opposition non seulement par rapport à la Russie, mais par rapport au monde entier. Curieusement, cette thèse a été perçue par nos collègues comme une révélation lors des réunions du réseau européen des experts (le réseau créé à l’initiative de la Délégation de l’UE en Russie, sous-entendu de la Commission Européenne elle-même,[13] et du Conseil russe des affaires internationales), plus particulièrement lors de la rencontre à Moscou les 2 et 3 février 2017[14].

Le monde entier voit que l’UE, qui auparavant était perçue comme une force citoyenne foncièrement positive, ne dédaigne rien pour imposer ses objectifs : ni coups d’Etat, ni ingérence effrénée dans les affaires intérieures des pays tiers, ni illégalité manifeste. Le monde entier découvre avec étonnement que Bruxelles est prêt à foncer sans que rien ne l’arrête, à démolir ce qui a mis des décennies à être construit et ce qui était perçu comme un grand succès, comme une valeur de première importance. De ce point de vue, rien ne le différencie des néoconservateurs américains. Il s’agit, bien évidemment, des relations amicales entre la Russie et l’UE.

Le monde entier commence à réaliser que l’UE sacrifie sans le moindre scrupule ce qui auparavant était mis sur un piédestal, à savoir le souci de développement pacifique, de préservation des vies humaines, le respect des droits des minorités, des droits de l’homme, du droit de choisir sa propre voie de développement etc. Le monde entier prend conscience des multiples faiblesses propres à l’UE, réalise que la plupart des choses dont l’UE se prévaut n’est qu’un paravent qui sert à camoufler la réalité. Laisser se réaliser un pareil scénario en Ukraine signifie être un perdant, un « looser », surtout s’agissant du pays qui était inclus pratiquement de force dans la zone d’influence européenne. Etre un looser, c’est aussi accepter la stagnation permanente, l’instabilité, les crises latentes dans les Balkans, où l’UE avait promis un avenir meilleur à tous les pays qui en font partie. Et ainsi de suite.

Evidemment, les « leçons » que Bruxelles a dispensées au monde entier durant les années de confrontation avec la Russie, ont fait déprécier ses actifs internationaux accumulés auparavant, ont eu de fortes incidences sur la « force douce » dont il disposait et que tout le monde appréciait grandement. En plus, les élites politiques et commerciales étrangères à l’UE ont essayé sur elles-mêmes la façon de faire de Bruxelles et en ont tiré des conclusions. Comme on le dit, « une fois menti, qui te croira ? »[15]

Même pour le développement interne de l’UE la confrontation avec la Russie a constitué une certaine épreuve.

Primo, tout le monde dans l’UE est loin d’être d’accord avec les dispositions prises à l’égard de Moscou. Oui, tous étaient obligés de s’y soumettre, mais ceci n’a pas fait grandir le sentiment d’amour pour l’UE.

Secundo : une petite, et même peut-être une grande partie de la population de certains pays de l’UE soutient dans son âme les valeurs traditionnelles. Les gens ne sont pas heureux de devoir dissimuler leurs convictions. Ils sont dégoûtés de la façon arrogante des élites politiques de leur imposer des valeurs néolibérales et le darwinisme social[16] qui semblait banni par l’histoire. Personne n’a encore réussi à réprimer longtemps ce genre de ressentiment.

Tertio : l’inefficacité et l’impuissance, manifestées par Bruxelles, « l’arc-boutement » des dirigeants de l’UE et leur incapacité à utiliser « les flexibilités » qui sont à leur disposition, rendent circonspects beaucoup de monde en UE. La ligne de conflits encercle le Sud de l’UE, et maintenant l’Est aussi. Le nombre de crises subies par l’Union ne cesse de croître. Cela fait plus de dix ans que Bruxelles n’arrive pas à démêler l’histoire du lourd héritage de l’ex   République fédérative socialiste de Yougoslavie dans les Balkans.

Cela fait une décennie que l’Union n’arrive pas à surmonter les conséquences de la première crise financière et économique. La durée de l’opération antiterroriste en Ukraine, dont Bruxelles s’obstine à défendre la légitimité, bat tous les records, tandis que l’Allemagne et la France continuent leurs objurgations  pudiques au nom de l’UE, au lieu de contribuer réellement à un règlement pacifique du conflit et de continuer à faire pression sur Kiev pour obtenir l’application des accords de Minsk-II.

Quarto : par sa politique, l’UE contribue à un retour de l’esprit militariste et nationaliste. En connaissant le vécu des générations précédentes, on se demande quelles conséquences ce phénomène peut provoquer sur le continent européen.

Et il ne faut pas non plus oublier les pertes colossales mesurées en manque à gagner à cause des grands et petits projets non aboutis, la dégradation de « soft security », la sécurité douce, ce qui a été pointé du doigt essentiellement par des auteurs russes. En tenant compte de tout ceci, on est obligé de constater que le bilan de « pour » ou « contre » la préservation des relations, en l’état actuel suspendu et déséquilibré, entre l’UE et la Russie, penche clairement et objectivement vers le « contre » pour les deux parties.

C’est pour cette raison qu’il est difficile de comprendre la logique de ces membres de la communauté des experts qui se prononcent pour la préservation du statu quo actuel. Admettons qu’ils rejettent une possibilité de compromis. Mais c’est quand même évident qu’il est impossible de garder indéfiniment cette situation bancale.

Il faudrait au moins l’aménager de façon à prévenir un glissement vers un scénario encore plus catastrophique. Et en même temps ne pas négliger l’alternative – la recherche d’une nouvelle fondation et d’un nouveau modus vivendi, sur la base desquels on bâtirait les relations dans l’avenir.

Les élites politiques de l’UE étaient consternées par l’arrivée au pouvoir aux USA de Donald Trump, ce farouche partisan du réalisme politique, qui préfère, de l’avis de tout le monde, appeler un chat un chat, même si ça fait mal ou agace certains. Ses propos critiques à l’égard de Bruxelles sont bien connus. Indépendamment de son orientation politique qu’il choisira dans les affaires internationales, personne ne doute que la politique menée précédemment sera révisée. C’est un risque et une occasion, comme on le sait bien. Dès lors la communauté des experts voit apparaître une nouvelle motivation pour insister sur la nécessité de changer de balises dans l’évolution de la crise relationnelle russo-européenne, cette crise qui commence à lasser tout le monde.

 

Folie de désinformation

Dans ce contexte la guerre d’information, engagée il y a déjà très longtemps par l’Union Européenne afin de décrédibiliser un adversaire potentiel, fera fonction de pierre d’achoppement. Rappelez-vous la frénésie déchaînée dans les médias internationaux la veille des Jeux Olympique de Sotchi, c’est-à-dire bien avant qu’en Ukraine l’instabilité ne dégénère en conflit armé, rappelez-vous ce boycott politique fomenté par les chefs d’Etats et de gouvernements des pays-membres de l’UE. Il était impossible de se mettre à l’abri, d’échapper à ce torrent de boue et de mensonges à propos de la Russie, de Sotchi, de la construction des infrastructures olympiques ; il vous atteignait partout. C’était comme une avalanche provoquant le sentiment d’épouvante et d’ahurissement, comme une coulée de boue dont des petits villages et villes mettront des années à se laver, si seulement quelque chose y survit.

Lors de l’inauguration du 45 ème Président des Etats-Unis, à Washington et à New-York, nous avons été témoins de la façon de créer un tel effet de diffamation dirigée contre un homme et contre les pouvoirs. Ce que les médias américains se sont permis à propos de Donald Trump, ils n’ont jamais osé le faire à l’égard d’aucun autre grand homme politique ou homme d’Etat éminent de la planète.

Le nouvel élu était vilipendé de toute part, il se faisait réduire en bouillie. On le traitait d’ignare qui ne comprend rien ni ne sait rien faire, de professionnellement inapte, surtout à cause de ses traits de caractère. On lui proposait de « renoncer à la couronne » avant de faire un malheur. On est arrivé à le traiter d’« évadé de l’asile d’aliénés» ou de celui qui mérite d’y être enfermé, le plus tôt étant le mieux, et ainsi de suite.

Les médias ont non seulement cité des faits sortis de leur contexte, mais les ont manipulés. Ils ont fait circuler partout l’information qu’il n’y avait que quelques misérables 40% d’opinion publique favorable, ce qui était nettement inférieur par rapport à tous ses prédécesseurs à ce poste d’une telle importance. Mais en même temps, ils ont pratiquement passé sous silence les résultats du sondage public qui révélaient que presque 60% d’Américains appréciaient les slogans politiques de Trump et ses promesses. C’est seulement quand il n’était plus possible de dissimuler la réaction indubitablement positive des Américains que même CNN a admis que 7 spectateurs sur 10 qui suivaient sa première allocution devant le Congrès américain, «étaient enthousiasmés par ses initiatives »[17].

La partie de son allocution consacrée à la situation économique des USA a plu à 72% des personnes interrogées pour CNN. 70% ont approuvé les méthodes de lutte contre le terrorisme international, proposées par Donald Trump. 64% ont réagi positivement à ses idées de réforme du système d’imposition, et 62% à ses mesures drastiques de limitation de l’immigration. 57% des personnes interrogées ont approuvé la totalité de son programme. Mais les présentateurs de CNN n’ont pas pu s’empêcher d’apporter quelques ombres au tableau en insistant sur le fait que le consensus relatif à la déclaration d’intentions des Présidents précédents était beaucoup plus large.

Un tel « bourrage de crâne » est terriblement efficace. Ne citons qu’un exemple. En Russie, il y a beaucoup d’étudiants venus de différents pays. Pour comprendre comment ils perçoivent la réalité ambiante, on a organisé quelques sondages d’opinion. Il en est ressorti que seulement quelques personnes considèrent Donald Trump comme Président légitime des USA, puisque Hillary Clinton a obtenu 3 millions de voix de plus. L’écrasante majorité des interrogés le considèrent comme partiellement ou complètement illégitime. Et ceci après qu’il a gagné les élections, prêté serment et est entré dans la fonction présidentielle. Vraiment une chose bien étonnante ! Notez que lors de la réunion du réseau européen des experts à Moscou les 2 et 3 février 2017 on a entendu des raisonnements similaires, et nos collègues occidentaux en faisaient part sans rougir.

Les médias russes ont grandement contribué à la dévalorisation de leur pays dans les années 1990. Avec une maîtrise épatante ils ont créé l’image d’un Etat de « second choix », arriéré, barbare, où aucune règle ne fonctionne, où règnent la corruption et la criminalité, où on vit « selon les règles de la pègre » sans rien vouloir changer. Cette image a été reproduite et implantée dans les esprits par les medias occidentaux, et ceci avec délectation.

Dans les années 2000 les medias russes ont habilement rajouté aux clichés en rapport avec la Russie, déjà largement répandus en Occident, une grande quantité de nouveaux stéréotypes. C’est grâce à eux, en particulier, qu’on prenait pour vérité fondamentale la considération qu’entre la Russie et l’Union Soviétique il n’y a aucune différence. Le pouvoir est concentré entre les mains d’un despote autoritaire et de sa clique, comme dans les temps anciens, ou même bien avant, à l’époque des tsars[18]. La démocratie n’a pas pris racine, ses institutions ne sont qu’une simulation, un « village de Potemkine », un trompe-l’œil à des fins de propagande. Les droits et les libertés sont partout bafoués. L’opposition est démantelée. La liberté d’expression est étouffée. Les résultats des élections sont truqués. L’ambiance de rétro-commission frauduleuse s’est insinuée partout, j’en passe et des meilleures…

Il n’était pas difficile de franchir le pas et de faire renaître l’image d’un « empire du mal » frais émoulu. En effet, si la Russie répond à tous ces descriptifs, cela veut dire qu’entre ses valeurs et celles de l’Occident « éclairé » il y a un écart infranchissable. Moscou, par définition, peut être un partenaire stratégique[19]. Cette terminologie et cette approche doivent être bannies, et le Bundestag a été le premier à l’avoir fait. Si l’Union Soviétique était un ennemi, la Russie l’est aussi, mais un ennemi qui se dissimule mieux et cache mieux ses intentions. Mais ce n’est que provisoire. Alors il faut contrecarrer résolument ses tentatives d’initier un processus d’intégration sur le territoire de l’ex-URSS. L’adhésion de plein gré, il n’en est même pas question, Moscou force la main à ses voisins, alors il faut les aider, car ils sont incapables de faire face au Kremlin.

Les historiens russes se rappellent en souriant un aphorisme du leader de la révolution bolchevque, chef d’un jeune Etat soviétique, Vladimir Lénine : «Les Etats Unis d’Europe sont impossibles, puisqu’ils sont réactionnaires». Pendant des décennies cet aphorisme a conditionné la perception par Moscou de tout ce qui se passait en UE. L’establishment et les medias occidentaux se sont emparés du reflet inversé de cet aphorisme pour l’appliquer à la politique intérieure et extérieure de la Russie d’aujourd’hui.

Ils prétendent que tout ce que fait le Kremlin, et plus précisément son maître, est soit inadmissible, soit réactionnaire, en plus cela nuit aux intérêts des puissances démocratiques. De l’extérieur, il est impossible de leur faire changer la position qui s’est littéralement incrustée dans leur cerveau, dans leur ADN. Il est impossible de leur faire comprendre que ces clichés ont peu en commun avec la réalité. Dans une conversation privée, nos collègues opinent du chef, clament leur indignation, mais dès qu’ils montent à la tribune, là, leur revirement laisse sans voix.

Il est très compliqué de faire dégeler les relations russo-européennes et de leur donner un nouveau dynamisme tant que les médias internationaux garderont un pareil état d’esprit (ou plutôt continueront à honorer la commande politique qui leur était passée). Tout de suite se mettent en marche les mécanismes de dénigrement des hommes politiques, des parlementaires, de tous ceux en général qui osent donner un avis positif sur la Russie et appeler à la restauration d’un dialogue constructif. Ceux qui s’y aventurent ne sont pas nombreux, essentiellement ce sont ceux qui n’ont rien à perdre. Tous les hommes politiques qui s’appuient sur le soutien de l’establishment, s’orientent infailliblement en fonction de l’opinion publique. Dès qu’ils voient que leur popularité est menacée, ils tournent casaque. Personne n’a une vocation de kamikaze. La politique ne se pratique pas autrement .

Le fonctionnement de ce mécanisme vient de nous être démontré par le biais des scandales autour de Donald Trump et ses nominations politiques. L’une des personnes a été soupçonnée de soi-disant liens avec Moscou, et le Président a été obligé de sacrifier une pièce pour sauver la partie. Une autre a été « remise sur le droit chemin », malgré toute sa riche expérience de vie. Et on a mis Donald Trump en face d’un dilemme d’une façon claire et sans appel : s’il continue sa politique obstructionniste, on lui retire la compétence discrétionnaire attribuée au pouvoir présidentiel et on la transfère au Congrès qui est dans des dispositions « comme il faut ».

En 2016, lors de l’Assemblée du Conseil de la politique extérieure et de défense, ainsi que pendant les réunions de SVOP qui l’ont suivie et dans le rapport de synthèse[20], on a souligné itérativement que, primo, Moscou a perdu la guerre de l’information ; secundo : Moscou ne dispose pas de moyens aussi puissants et influents que ceux dont dispose l’Occident ; tertio : Moscou reste prisonnier de certaines notions occidentales qui paraissent fiables, mais en réalité ne servent que des intérêts exclusivement occidentaux.[21].

De ce fait, on proposait d’agir d’une façon plus offensive : non seulement dénoncer la désinformation qu’on balance sans arrêt dans les médias, mais promouvoir son propre programme positif, méticuleusement élaboré. Actuellement, ce programme existe : c’est la conception du Grand Partenariat Eurasiatique Global (VseBEAP)[22].

Pour mettre cette conception en forme et la remplir de contenu concret, une grande équipe de scientifiques de tous horizons s’est attelée à la tâche. Au sein de cette équipe on a réuni la fine fleur des experts du Conseil de la politique extérieure et de défense SVOP, du Club international de discussion « Valdaï », de l’ Université nationale de recherche « École des hautes études en sciences économiques » (EHESE), de   l’ Institut d’État des relations internationales de Moscou (MGIMO), des groupes analytiques de l’Union économique eurasiatique (UEEA) et d’autres centres de recherche. Les experts étaient rassemblés par Sergueï Karaganov, doyen de la faculté de la politique et de l’économie mondiale de l’ École des hautes études en sciences économiques (EHESE),  qui lui-même a joué un rôle décisif dans l’argumentation et la promotion de la conception[23]. Mais la popularisation des idées qui en découlent n’est pas encore bien mise en place.

Le Conseil russe de la politique extérieure et de défense a suggéré de créer des agences internationales et des agences de notation basées sur la plate-forme des BRICS, de L’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), ou sous une autre forme, afin de pouvoir discuter avec les homologues occidentaux et affaiblir leur monopole sur la présentation des informations, de diminuer le poids des estimations unilatérales qu’ils défendent.  Ces suggestions sont plus que prisées. Il est indispensable de suivre cette voie. Mais pour l’instant la situation n’évolue pas au-delà de la reproduction de ces suggestions dans les publications les plus récentes ou à paraître prochainement[24]. Les consultations purement préliminaires ne comptent pas.

Les réflexions qu’on a entendues lors de la réunion du SVOP concernant un nouveau contenu ou des sujets fondamentaux qui pourraient servir de repères pour les futures agences, n’ont pas été développées non plus. Certaines de ces réflexions étaient pourtant très judicieuses. Elles portaient sur une mise en avant-plan de sujets tels qu’une nouvelle politique internationale de développement, qui pourrait ouvrir une perspective de nivellement des niveaux de vie des pays développés et ceux en voie de développement ; le sujet d’une réelle lutte, et non de son simulacre, contre la pauvreté et le retard de développement ; le sujet de la création de fonds de l’ONU destinés à acquérir des technologies de pointe et, par la suite, de les proposer gratuitement aux Etats qui en ont besoin ; u n autre sujet qui va dans le même sens : soustraire du droit international sur la propriété intellectuelle certaines sphères de l’activité, essentielles au développement accéléré de l’Etat, car cette législation a le monopole de l’utilisation des dernières avancées scientifiques et techniques, y compris dans les domaines de la médecine, de la protection sociale, du management, de l’éducation etc.  ; le sujet de la clarification de notions telles que inclusivité, non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats souverains, tolérance, valeurs traditionnelles, dialogues entre les religions et les civilisations, et ainsi de suite. Il faudra revenir par la suite à la promotion de ces sujets en question.

Mais ce n’est que du palliatif. Toutes les propositions, aussi utiles et nécessaires qu’elles soient, relatives à la création d’un contrepoids aux as occidentaux de la guerre de l’information, n’enlèvent pas de l’ordre du jour la question d’une trêve dans cette guerre.

D’après la conception classique de la guerre et de la paix, une trêve est un prologue à une confirmation ou une restauration des relations pacifiques. Une telle trêve donnerait plus d’espace de manœuvre pour les hommes politiques.

Voici d’autres mesures débattues dans les publications russes : rendre le fonctionnement des médias pleinement conformes aux exigences de la liberté d’expression, qui mettraient hors la loi la distorsion des faits, les intox et les mensonges ; restaurer les notions fondamentales de la vocation journalistique d’informer la société de la façon la plus objective possible et ne pas présenter des commentaires unilatéraux des événements; concevoir un nouveau code de conduite des journalistes, des éditeurs, des magnats et des holdings des médias et de leur activité en général, un code qui expliciterait et affirmerait la déontologie professionnelle et dont le texte serait soumis à l’approbation du Conseil de l’Europe et de l’UNESCO[25].

 

Un peu plus de réalisme dans l’évaluation de l’UE et de la Russie

Rien de tout ceci n’est encore fait, et les perspectives restent très obscures, la communauté des experts s’est mise d’elle-même à la « restauration » de l’image de l’UE et de la Russie dans l’esprit des populations. Les rapports, élaborés par certains centres de recherche et par quelques grandes équipes internationales[26], ont pour but d’essayer de donner une évaluation impartiale et fiable des deux parties et de ce qu’elles représentent en réalité, de leurs qualités et de leurs défauts, de leurs capacités potentielles dans les domaines économique, politique et militaire, de l’attractivité de leurs modèles civilisationnels.

L’importance de cette évaluation est soutenue par le fait que les gourous de la communauté américaine d’experts se basent, dans toutes leurs constructions et recommandations en rapport avec la politique extérieure, sur deux axiomes. Axiome n°1 : la Russie représente une menace pour les Etats-Unis puisque c’est le seul Etat au monde qui pourrait anéantir les USA en cas de conflit, ou même sans.

Axiome n°2 : la politique extérieure de la Russie, qu’il s’agisse de son « escapade » en Syrie, d’une « concoction » d’une Union économique eurasiatique, de son soutien direct à la scission du Donbass de l’Ukraine ou d’un « flirt» avec la Chine, est toujours une politique aventurière. Le caractère aventureux de pareilles actions ou stratégies s’explique par le fait qu’elles ne sont pas soutenues économiquement et qu’aucune base de ressources n’a été prévue à ces fins.

Après un moment (dont la durée n’a pas d’importance) Moscou ne pourra plus continuer à agir de cette façon. Ses moyens internes s’épuiseront. La Russie est un pygmée économique. Elle prend de plus en plus de retard par rapport à d’autres pôles de pouvoir et à ceux qui ambitionnent le statut de superpuissance. Elle va bientôt s’épuiser à la tâche. Il faut juste patienter un tout petit peu. Eventuellement, il faudra juste faire s’accélérer le processus naturel. La conception de la politique extérieure des USA et de l’UE doit se fonder là-dessus.

Les publications parues récemment réfutent les deux axiomes. Ces publications, en résumé, disent ceci : primo, la Russie a un potentiel nucléaire considérable, comparable à celui des USA, mais ce fait ne la transforme pas en menace directe pour les Etats-Unis. Nullement. C’est un danger potentiel, rien de plus. Les relations normales et constructives avec la Russie empêchent, pleinement et efficacement, la transformation d’un danger potentiel en menace imminente, et le font d’une façon beaucoup plus fiable que le bouclier antimissiles créé par le Pentagone, ce bouclier qu’on peut toujours contourner ou déjouer.

Au contraire, en piétinant les intérêts vitaux de la Russie, les USA eux-mêmes font passer son important potentiel nucléaire et balistique d’un état de danger, bien que réel, mais en sommeil, en état de menace imminente, dont il faudra s’occuper en priorité en négligeant les autres options.

La conclusion s’impose: au lieu de contrarier Moscou, Washington aurait mieux fait de comprendre la logique de ses démarches, d’essayer de résoudre les contradictions existantes, de s’entendre à nouveau sur des règles de jeu communes.

Deusio : la Russie n’est pas aussi faible sur le plan stratégique, militaire et économique comme les capitales occidentales voudraient le croire. Evidemment, elle a beaucoup de problèmes politiques extérieurs et de problèmes internes. Après l’effondrement de l’Union Soviétique il ne lui reste plus d’alliés vraiment fidèles. Le président biélorusse Alexandre Loukachenko la fait tout le temps chanter en menaçant de réorienter son pays vers l’Ouest, en arrachant du Kremlin des concessions et ou un octroi de ressources financières à des conditions favorables. Au sein de la Communauté des Etats Indépendants (CEI) tous essayent de ne pas se trouver trop dépendant de la Russie, en préférant mener une politique d’équidistance.

L’Union économique eurasiatique «  boîte de tous ses pieds ». L’ampleur des disparités entre les membres de ce projet, dirigé par la Russie, amoindrit significativement le plus gros de ses réussites. On n’arrive même plus à comprendre ce que Moscou a finalement à y gagner.

Les relations politiques, techniques et militaires entre Moscou et les poids lourds de la politique régionale et mondiale tels que l’Inde, le Pakistan, l’Iran, la Turquie, l’Egypte et Israël, sont tout à fait convenables et même bonnes, mais ces relations ne se traduisent pas en condensé d’ interactions et d’interdépendance économique.

Moscou n’arrive pas vraiment à s’appuyer sur la Chine non plus. Pékin joue exclusivement selon ses propres règles. Les BRICS sont en crise. L’Organisation de coopération de Shanghai peine à devenir opérante. Les relations entre le Kremlin et l’Occident sont dégradées, semble-t-il, d’une façon fondamentale.

Même si cette image n’est pas complètement fausse, ceux qui la véhiculent ne tiennent pas compte du fait que la méfiance de tous ces pays à l’égard des USA et de l’UE n’est pas moindre, mais même peut-être plus forte qu’à l’égard de la Russie. Leurs intérêts géostratégiques et les impératifs de sécurité poussent ces pays en question à interagir avec Moscou et à s’orienter vers la Russie. Leur perception du monde environnant est plus proche de celle de Moscou que de celle de Bruxelles ou de Washington. Et le Kremlin est en train de travailler d’arrache-pied pour convertir ses bonnes relations avec ces pays en dividendes économiques. Y arrive-t-il ou pas, c’est une autre paire de manches.

Oui, en Russie l’économie est en crise, et cette crise est bien profonde, c’est indiscutable. La Russie a dépensé à tort et à travers l’héritage de l’Union Soviétique, qui a été, comme il s’avère, un titan économique. Sa structure économique est dépassée. La disparité des niveaux de développement de ses différentes régions est incommensurable. La classe moyenne s’est appauvrie. Le réseau de petites et moyennes entreprises, censé être la trame de l’économie et de son dynamisme, n’a pas été tissé. Les capitaux et les meilleurs cadres fuient à l’étranger. La bureaucratie poursuit ses propres intérêts, et non ceux de l’Etat. L’appareil d’Etat est fossilisé et n’est pas apte à résoudre les problèmes.

Les besoins sociaux d’épargne, d’innovation, d’entrepreneuriat, de pérennité de l’activité économique ne se sont pas formés. Une part importante de l’économie reste dans l’ombre, en parallèle. On a des problèmes jusque par-dessus de la tête.

Mais comme le remarquent à juste titre certains représentants de la communauté des experts, ce n’est que « la température moyenne de tous les patients d’un hôpital ». Dans des secteurs et sous-systèmes spécifiques de l’économie russe la situation est quelque peu différente. Grâce aux mesures entreprises après plusieurs années de sous- financement, on a réussi à réhabiliter partiellement le complexe militaro-industriel (CMI), à réformer l’armée et à doter sa plus grande partie de systèmes d’armement des plus modernes. La qualité de la formation et des armements a été péremptoirement démontrée par les Forces de défense aérospatiale russes en Syrie. En théorie, le complexe militaro-industriel ne peut pas servir de locomotive de l’évolution de l’économie du pays en temps de paix, et le Kremlin a misé là-dessus. Mais cette mise a eu une répercussion miraculeuse sur le CMI.

Par ailleurs, la Russie garde ses positions de leader mondial dans certains domaines de progrès scientifique, technique, technologique et industriel.

On peut citer entre autres la construction de centrales nucléaires de génération et de niveau de sécurité résolument modernes, et n’ayant pas d’équivalent sur le marché ; la conception d’armes basées sur de nouvelles lois physiques ; la construction de fusées et d’hélicoptères ; la conquête de l’espace etc. Et il faut y ajouter que certains secteurs économiques se développent à une cadence accélérée.

De ce fait, il ne faut aucunement sous-évaluer le potentiel militaire, stratégique, économique et mobilisateur de la Russie. Par conséquent, constatent certains experts occidentaux qui s’en tiennent à des positions objectivistes, le dialogue avec la Russie doit se baser sur la réalité actuelle du pays et non sur de vains espoirs que ce pays se disloquera de lui-même ou sera repoussé en périphérie des processus mondiaux.

En tout cas, en Asie, en Afrique, en Amérique latine la Russie est perçue, après l’opération syrienne, comme un acteur international de tout premier plan. On s’adresse à elle pour demander aide et protection, comme on s’adresse à la Chine ou aux USA. Dans ces conditions il n’est pas opportun pour l’Occident de rester prisonnier de ses anciennes illusions et des dogmes inconsistants, inventés par lui-même. S’il le fait, c’est à ses risques et périls.

En même temps, l’image répandue d’une UE en tant que projet moribond est notoirement spéculative. Le rapport, élaboré par un réseau d’institutions de l’ Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE)[27], décrit en détails les différents niveaux de la crise vécue par l’UE. Comme le soulignent les auteurs de ce rapport, cette crise touche tous les domaines de la vie de la société occidentale.

L’UE était beaucoup moins bien préparée que les autres à la crise globale financière et économique et au durcissement de la concurrence sur la scène internationale. Aujourd’hui elle est obligée de s’adapter et de se positionner différemment dans le monde contemporain. Cela se voit parfaitement dans sa «  Stratégie globale pour la politique étrangère et de sécurité de l’Union européenne »[28] récemment approuvée.

Les institutions de l’UE ont elles aussi connu des jours meilleurs. La réserve de confiance et de solidarité, sur laquelle était basée leur activité, s’est avérée indéniablement insuffisante. Le dernier discours annuel de M. Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, sur l’état de l’Union , devant le Parlement européen, l’indique clairement . Il est révélateur que ce soit la Banque Centrale Européenne (BCE), et non des institutions politiques de l’UE, qui fasse sortir du bourbier l’Union Européenne durant les dernières années. Le tandem franco-allemand est émoussé plus précisément, la France n’en fait plus partie.

Le désaccord entre les Etats-membres s’est intensifié. Les contradictions ont pris de l’ampleur et de l’acuité. Le clivage s’approfondit de plus en plus, que ce soit au nord ou au sud, à l’est ou à l’ouest, au centre ou en périphérie. Des groupes d’Etats poursuivant des objectifs divergents se sont formés, comme dans le cas du conflit généré par l’afflux et l’accueil de réfugiés. Le nationalisme dresse la tête. Les tendances autoritaires se réveillent. L’exemple de la Pologne et de la Hongrie le démontre explicitement, comme on le croit au sein-même de l’UE.

L’état de la société dans les pays-membres est loin d’être prospère. Ils ont de plus en plus de mal à faire face à la polarisation politique, au séparatisme, à l’écart entre les couches riches et pauvres de la population, au rôle explosif des inclusions d’une autre culture, «  another-culture » . Les partis politiques classiques ubiquistes dépérissent d’une façon générale. L’instabilité politique, en particulier en Italie, aux Pays Bas, en Belgique, en Espagne et ailleurs, a acquis un caractère permanent. Les forces populistes et radicales partout montent au créneau, elles concurrencent avec succès les partis au pouvoir, y compris en France, aux Pays Bas ou encore en Grèce.

A l’origine de ce phénomène se trouvent le taux de chômage élevé, la croissance économique fortement ralentie, le trop-plein de dommages causés à la population par la crise globale suivie de celle de la dette souveraine, la perte de l’optimisme et de la confiance accordée habituellement par les européens à leurs dirigeants supranationaux.

Il est difficile de ne pas se rallier à cette analyse des experts paneuropéens. Mais en même temps si on demande aux spécialistes d’indiquer l’endroit où les choses sont fondamentalement différentes ou vont nettement mieux, il ne faut pas s’attendre à une réponse intelligible. Les auteurs du rapport (déjà mentionné) de la communauté européenne des leaders, mais plus encore des spécialistes des centres de recherche affiliés à l’UE, écrivent directement qu’il ne faut pas exagérer les déficiences de l’Union, ni celles dont on a parlé, ni de nombreuses autres, comme il est trop tôt d’écarter l’UE en tant qu’un des centres de puissance mondiaux les plus importants.

Bien évidemment, le Brexit a affaibli l’Union et a révélé l’ampleur de ses problèmes. Mais d’autre part il a poussé Bruxelles et Berlin à entamer les réformes du fonctionnement de l’UE. On verra jusqu’où ils vont aller.

Naguère, les Etats de l’UE perdaient dans le jeu de la concurrence et étaient moins compétitifs par rapport aux pays émergents et aux économies à croissance rapide. Actuellement la situation est inversée : ce sont ces derniers, de la Turquie au Venezuela en passant par la Chine, le Brésil et la   République d’Afrique du Sud, qui sont en difficulté. Tandis que les Etats de la communauté européenne, en abaissant le coût des facteurs de production, se sont mis à reconquérir leur propre marché interne et à s’emparer de celui des autres. Durant ces dernières années, leur bilan extérieur est largement excédentaire. Il s’agit non seulement de l’Allemagne et ses super-revenus du commerce extérieur, mais aussi d’autres membres périphériques de la Communauté Européenne.

Dans la plupart des cas les Etats de l’UE ont remis de l’ordre dans leurs budgets et leurs finances et ont commencé à vivre à hauteur de leurs moyens. Ils ont avancé dans le domaine de la création d’une union bancaire et dans l’assainissement de leurs systèmes bancaires, ont entamé le réaménagement du marché commun des capitaux, ont jeté les bases d’un marché numérique commun, ont fait un pas vers une administration supranationale du marché de l’énergie. Après plusieurs tentatives infructueuses, ils ont quand même réussi à stimuler la phase de reprise économique. Si l’on en croit les statistiques, la plupart des géants européens de l’automobile (à l’exception de « Opel »), qui servent habituellement de critère d’évaluation de l’état de l’économie européenne, ont dégagé des bénéfices et affichent de bons résultats, y compris même les constructeurs français « Renault » et « Peugeot-Citroën ».

Tout ceci s’ajoute au fait que l’UE reste le marché international le plus riche, le centre financier le plus gros, le détenteur de brevets le plus important dans le monde et concentre entre ses mains un potentiel économique colossal. La reprise économique au sein de l’UE, tout en étant encore modeste mais néanmoins perceptible, offre une possibilité aux élites politiques, dans un avenir prévisible, de rétablir la paix sociale, freiner les humeurs contestataires et regagner la préférence des électeurs.

A propos, dans le domaine militaire les puissances européennes ne sont pas aussi déficientes que l’on a pris l’habitude de l’évoquer ces dernier temps. Leur « fuite » de l’Afghanistan et l’incapacité à inverser la situation dans un pays où l’Union Soviétique s’est cassé les dents, ont donné de manière générale une impression très négative. Leur absence sur le théâtre des opérations en Iraq et en Syrie est flagrante. Toutes leurs opérations menées récemment en Centrafrique n’ont convaincu personne. Mais on ne peut qu’accepter les arguments de ceux qui affirment que dans la plupart des cas ce ne sont pas « leurs » guerres. En outre, elles voulaient juste faire des économies de dépenses consacrées à la guerre et à la restructuration militaire. La part de ces dépenses dans le PIB des pays européens est d’un ordre de grandeur inférieur à celui de la Russie.

Mais si on compare les budgets militaires en chiffres absolues, il sera évident, que chacun de ces pays – la Grande Bretagne, la France ou l’Allemagne – dépense pour ses forces militaires pas beaucoup moins que Moscou. En ce qui concerne le volume d’exportation des armements, Paris talonne Moscou. Sous la pression des USA, les pays européens, dès cette année, vont dépenser nettement plus, vont réformer leurs forces armées et rééquiper les unités opérationnelles, en tout cas l’Allemagne le fera indéniablement. Berlin, d’ailleurs, a déclaré son intention d’augmenter le financement de la Bundeswehr de 22% d’un seul coup. Si ça continue ainsi, le paysage mondial va bientôt profondément changer, et pas en mieux.

Comme on peut le constater, le désir de mesurer de manière fiable le réel potentiel de chaque figure de l’échiquier européen, eurasiatique et mondial, se fraie un chemin. Cependant, l’establishment politique, en Russie aussi bien qu’en Europe, désavoue vigoureusement de telles appréciations. La nouvelle stratégie globale de l’UE pour la politique étrangère ne prend quasiment pas la Russie en considération, en tout cas dans la partie positive de ce programme. La nouvelle stratégie russe en politique étrangère, contrairement aux temps anciens, n’accorde à l’UE qu’un rôle clairement marginal. Cette stratégie est effectivement en corrélation avec les conclusions dépréciatrices, relatives à la crise et à l’affaiblissement de l’UE, contenues dans le rapport du SVOP ( Conseil de la politique extérieure et de défense de Russie) et du Club de discussion « Valdaï ».

Il s’en suit que le fardeau de la détérioration des relations entre la Russie et l’UE est encore plus alourdi par une évaluation réciproque manifestement faussée, alors que cette détérioration augmente déjà les risques internationaux et l’incertitude. Cette situation ne suscite guère l’optimisme, car elle comporte un risque d’encourager la répétition des erreurs du passé et des actes inconsidérés qu’on voudrait bien éviter.

 

Sclérose des institutions de coopération et de collaboration bilatérale

En optant pour la dégradation des relations avec la Russie, Bruxelles a commencé par geler le fonctionnement des institutions de partenariat et s’est hasardé à rompre les liens politiques. Officiellement on considère que ces institutions ne sont plus soutenues. Les rencontres au sommet sont annulées. Les rencontres interministérielles n’ont plus lieu. Les dialogues – politiques, sectoriels, spécialisés – sont rompus.

Cependant, après un examen plus poussé il s’avère que cette isolation réciproque a un caractère plutôt sélectif. La chancelière allemande Angela Merkel se rend régulièrement en visite en Russie. Les leaders politiques de Russie, d’Allemagne et de France, en se rencontrant au Format Normandie*, ont la possibilité de débattre non seulement du sujet ukrainien, mais de beaucoup d’autres. De nombreux chefs d’Etat et de gouvernement sont les bienvenus à Saint-Pétersbourg, à Moscou et à Sotchi. Vladimir Poutine est bien accueilli lui aussi dans de nombreuses capitales européennes. Le Président de la Commission Européenne Jean-Claude Juncker s’est rendu à Saint-Pétersbourg l’année dernière.

[*note du traducteur : Le Format Normandie est la configuration diplomatique adoptée pendant la Guerre du Donbass, et rassemblant l'Allemagne, la Russie, l' Ukraine et la France. Ce fameux « format Normandie » est devenu le nom de code pour désigner ce type de réunion quadripartite entre Berlin, Moscou, Kiev et Paris.]

Quand les deux parties sont intéressées, les rencontres interministérielles ont lieu en toute quiétude, entre autres dans le domaine de l’énergie. Les contacts et les liens entre les ministres du commerce n’ont jamais été rompus et permettent de résoudre, ou au moins d’examiner, en mode normal les affaires en cours. Les contacts dans d’autres domaines subsistent, même si leur intensité a significativement baissé. Des plateformes internationales de toutes origines offrent des opportunités d’organiser des consultations. Ces plateformes, aussi bien fonctionnelles que territoriales, sont très multiples. La Mission permanente de la Fédération de Russie à Bruxelles, comme celle de l’UE à Moscou, sont toujours actives.

De ce fait, le système de gestion d’une coopération et d’une collaboration bilatérales, d’un côté, est détruit ; de l’autre côté, le travail continue en dehors de ce système. L’intensité des contacts est en rapport direct avec le caractère des relations bilatérales gelées à un niveau extrêmement bas. C’est l’origine du sentiment de perplexité au sein de la communauté des experts, ainsi que des avis diamétralement opposés au sujet de la pertinence de la restauration des institutions qui sont appelées à gérer le partenariat manqué.

Tous sont unanimes sur un point : on a subi un fiasco, on n’a pas été capable d’empêcher la dégradation des relations, de modérer les tendances négatives. Ensuite les avis divergent. En paroles, les membres de l’UE étaient toujours sceptiques par rapport à l’institutionnalisation des relations avec la Russie, en proclamant que l’essentiel ce ne sont pas les institutions, mais l’aptitude à avancer, à prendre des décisions réciproquement acceptables et avantageuses et d’arriver à les mettre en œuvre. Toutefois le système de dialogues, conçu par l’UE et la Russie conjointement, n’a pas son pareil quant à sa hiérarchisation et à sa diversité structurelle.

Moscou, au contraire, soutenait toujours que le système des institutions pour la gestion des relations doit répondre à la progression de ces relations. En contournant l’Accord de partenariat et de coopération (ACP) de 1994, où tout est inscrit et prescrit, la Russie a réussi à réaménager le système en question par le biais de décisions politiques prises lors des sommets Russie-UE. Les espaces communs (dans le domaine de l’économie, de la sécurité externe et interne, de la culture, et de la science et éducation), ainsi que le Programme du partenariat pour le progrès, ont été conçus sur une base institutionnelle multidimensionnelle. Mais elle n’a pas résisté à l’épreuve du temps.

Il est vrai que les rapports et les notes analytiques du Conseil russe des affaires internationales au sujet des questions institutionnelles, et plus particulièrement le rapport commun élaboré avec le Conseil allemand des relations internationales, indiquent à juste titre qu’on ne peut pas imputer la faute aux institutions, elles ne sont que des outils entre les mains des Etats et des gouvernements. La responsabilité de la détérioration des relations bilatérales incombe aux hommes politiques[30]. Mais ce constat n’enseigne pas la façon de les concevoir dans l’avenir.

Un point de vue mérite une attention particulière, selon lequel les institutions de gestion ont échoué, n’ont pas été à la hauteur de la tâche ni des attentes non pas parce qu’elles sont inutiles, mais parce qu’elles n’avaient pas de pouvoirs suffisants. Ce point de vue nous semble plus convaincant. On ne leur a pas donné de mandat approprié, on les a sciemment privées de ressources nécessaires pour favoriser les processus d’intégration dans les relations entre la Russie et l’UE. En fait, ces institutions n’étaient pas « pointées » sur une prise de décisions communes obligatoires et astreignantes, ni intégrées dans le mécanisme législatif des deux parties, et donc restaient factices pour une grande partie[31].

En conséquence, quand les relations entre la Russie et l’UE vont se réorganiser, ce qui est inévitable, il sera important de ne pas désavouer l’expérience du passé, même si son appréciation est ambivalente, de ne pas renoncer aux sommets réguliers, aux rencontres interministérielles et intergouvernementales, aux dialogues divers etc. Mais il faudra les concevoir tout à fait différemment, comme le précise la note du Conseil russe des affaires internationales consacrée à ce sujet.

Notamment, lors des rencontres au sommet il faudrait débattre d’une stratégie à long terme et non des aspects qu’il faut traiter à des niveaux inférieurs. Le Comité de coopération interparlementaire cesserait d’être un lieu de palabres futiles et se chargerait uniquement de l’établissement de contacts entre les comités sectoriels et comités fonctionnels des deux chambres de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie et du Parlement Européen, tandis que les Comités de compétences voisines se consacreraient à une tâche pratique : la conception d’une législation type, ou carrément d’une législation bilatérale applicable directement. Les dialogues auraient pour but d’élaborer des décisions communes, et ces décisions seraient réellement prises et suivies d’exécution. Et tout ceci en conformité avec les exigences d’égalité, de respect à l’égard des intérêts, des traditions et de la spécificité de chacun, dans l’esprit d’inclusivité et de partenariat.

Il ne faut pas laisser sombrer dans l’oubli les solutions prometteuses déjà trouvées dans le cadre du programme « Dimension septentrionale », de la collaboration transfrontalière, la coopération dans le domaine des sciences et de l’éducation. La Russie et l’UE ont une grande expérience aussi bien positive que négative. La décision de construire un avenir sur base de ce qui a prouvé son efficacité en évitant en même temps les tentations et les erreurs, malheureusement trop nombreuses, du passé, cette décision-là s’apparente au jugement de Salomon.

 

Complexité du choix d’un modèle optimal de relations entre la Russie et l’UE

La difficulté principale réside, selon l’avis de la majeure partie de la communauté d’experts, dans le fait qu’en Russie comme en Europe il existe des forces très influentes intéressées par le maintien des tensions et la poursuite de la confrontation. Quand on en parle en Russie, le plus souvent on pointe du doigt les dirigeants de la Grande Bretagne, de la Pologne et des pays baltes, bien qu’il soit évident que ce ne sont pas eux qui jouent le rôle principal au sein de l’UE. Quand on analyse la situation en Russie, habituellement on cite en exemple les militaires qui se sont enfin débarrassés de l’obligation de se conformer aux anciens engagements internationaux, très nombreux. Dans le même contexte on mentionne les groupes de lobbyistes alimentaires et certains autres, qui réclament instamment une prolongation des contre-sanctions.

Ils en ont besoin en tant que substitution des mesures protectionnistes pour au moins quelques années, afin d’éviter une perte d’énormes investissements qui, en Russie, pour l’instant coulent à flot dans le domaine de l’agriculture et de la transformation des produits agricoles, ainsi que dans le domaine de la compensation des importations.

Une autre difficulté c’est l’absence en Europe de forces quelque peu structurées qui se prononceraient pour la levée des sanctions réciproques et la normalisation des relations entre la Russie et l’UE. Au niveau national, nombreux sont ceux qui comprennent l’effet néfaste et la contre-productivité de la politique actuelle à l’égard de la Russie ; ils sont présents à tous les échelons et dans tous les milieux. Mais ils ont peur de défendre leur opinion (pour en connaître la raison, référez-vous à ce qui précède), en craignant des répercussions. Ils n’arrivent pas à trouver un appui efficace, comme un mouvement social, par exemple. Des hommes d’affaire influents, des membres des forces de sécurité de différents pays de l’UE nous en ont parlé au moment où nous représentions les intérêts de la Russie au cœur même de l’Europe, en dirigeant l’Ambassade de Russie au Luxembourg. Il s’en suit qu’il n’y a que l’opposition qui en a le courage, comme en Allemagne ou en France, ou des marginaux.

Les troisième, quatrième et cinquième causes sont liées à une forte inertie du système politique et de la société des pays-membres de l’UE. Beaucoup conviennent que l’état actuel des relations bilatérales est inacceptable, que c’est un non-sens, une aberration, une ineptie parfaite. Mais il est difficile de faire faire un demi-tour au navire de la politique européenne, comme il l’est à un superpétrolier de grand tonnage. Pris séparément, les leaders de nombreux Etats-membres de l’UE auraient été contents que ces relations redeviennent plus calmes et constructives. Mais quand ils se retrouvent, ils prennent conscience de leur vulnérabilité et portent la main à la visière dès qu’on leur rappelle la solidarité intra-européenne. On a vraiment envie d’y rajouter « comprise à contre-sens ».

La culture politique propre à l’Europe empêche aussi ce demi-tour. Personne n’accepte d’avouer ses fautes. Cela peut mettre en péril les intérêts servis par tel ou tel homme politique, exposer à un danger le parti qu’il dirige ou compromettre sa carrière. Entre une reconnaissance des erreurs commises et une défaite électorale ou une démission, il n’y a qu’un pas à faire.

Il n’y a que les démissionnaires qui osent le faire, comme c’est le cas de l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair. Des années plus tard il a avoué que le prétexte pour intervenir en Iraq et poursuivre Saddam Hussein était fabriqué de toute pièce. Faire porter la responsabilité de tous les échecs du passé par les prédécesseurs, c’est l’affaire de ceux qui supplantent les anciens hommes politiques pour les relayer au pouvoir.

C’est pour cette raison que de si grandes attentes étaient liées au changement d’équipe à la Maison Blanche et à l’arrivée au poste suprême du pays de Donald Trump, cet homme politique d’une vague fondamentalement nouvelle. Actuellement, toute l’attention est centrée sur les élections aux Pays Bas, en France et en Allemagne, ainsi que sur d’éventuelles élections anticipées en Italie et en Espagne. Leurs résultats peuvent changer le paysage politique en Europe, comme ils peuvent ne pas le faire.

Nous avons déjà parlé des limitations imposées aux hommes politiques par l’opinion publique, par les médias, par les clichés. En réalité, quelle que soit leur attitude à l’égard de ces limitations, ils n’ont pas beaucoup de latitude pour manœuvrer. Il ne reste plus en Europe d’hommes politiques de grande envergure, capables de faire la forte tête aux règles du jeu préétablies et de les changer à leur convenance.

Un autre ancien Premier ministre de Grande Bretagne David Cameron a tenté de jouer une partie d’échecs en plusieurs coups pour reformater la place que son pays occupait au sein de l’UE, mais a échoué lamentablement. Ce temps est révolu, l’époque où les dirigeants de France et d’Allemagne Jacques Chirac et Gerhard Schröder, coude à coude avec la Russie, se rebellaient contre l’invasion américaine en Iraq et contre son occupation. Il y a longtemps que ces deux leaders ont été évincés de la « grande politique », ainsi que Silvio Berlusconi qui les avait rejoints, et le sang continue à couler en Iraq.

Voici ce qu’on peut qualifier de sixième cause de cette liste qui en réalité est beaucoup plus longue : personne dans l’establishment de l’UE ne sait ni ne comprend tout simplement comment faire sortir de l’impasse, où les anciens leaders européens les ont amenées,  les relations entre la Russie et l’Union; personne ne sait de quelle façon on peut reconstruire ces relations ni sur quelle base. La communauté des experts quant à elle est en pleine dissension à ce sujet.

Tous sont d’accord sur un seul point seulement : plus rien ne sera jamais comme avant. Quoique cette maxime soit entendue par les experts russes et occidentaux de façon absolument différente.

Des chercheurs des USA et de l’UE, dans le sillage des hommes politiques de leurs pays, prétendent qu’avant, tous (sic) étaient bien disposés envers la Russie. On a consenti à un partenariat avec elle, un partenariat stratégique ; à une collaboration dans tous les domaines. On a créé un système développé de coopération, on l’a aidée comme on pouvait. En espérant que le choix démocratique de la Russie serait confirmé par des réalisations pratiques. Mais Moscou a trompé leurs attentes, a payé avec la plus noire ingratitude, a contrevenu gravement aux principes et normes fondamentaux du droit international, a dérogé à ses obligations les plus sacrées. Il fallait donc la punir, le pardon était inacceptable. En conséquence, on ne pouvait plus accepter une attitude du style « business as usual ».

Des chercheurs russes dessinent un tableau tout à fait différent. A leur avis, la Russie et le peuple russe ont consenti des sacrifices et des concessions colossaux afin d’être ensemble, de construire ensemble une nouvelle vie, d’avancer ensemble vers un avenir plus pacifique et sécurisé de fraternité universelle (au moins pour la Russie et l’UE) et de prospérité ; mais ils ont été lâchement abusés. Les USA et l’UE ont profité de la faiblesse momentanée de la Russie et de son attachement aux idéaux de coopération et ont misé sur le renforcement global, l’élargissement et l’expansion territoriale de l’OTAN, ce vestige de la guerre froide, et de l’UE, l’héritier de la même guerre, et tout ceci au détriment des besoins vitaux de la Russie.

Les USA et l’UE ont lancé tous azimuts une politique narguant les intérêts fondamentaux russes. Voilà pourquoi Moscou ne permettra pas le retour de l’ancienne configuration des relations.

Tout le monde convient aussi, mais dans une moindre mesure, qu’à la sortie de la guerre froide la Russie s’est retrouvée, d’une manière générale, hors des institutions du partenariat européen et euro-atlantique. L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et le Conseil de l’Europe, auxquels elle participait sur un pied d’égalité, ont été repoussés à la périphérie de la structure européenne. Moscou se sentait mal à l’aise dans cette situation. Tout ceci en fin de compte a provoqué une succession de crise dans les relations bilatérales et puis un conflit ouvert. Cependant de ce constat que nul ne conteste sont tirés des enseignements tout à fait opposés.

Des analystes occidentaux, en jouant les innocents, continuent à affirmer que la Russie se comporte comme un acteur hors système, qu’elle fait s’ébranler les fondements de l’ordre européen et mondial instauré, s’y met d’elle-même en opposition. La Russie devrait se raviser et se résigner, et alors tout rentrerait dans l’ordre et redeviendrait normal. Peut-être.

Des experts russes sont persuadés qu’un système de domination unilatérale occidentale dans les relations internationales, décrit par leurs partenaires de l’Ouest, n’a jamais existé. Les USA et l’UE ont essayé, au grand dam de tous, de le créer, mais ce système a été rejeté par la communauté mondiale. En tant qu’héritiers de la guerre froide, l’OTAN et l’UE devaient être reconstruits, ou leur construction complétée (ce qui ne signifie pas la même chose, mais quand même) par des institutions de coopération d’une autre nature afin de garantir à tout le monde une sécurité égale, comme le stipulent les documents de l ‘OSCE ; afin que toutes les relations soient construites sur base d’une participation équitable dans la réalisation des objectifs communs et d’un respect mutuel; afin que tout le monde puisse tirer de la coopération et de la collaboration un profit notable et jouir des fruits du développement dans des proportions comparables.

L’initiative de Dmitri Medvedev, Président de la Fédération Russe à l’époque, visait à atteindre ces objectifs, en touts points raisonnables et moralement irréprochables, par le biais d’un Traité pour la sécurité européenne. Cette initiative n’a jamais été débattue sérieusement par les partenaires occidentaux et peu de temps après a été mise sur la touche et enterrée. Le projet géopolitique actuel de Vladimir Poutine de mettre en place un Grand Partenariat Eurasiatique Global (VseBEAP) poursuit des objectifs similaires, à une différence près : on n’a plus besoin de l’approbation des partenaires occidentaux pour le réaliser.

C’est un projet de plus grande envergure et plus ambitieux, visant plutôt à isoler et à faire intégrer les institutions occidentales d’après-guerre froide dans une coopération inclusive plus large.

Toutefois, les experts occidentaux et la plupart des experts russes, tout en se basant sur des approches diamétralement opposées, arrivent à peu près à une conclusion identique: le chemin vers la normalisation des relations bilatérales passera par le règlement des conflits locaux et régionaux – en Ukraine et en Syrie. Mais, encore une fois, leurs avis sur la façon de régler ces conflits divergent radicalement.

Les directives de l’UE (ou plutôt leur interprétation officielle) stipulent clairement que les relations avec Moscou ne peuvent être dégelées qu’après la mise en œuvre des accords de Minsk-II. Les formulations relatives à la Syrie sont plus allusives.

Les experts occidentaux sont d’habitude moins évasifs et directs: ils ne sont pas concernés. Ils expliquent que Moscou doit retirer ses troupes qui soi-disant se trouveraient au Donbass, cesser de soutenir les séparatistes et éloigner ses forces armées de la frontière. La Russie doit se désolidariser du président légitime syrien Bachar al-Assad, retirer la faction de ses forces de défense aérospatiale ou la placer sous le commandement des forces internationales en Iraq et en Syrie (qui court-circuitent le Conseil de sécurité de l’ONU) conduites par les USA.

Quand on pose à nos collègues la question sur ce que doivent faire au juste l’OTAN et l’UE, ils haussent les épaules et restent muets. On n’arrive absolument pas à nouer un dialogue sur ce sujet clé qui détermine les paramètres de règlement des conflits dans les deux cas, ainsi que la stabilité et les conséquences qui s’en suivront.

Les experts russes, ceux qui sont spécialisés dans les domaines du règlement des conflits locaux et régionaux comme ceux qui sont inspirés par des considérations plus générales, partent de l’hypothèse que les conditions indispensables à l’instauration de la paix au Sud-Est de l’Ukraine et la chronologie des actions sont clairement définies dans les accords de Minsk-II. Le chemin direct vers l’établissement d’une paix solide et durable passe par l’application de ces accords. L’Allemagne et la France, au nom de l’UE (et, dans une certaine mesure, de l’OTAN) se sont portés garants de la mise en œuvre des accords de Minsk-II. Les mesures prévues par ces accords sont consacrées par une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU. Alors il faut agir en conséquence, et ne pas couvrir les autorités kiéviennes actuelles ni faire porter toute la responsabilité par Moscou.

En ce qui concerne l’Iraq et la Syrie, il faut combattre conjointement l’ennemi commun, à savoir le terrorisme international, et non Bachar al-Assad ; il faut offrir une opportunité au gouvernement légitime et à l’opposition modérée de définir l’avenir du pays de manière indépendante, sans diktat extérieur, sans imposer des intérêts qui lui sont étrangers. Toutes les conditions préalables sont créées par la Russie et les acteurs régionaux les plus influents qui sont en collaboration avec elle.

Très peu d’experts russes (et presque personne en occident) proposent une solution tout à fait opposée: « mettre les bœufs devant la charrue », c’est-à-dire s’entendre d’abord globalement sur l’ordre européen. La pierre d’achoppement se trouve exactement à ce point. La Russie et l’Occident se sont englués dans un corps-à-corps précisément à ce sujet, et n’arrivent pas à en sortir. Le reste, à savoir le conflit ukrainien, la stagnation des accords de Minsk-II, l’absence d’entente sur la chronologie des actions en Syrie etc., n’est qu’une conséquence de cet état de choses. Si on arrive à entamer le dialogue relatif à l’établissement d’un ordre européen et à s’entendre sur des compromis réciproques, tous les autres problèmes seront éliminés, en tout cas on pourra les résoudre avec infiniment plus de facilité. Hélas, ni Bruxelles ni Washington ne sont prêts à ce dialogue. Pour paraphraser les propos d’André Kortounov, directeur exécutif du Conseil russe des affaires internationales, ils s’accrochent à l’ancien au lieu de créer du neuf[32]. En l’absence de leur approbation, on n’arrive pas à débattre de cette question cruciale, même au niveau des experts.

 

Discussion autour des scénarios d’évolution des relations entre la Russie et l’UE

Paradoxalement, ces scénarios ne sont pas si nombreux. Le scénario de la Maison commune, de l’Union des unions, de l’intégration des intégrations et de la Grande Europe est mort et enterré définitivement, en tout cas à court et même à moyen terme, par les analystes occidentaux, puisque le caractère des relations entre la Russie et l’UE, la Russie et l’OTAN n’y est pas du tout favorable, et Bruxelles est allé trop loin en brûlant tous les ponts. En plus, l’Occident collectif a cessé de considérer la Russie en tant que partenaire. Alors pourquoi et avec qui peut-on construire une Grande Europe, s’il on n’a plus de partenaire? C’est beaucoup plus commode de construire une Europe élargie. Il faudra pour cela entrer en conflit avec Moscou, mais c’est une autre paire de manches.

Il faudra entrer en conflit avec les étatistes, les potchvenniks*, les patriotes et l’extrême droite, puisqu’ils assimilent la Grande Europe (sans faire de distinction, bien évidemment) au « libéralisme pourri », aux concessions unilatérales à l’Occident, aux idées qui ont dissimulé une offensive de l’Occident dans son ensemble contre les intérêts russes.

*potchvenniks [note du traducteur]: adeptes d’une idéologie russe qui rejette complètement le nihilisme, le libéralisme et le marxisme ; le nom de l’idéologie fait référence à la terre, sa racine « potchva » signifiant sol, terrain, en russe

Il faudra entrer en conflit avec un groupe d’avant-garde de la communauté russe des experts, puisqu’ils considèrent que, dans les conditions actuelles, le concept de la Grande Europe est discrédité et travaillent sur un projet qui a plus de perspectives et d’envergure : celui du Grand Partenariat Eurasiatique Global. Le grand avantage de ce projet est, d’un côté, d’inclure le potentiel colossal de la Chine en l’orientant vers un but positif, vers un objectif gagnant, vers des relations pacifiques, normales, humaines ; d’un autre côté – de transformer en son sous-système les éléments rationnels du projet de la Grande Europe.

Les scénarios débattus le plus souvent sont les suivants : gel des relations en l’état actuel ; leur aménagement afin d’éviter une aggravation et des escalades accidentelles ; coexistence de la Russie et de l’UE ; partenariat sélectif ; conjugaison de coopération et de concurrence ; travail sur le rétablissement des relations sur une autre base — progressive et novatrice.

La logique de ceux qui se prononcent pour le gel des relations dans leur état actuel est assez simple : ils considèrent que cet état des relations est normal aussi bien pour « maintenant » qu’à court terme. Leur préservation, sous la forme qu’elles ont acquise, exclut la possibilité de concessions indésirables, permet de ne pas accepter de compromis. En même temps, elle offre un répit qui rend possible une mise au point au sujet de la situation actuelle et laisse ressortir des tendances objectives dans l’évolution de l’OTAN et de l’UE, de la société en Europe et dans le monde entier. Quand ces tendances auront mûri, on pourra entreprendre quelque chose. D’une façon nette et précise, avec l’espoir de réussite[33].

La victoire de Donald Trump aux élections présidentielles et ses déclarations initiales au profit de l’établissement de relations plus réfléchies avec la Russie apportent de l’eau au moulin des partisans du gel de ces relations. On aimerait croire que son arrivée à la Maison Blanche est un reflet des tendances objectives. Cependant on peut relever toute une série de « mais ». Primo : aux Etats Unis existe un consensus entre les partis au sujet de la politique américaine à l’égard de la Russie[34]. Ce consensus laissera le 45 ième Président des USA pieds et poings liés[35].

Deusio : comme le dit un proverbe russe, « ne comptez pas vos poussins avant qu’ils ne soient éclos ». Le Ministère des affaires étrangères et les dirigeants russes ont pris une position tout à fait justifiée et réaliste en déclarant qu’ils vont évaluer la politique américaine sur base des actions réelles et non sur des paroles.

Tertio : le gel des relations n’ôte pas de l’ordre du jour tous les problèmes que nous avons mentionnés au début du présent article. Ce gel ne rend pas la Russie plus forte, il l’affaiblit indéniablement. Ce gel est un cadeau pour ceux qui profitent de la confrontation à long terme; il joue en faveur des ennemis que la Russie, la Chine, les USA, l’UE et beaucoup d’autres pays ont en commun — le terrorisme international, la criminalité organisée, les barons de la drogue, les « parrains » de la migration illégale et ainsi de suite. Ce gel rend plus difficile la résolution des problèmes globaux. Il ne faut pas négliger tout ceci non plus.

Cependant il y a beaucoup de pertinence dans les observations de Natalia Evtikhevitch, relatives aux conclusions de la réunion du réseau européen des experts à Moscou les 2 et 3 février 2017[36] ; elle écrit que lors de cette réunion on n’entendait essentiellement que les voix de ceux qui seraient disposés à accepter l’état actuel des relations entre la Russie et l’UE en tant que «nouvelle normalité».

Les adeptes du principe de l’aménagement de l’état de confrontation entre la Russie et l’UE, la Russie et les USA, la Russie et l’OTAN, sont un peu plus cohérents[37]. Ils considèrent que la situation peut basculer d’un côté ou de l’autre. Si elle basculait du bon côté, ce serait excellent. Mais si c’est du mauvais, alors sauve qui peut! Par conséquent, un programme d’action est plus que nécessaire aujourd’hui, un programme qui prévoit des barrières politiques, institutionnelles et procédurales sur le chemin d’une aggravation indésirable des relations, qu’elle soit fortuite ou délibérée.

Ce programme pourrait comprendre des mesures de renforcement du contrôle de la prolifération des armes de destruction massive (ADM) et de la technologie des missiles, des mesures de confiance et un mécanisme d’alerte précoce ; des mesures d’établissement de liens directs entre les centres militaires et civils de prise de décisions et beaucoup d’autres mesures allant dans le même sens.

Un rétablissement des relations dans le domaine militaire, une levée des sanctions infligées aux services secrets, le développement de réseaux fiables d’échange des informations secrètes et de renseignements, une amélioration de la coordination lors de la préparation et la conduite des opérations ciblées sur tout théâtre de guerre, en particulier en Syrie, ensuite dans d’autres pays, ne serait-ce qu’en Iraq ou en Libye, — toutes ces mesures en question seraient les bienvenues.

Il est hautement souhaitable que le Conseil Russie-OTAN puisse passer du travail purement imitatif au travail réel d’aménagement d’une infrastructure, qui permettrait de prévenir des incidents et de réduire la probabilité de dégénérescence d’un danger potentiel en menace réelle, dont l’importance a été décrite ci-dessus. Bien évidemment, ce ne sont que quelques-unes des mesures proposées par la communauté des experts.

Le scénario de la cohabitation, promu en particulier dans le rapport du Club international de discussions « Valdaï », a aussi ses points forts. Ce rapport, datant du 12 mai 2016[38], porte un titre évocateur: « La Russie et l’Union Européenne: trois questions sur les nouveaux principes qui régissent leurs relations ». Présenté non seulement à Moscou, mais aussi à Berlin et dans d’autres capitales[39], il a lui aussi ses points forts : il prévoit qu’une partie ne va pas s’ingérer dans les affaires de l’autre, que les deux parties ne vont pas se faire des coups fourrés ou s’entre-nuire outre mesure, qu’elles vont faire preuve de retenue et vont renoncer à la confrontation. On pourrait l’approuver à deux mains!

La faiblesse de ce scénario, c’est qu’il a des relents de l’Unions Soviétique…

Quand le monde était divisé en deux camps (avec un camp socialiste derrière l’URSS) et les antagonistes vacillaient au bord d’une destruction mutuelle, la politique de coexistence pacifique, si durement acquise, était progressiste, servait les causes de la prévention contre la descente du monde vers une catastrophe irrémédiable.

Aujourd’hui on voudrait éviter de s’approcher de trop près du précipice. Le camp socialiste autour de la Russie n’existe plus. Même les Etats tournés vers elle préfèrent suivre la stratégie de l’équidistance. Nous vivons tous dans le monde de l’économie mondiale globale. Le monde politique est devenu uni. La Russie ne doit pas quitter l’Europe. La Russie était un pays européen et continue à l’être, tout en restant en même temps une puissance de l’Europe et du Pacifique.

Le scénario de coopération et de concurrence a, lui aussi, un double fond. Pour la première fois ce scénario a été rendu public par le secrétaire général du Ministère des affaires étrangères d’Allemagne lors d’une réunion du réseau européen des experts à Berlin, puis il a été repris dans les documents officiels. A première vue, il a l’air assez neutre, même attirant, puisqu’il mentionne la coopération. Mais pour en faire une évaluation réaliste, il faut tenir compte de l’altitude d’où démarre la descente de la « ostpolitik » allemande et de l’importance des conséquences pratiques de cette descente.

Sous cet angle, ce scénario est comparable à la dégradation de la notation du pays de AAA à un niveau « junk » ou « near junk » (niveau poubelle). Berlin a démontré d’une façon explicite ce que signifie son interprétation de la notion de concurrence, en réglant impitoyablement le compte de ses antagonistes perpétuels – Chypre, la Grèce et la Serbie. En quoi consiste le double fond, c’est-à-dire l’équilibre entre les domaines de coopération et les domaines de concurrence, personne ne le sait. Il n’y a que ceux qui déterminent cet équilibre qui le savent. Et de un. Quelle que soit la coopération, la concurrence lui portera ombrage de toute façon. C’est elle qui dominera tout, l’expérience de la « concurrence » en Syrie le prouve bien. Et de deux ! Un vieux dicton « langue de miel, cœur de fiel » décrit explicitement ce scénario.

La doctrine officielle de l’UE sur le partenariat sélectif, issue de la plume du groupe conduit par Federica Mogherini, Haute Représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité[40], évoque fortement le scénario allemand. Le fait d’être sélectif, c’est-à-dire partiel, incomplet, déficient, étriqué, lacunaire, n’est pas essentiel ; ce qui est primordial, c’est que Bruxelles se réserve le mot de la fin. L’échange de vues est évidemment prévu. L’UE a rendu publiques ses suggestions et a reçu les propositions russes. Mais tout ceci ne prévoit pas de coopération dans la définition des domaines de coopération… Et ne répond aucunement à la question comment l’UE envisage-t-elle d’agir dans les domaines qui sont restés en suspens, y compris les domaines considérés par la Russie comme essentiels pour elle-même, et pour l’UE — en tant que lignes rouges à ne pas franchir. D’un point de vue impartial, la politique mondiale ne se fait pas de cette façon, surtout au XXI siècle, pas d’avantage entre les puissances nucléaires siégeant au Conseil de sécurité de l’ONU. Dans ce monde, où tout est interdépendant, on peut trouver des compromis cohérents et faire des concessions en échange des concessions de son partenaire uniquement si on joue sur tous les tableaux en même temps.

Cette analyse succincte démontre que le seul scénario cohérent et acceptable consiste à viser le rétablissement, sur des bases entièrement renouvelées, des relations entre la Russie et l’UE. Les caractéristiques de cette base ont été réitérées mille fois par la diplomatie russe et les dirigeants du pays: elle doit prévoir une sécurité égale, une inclusivité, une égalité souveraine et une collaboration créative dans la gouvernance des énormes territoires de l’Europe et/ou de la Grande Eurasie. La coopération, la concurrence et la confrontation doivent contribuer à la réalisation de ses objectifs. On souhaiterait que la communauté des experts fasse preuve d’ingéniosité en trouvant les moyens d’atteindre ces objectifs.

Tous les autres scénarios, même les plus agréables à l’oreille aujourd’hui, dans l’environnement international actuel très délicat, ne font que dérégler le viseur et créer une illusion stérile faisant croire qu’avec les sanctions réciproques et l’affrontement sur toute la ligne nous pourrions vivre normalement et collaborer d’une façon réciproquement profitable. Ce n’est pas vrai.

© Mark ENTINE,
professeur de l’Institut d’Etat des relations internationales de Moscou (MGIMO)
auprès du ministère des Affaires étrangères de la Fédération de Russie,
professeur-chercheur de l’Université fédérale balte Emmanuel Kant

Ekaterina ENTINA,
Maître de conférences de l’Université nationale de recherche
«Ecole des hautes études en sciences économiques» (Russie)

[1] http://russiancouncil.ru

[2] http://svop.ru

[3] http://ru.valdaiclub.com

[4] https://www.bertelsmann-stiftung.de/de/startseite/

[5] http://www.fesmos.ru/what-is-fes-copy/

[6] http://www.kas.de/ru-moskau/ru/

[7] Tout d’abord les centres affiliés à l’UE, comme Le   Conseil européen des relations internationales http://www.ecfr.eu/ ou le Centre pour les études politiques européennes (CEPS) https://www.ceps.eu/ et beaucoup d’autres

[8] la parution de sa version publique prévue avant l’Assemblée annuelle du SVOP les 8 et 9 avril 2017

[9] Comme, par exemple, lors de la visite à Moscou les 28 février et 1er mars de Thomas Mayer-Harting, directeur du Département de l’Europe et de l’Asie centrale du Service européen pour l’action extérieure – http://www.eurocollege.ru/%D0%B0nons-lektsiya-tomasa-mayer-chartinga

[10] Ce qu’a laissé entendre le président du Conseil russe des affaires internationales Igor Ivanov lors de la rencontre trilatérale des experts de la Russie, de l’UE et des USA, qui a eu lieu à Moscou début février 2017, en disant que cette année le paysage politique en Europe pourrait beaucoup changer – Le texte de l’allocution d’Igor Ivanov  : http://russiancouncil.ru/inner/?id_4=8647#top-content

[11] Stefan Wagstyl « L’Allemagne est-elle la cible suivante de la Russie ? », https://inosmi.ru/politic/20170131/238629989.html ; «Merkel est la prochaine cible de hackers russes», ru.insider.pro, 31.01.2017 https://ru.insider.pro/opinion/2017-01-31/germanii-prigotovitsya-ocherednye-vybory-pod-pricelom-rossijskih-hakerov

[12] Comme le disait le colonel Skalozoub, personnage de la comédie « Le Malheur d’avoir trop d’esprit » de Griboïedov, « il vous mettra rapidement en rangs d’oignons , et si vous rouspétez, il vous matera illico »

[13] Les programmes de coop é ration UE – Russie , Délégation de l’Union Européenne en Russie, le 10.05.2016, https://eeas.europa.eu/delegations/russia/6251/programmy-sotrudnichestva-es-rossiya_ru

[14] Vous trouverez le compte-rendu de cette rencontre sur le site du Conseil russe des affaires internationales – « En 2017 les experts de l’UE et de la Russie continuent de débattre des affaires internationales », russiancouncil.ru, les 2 et 3 février 2017, http://russiancouncil.ru/inner/?id_4=8647#top-content

[15] le 74 ème aphorisme de Kozma Proutkov [https://fr.wikipedia.org/wiki/Kozma_Proutkov] extrait du recueil des pensées et des aphorismes «Fruits de la réflexion» (1854 г.).

[16] Le darwinisme social était florissant à l’époque de l’Allemagne hitlérienne

[17] D’après Igor Soubbotine, «Tout sujet en rapport avec la Russie   oblige Trump à recourir aux métaphores. Devant le Congrès, le Président des USA a mis principalement l’accent sur la politique extérieure »,   Quotidien russe «  Nézavissimaïa gazéta  », [ https://fr.wikipedia.org/wiki/Nezavissima%C3%AFa_Gazeta ], le 2 mars 2017, p. 7.

[18] La démocratie recule. Les experts de Bertelsmann Stiftung constatent : les régimes démocratiques faiblissent, les régimes autocratiques recourent à des méthodes de plus en plus dures  — informations fournies par Der Spiegel, Profile , le 10.03.2016 , http://www.profile.ru/politika/item/104713-demokratiya-otstupaet

[19] à cet égard, Moscou ne satisfait pas aux critères définis par le   Traité de Lisbonne

[20] Stratégie pour la Russie. Politique étrangère russe: fin des années 2010 — début des années 2020 , http://svop.ru/wp-content/uploads/2016/05/%D1%82%D0%B5%D0%B7%D0%B8%D1%81%D1%8B_23%D0%BC%D0%B0%D1%8F_sm.pdf

[21] La dernière thèse, illustrée par l’exemple de la conception du monde unipolaire et de son passage vers un monde multipolaire, est explicitement développée dans les publications suivantes : Mark Entin, Ekaterina Entina, “Russia and China protecting the contemporary world order”, Rivista di Studi Politici Internazionali, Vol. 83, No. 4, ottobre-dicembre 2016, p. 331-352; Mark L. Entin, “Cornestones of the Post-World War II and the Contemporary International Law: the View from Moscow and Beijing ”

[22] Dans la littérature russe, cette abréviation a été introduite pour la première fois dans — Grand partenariat Eurasiatique global : déni de la réalité ou retour à la réalité?, Marc Entine, Ekaterina Entina, mensuel « All Europe » (« Toute l’Europe ») № 11(115), 2016, http://alleuropa.ru/ ; Marc Entine, Ekaterina Entina , «  Divinité des   rêves   prophétiques, ou comment transformer la vision d’une Grande Eurasie en projet géopolitique concret » «  All Europe » (« Toute l’Europe ») №1 (117), http://alleuropa.ru/

[23] http://karaganov.ru

[24] En particulier, dans le 5 ème rapport du Club de discussion « Valdaï » au sujet du retournement de la Russie vers l’Est et son passage au travail concret de l’édification du Grand partenariat Eurasiatique global

[25] Puisqu’ils possèdent la compétence et l’expérience nécessaires .

[26] Le rapport du Réseau du leadership européen ( European Leadership network , ELN) sur l’état actuel des relations entre la Russie et l’UE et les modalités de leur future interaction se distingue par son excellence et son impartialité – Séminaire « Analyse stratégique de la coopération entre la Russie et l’UE et perspectives du développement des relations Russie – OTAN », russiancouncil.ru, le 13.07. 2016 http://russiancouncil.ru/inner/?id_4=7921#top-content La suite du présent exposé est basée, dans une certaine mesure, sur ce rapport.

[27] La présentation de ce rapport au Conseil russe des affaires internationales, les informations sur les organisateurs de la présentation et sur le contenu du rapport se trouvent dans : Evguéni Pedanov « Marc Entine : impossible d’accepter le monopole de Bruxelles sur l’interprétation des règles du jeu », International affairs ( « Vie internationale»), le 09.11.2016 https://interaffairs.ru/news/show/16342

[28] https://europa.eu/globalstrategy/en/language-versions ; le site de la Stratégie  : https://europa.eu/globalstrategy/en ; explications du Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité https://europa.eu/globalstrategy/en/speech-hrvp-mogherini-euiss-annual-conference-towards-eu-global-strategy-final-stage ; https://europa.eu/globalstrategy/en/speech-hrvp-mogherini-eu-ambassadors ; https://europa.eu/globalstrategy/en/speech-high-representativevice-president- federica-mogherini-public-seminar-eu-global-actor-stockholm ; http://eu-un.europa.eu/speech-by-hrvp-mogherini-at-the-future-of-eu-nato-cooperation-conference/

[29] https://ec.europa.eu/commission/state-union-2016_en Analyse objective et impartiale du discours (en anglais) : Mark Entin, Ekaterina Entina, “Enviable… stagnation” (« Stagnation… enviable »), russiancouncil.ru, 21 October 2016 , http://russiancouncil.ru/en/inner/?id_4=8239#top-content

[30] Andreï Zagorsky, Wolfgang Zellner ”Modernisation des mécanismes de coopération entre la Russie et l’UE”, russiancouncil.ru, le 06.12.2016 http://russiancouncil.ru/inner/?id_4=8323#top-content ; http://russiancouncil.ru/common/upload/RIAC-DGAP-Report27-ru.pdf

[31] Les explications sont détaillées dans: Marc Entine, Ekaterina Entina “Nouvel agenda des relations entre la Russie et l’UE”, russiancouncil.ru, le 31 mai 2016 г., http://russiancouncil.ru/inner/?id_4=7737#top-content ; Mark Entin, Ekaterina Entina, “New Agenda for EU-Russia Relations”, russiancouncil.ru, 01 June 2016, http://russiancouncil.ru/en/inner/?id_4=7737#top-content

[32] Allusion sur son article retentissant : Andreï Kortounov « Du postmodernisme vers le néomodernisme, ou Mémoires de l’avenir», Russie dans la politique globale, № 1, 201 , http://www.globalaffairs.ru/person/p_2658

[33] Les leaders de l’agence analytique « Politique extérieure » Andreï Souschentsov, Sergueï Makédonov et quelques-uns des experts de cette agence peuvent être considérés, avec certaines réserves, comme brillants représentants de ce mouvement — http://www.foreignpolicy.ru/about/agency/ Durant le deuxième semestre de l’année 2016, ils ont présenté un exposé argumenté et approfondi de leur point de vue lors des rendez-vous du Consortium des centres de recherches de la Russie, des USA et de l’EU au Conseil russe des affaires internationales et lors d’autres conférences internationales. Les aspects applicatifs de ce mouvement sont explicités, entre autres, dans un magazine à renommée excellente – « Russie dans la politique globale » (« Russia in global affairs ») — http://www.globalaffairs.ru/person/p_2624

[34] Max Boot, “Putin’s Best-Laid Plans Are Failing” (Putin got the incompetent president he preferred, but he also got an increasingly anti-Russian Congress), USA Today, March 2, 2017, http://www.cfr.org/russian-federation/putins-best-laid-plans-failing/p38897

[35] Russia: Rival or Partner, or Both (Experts discuss U.S. policy options toward Russia including continued sanctions, possible cooperation with Russia in Syria, and responding to increased tensions surrounding the ongoing conflict in Ukraine), Council on Foreign Relations, February 27, 2017, http://www.cfr.org/russian-federation/russia-rival-partner-both/p38860

[36] Natalia Evtikhevitch “Carte-blanche. Les angles vifs du triangle Russie-UE-USA”, “Nezavissimaïa gazéta” (“Journal indépendant”), le 10.02.2017, http://www.ng.ru/world/2017-02-10/3_6926_kartblansh.html?id_user=Y

[37] Pour prendre connaissance de leur logique de raisonnement, nous pourrions vous recommander de suivre les dernières publications de Dmitri Souslov, Directeur des programmes de la Fondation pour le soutien et le développement du Club international de discussion « Valdaï », parues dans le magazine« Russie dans la politique globale » (« Russia in global affairs »), sur le site du Club et dans d’autres éditions — http://www.globalaffairs.ru/person/p_1012 ; http://ru.valdaiclub.com/about/experts/3825/#articles

[38] http://ru.valdaiclub.com/a/reports/rossiya-i-evropeyskiy-soyuz/

[39] http://ru.valdaiclub.com/events/posts/articles/rossiya-i-es-tri-voprosa-o-novykh-printsipakh-otnosheniy/

[40] Federica Mogherini a exposé cinq principes directeurs de la politique de l’UE à l’égard de la Russie, le 14.03.2016 http://kommersant.ru/ ру /2937880